Une feuille de route pour décarboniser l’énergie dans 139 pays
Dans la perspective de l’Accord de Paris et de l’Agenda 2030 pour le Développement durable
Bulletin de Novembre 2017
1. Contexte général
A la veille de la COP23 qui se tient du 6 au 17 novembre 2017 à Bonn, en Allemagne, le PNUE a publié la 8ème édition de son Emissions Gap Report [1]. Ce rapport fournit aux parties à la Convention Cadre des Nations sur les changements Climatiques (CCNUCC) une évaluation scientifique indépendante de la manière dont les actions et les engagements des pays affectent la tendance mondiale des émissions de gaz à effet de serre (GES) et comment cela se compare aux trajectoires d’émissions compatibles avec l’objectif ultime de la Convention qui est d’empêcher « toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique ». L’écart constaté est appelé Gap d’émissions.
A la fameuse COP15 de Copenhague qui a réuni en décembre 2009 plus de 100 chefs d’État, il a été reconnu que le respect de cet objectif ultime passe par la limitation de la hausse de la température mondiale à un maximum de 2°C, les petits États insulaires situant ce seuil à 1,5°C. Dans les annexes 1 et 2 du difficile accord arraché aux parties à cette occasion, les pays développés ont fait part de leurs objectifs de réduction des émissions et les pays en développement des actions qu’ils comptent prendre pour contribuer à cette réduction.
L’Accord de Paris, résultat de la COP21 (décembre 2015), a été construit autour de ces seuils de température et de ces engagements devenus entre temps les Contributions Prévues Déterminées au niveau National – CPDN (Nationally Determined Contributions – NDCs). L’édition 2017 de l’Emissions Gap Report, la 8ème, compare ainsi la tendance des émissions mondiales de GES résultant des engagements contenus dans les CPDN, à la trajectoire d’émission compatible avec une élévation de la température de la planète nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels, en visant de fait moins de 1,5 °C, comme décidé dans l’Accord de Paris.
Le graphique ci-dessous donne les résultats de l’analyse dont l’une des principales conclusions est la suivante : « Les CPDN qui constituent le socle de l’accord de Paris ne couvrent qu’environ un tiers des réductions d’émissions nécessaires pour suivre la trajectoire la moins onéreuse permettant de tenir l’élévation de la température bien en deçà de 2 ° C. L’écart entre les réductions nécessaires et les engagements nationaux pris à Paris est extrêmement alarmant ». De fait, poursuit le rapport, même si les CPDN actuelles sont entièrement mises en œuvre, le budget carbone pour limiter le réchauffement climatique à moins de 2 ° C sera réduit d’environ 80 % d’ici 2030. Ce budget sera entièrement consommé à cette date en ce qui concerne l’objectif de 1,5 ° C.
« Des CPDN plus ambitieuses seront en conséquence nécessaires d’ici 2020. Elles devraient s’appuyer sur les vastes connaissances existantes en ce qui concerne les politiques et les mesures rentables pouvant être prises ». Le rapport fait des propositions dans ce sens.
2. Décarboniser l’énergie dans la perspective de l’Accord de Paris et de l’Agenda 2030
C’est dans ce contexte général que se situe l’ambitieux travail réalisé par une équipe de 27 chercheurs des Universités de Stanford (USA), de Berkeley (USA), de Berlin (Allemagne) et d’Aarhus (Danemark) conduite par le Pr Mark Z. Jacobson [2]. Voici ce qu’ils disent eux-mêmes de leur travail : « Nous avons développé des feuilles de route énergétiques pour ralentir significativement le réchauffement climatique et presque éliminer la mortalité par pollution atmosphérique dans 139 pays ».
L’idée centrale de ces feuilles de route est de transformer les infrastructures énergétiques actuelles (production d’électricité, transport, chauffage/climatisation/réfrigération, industrie, agriculture/foresterie/pêche) des 139 pays de sorte qu’elles puissent être alimentées par le triplet énergie Éolienne, Solaire et Hydroélectrique (ESH), l’objectif étant une conversion à 80 % d’ici 2030 et à 100 % en 2050. Il s’agit, de fait, d’une électrification complète de l’ensemble de ces activités qui permettrait, selon les auteurs, de tenir le réchauffement global en dessous de 1,5°C d’ici 2050; d’éviter les millions de morts liés à la pollution de l’air due à la combustion des hydrocarbures, de créer 52 millions d’emplois à plein temps pour 27,7 millions perdus; de réduire les coûts de l’énergie pour la société et d’assurer l’accès universel à l’énergie. La figure ci-dessous résume les résultats.
Il ne s’agit pas de slogans, mais des résulats d’un travail méticuleux utilisant des techniques et des technologies énergétiques à zéro-émissions courantes et fiables, avec un peu de technologies en développement. En voici quelques éléments d’appréciation.
