Le trilemme énergétique du Conseil Mondial de l’Énergie

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Le trilemme énergétique du Conseil Mondial de l’Énergie

Bulletin GSI septembre 2021

  1. Introduction

Le Conseil Mondial de l’Énergie (CME) se définit aujourd’hui comme « Le réseau mondial pour l’Énergie[1] » dont l’objectif est de promouvoir l’approvisionnement et l’utilisation durables de l’énergie pour le plus grand bénéfice de tous. Son ambition, précise-t-il, est « d’accélérer les trajectoires énergétiques à zéro carbone net, d’offrir de meilleures vies et moyens de subsistance à tous et de garantir une planète plus saine pour les générations futures ». On ne peut guère plus faire écho à l’ambition planétaire portée par l’Agenda 2030 de « libérer l’humanité de la tyrannie de la pauvreté et du besoin, de guérir, de prendre soin de la planète et de la préserver [2]».

L’organisation quasi-centenaire, le CME a été créé en 1923[3], achève là une évolution thématique qui la place au cœur des mutations en cours pour transformer notre monde2. A l’origine Conférence Mondiale de l’Électricité, elle était encore déchirée, à la fin des années 90, par des querelles intestines opposant champions du contrôle privé et du contrôle public du secteur électrique dont la réforme occupait le devant de la scène énergétique.

Le CME se veut ainsi, désormais, un réseau mondial qui ouvre la voie à une transition énergétique réussie. Et c’est à ce titre qu’il a mis au point et propose à ses 3 000 membres d’une centaine de pays et de tous les horizons professionnels, une boîte à outils de la transition