Les 139 pays considérés sont ceux pour lesquels les données sont disponibles à l’Agence Internationale de l’énergie [3].
1ère étape : Les consommations d’énergie de chaque pays pour 2012 ont été colligées et analysées secteur par secteur, en faisant ressortir les parts couvertes par le triplet éolien, solaire et hydroélectrique (ESH).
2ème étape : Ces consommations sont projetées en 2050 suivant le cours normal des affaires (BAU) : croissance soutenue de la demande; léger déplacement du charbon vers le gaz naturel, le biocombustible, la bioénergie et le triplet ESH; un peu d’efficacité énergétique dans les usages finaux.
3ème étape : Tous les processus de consommation d’énergie dans chaque secteur sont « électrifiés » et l’infrastructure énergétique est dimensionnée pour répondre à la demande d’électricité résultante. Une partie de cette électricité sert à produire de l’hydrogène par électrolyse pour le transport terrestre, maritime et aérien sur de longues distances. L’efficacité énergétique est « modestement » mise à contribution dans les usages finaux. La demande restante est satisfaite avec une combinaison des différentes technologies de production d’électricité du triplet ESH. La combinaison est déterminée par les ressources naturelles disponibles ainsi que les espaces disponibles sur les toits, la terre et l’eau.
Les technologies ESH considérées comprennent les éoliennes onshore et offshore, le solaire à concentration, l’électricité et la chaleur de la géothermie, le solaire photovoltaïque sur toit et à grande échelle, l’énergie marémotrice et l’hydroélectricité. Piles à combustible à hydrogène et batteries à charge rapide sont mises à contribution dans le transport terrestre, par rail, maritime et aérien.
Les combustibles fossiles, les biocombustibles et même le nucléaire sont sortis du mix énergétique de 2050. La figure ci-dessous le montre clairement. Elle précise par ailleurs l’origine des économies permettant de réduire de moitié l’appel total de puissance en 2050, qui passe de 20 604 TW pour le scénario BAU, à 11 840 TW avec le triplet ESH (un meilleur rendement des dispositifs électriques par rapport aux dispositifs à combustion; une plus grande efficacité énergétique; l’énergie non consommée pour l’extraction, le conditionnement et la distribution des combustibles fossiles).
Les auteurs concluent l’article avec une série de chiffres sur les millions de morts prématurées par pollution de l’air évitées, sur les trillions d’argent non dépensé en évitant les dommages physiques liés à la pollution de l’air et au réchauffement global, sur les billions d’économie réalisés en divisant la demande d’énergie par 2, sur les millions d’emplois nets créés en abandonnant les fossiles et en misant tout sur le triplet ESH, sur les millions de personnes qui auront un accès sécurisé à une énergie durable et à moindre coût grâce aux techniques de l’énergie répartie, sans parler des mortifères risques géopolitiques et terroristes évités. Le résultat le plus remarquable reste cependant que l’agressive conversion mondiale au triplet ESH à 100% que proposent les auteurs, peut aider à éviter l’élévation de la température mondiale au-dessus de 1,5°C tel que le préconise l’Accord de Paris. Elle s’inscrit par ailleurs dans la perspective de l’Agenda 2030 pour le développement durable et participe pleinement à la réalisation des Objectifs de Développement Durable (ODD).
C’est une indication claire que si nous sommes les « passagers d’un titanesque Titanic [4]» fonçant droit vers un iceberg, nous avons encore quelques bonnes cartes en main, sachant exactement ce qu’il faut faire techniquement pour éviter la catastrophe.
C’est faisable techniquement et économiquement. Mais il faut que le capitaine, l’équipage et les passagers en soient convaincus. Il faut les sensibiliser, les informer encore et encore, et leur dire et redire ce qui est possible. C’est de la sorte que chaque individu mettra l’épaule à la roue pour changer la fatale trajectoire.
Car la transition vers le triplet ESH, c’est dans nos maisons et dans nos vies qu’elle commence.
[1] UN Environment, Emissions Gap Report 2017, novembre 2017, https://wedocs.unep.org/bitstream/handle/20.500.11822/22070/EGR_2017.pdf?sequence=1&isAllowed=y
[2] Mark Z. Jacobson et coll., 100% Clean and Renewable Wind, Water and Sunlight All-Sector Energy Roadmaps for 139 Countries of the World, 2017, http://www.cell.com/joule/pdf/S2542-4351(17)30012-0.pdf
[3] International Energy Agency (IEA). (2015). Statistics. http://www.iea.org/statistics/statisticssearch/.
[4] Pierre-Alain Cotnoir « Passagers d’un Titanic titanesque, on ne doit plus se demander si nous pouvons éviter l’iceberg, mais plutôt comment y survivre collectivement», tiré de Pour un monde meilleur, ACFAS, 2012, http://www.acfas.ca/publications/decouvrir/2012/05/monde-meilleur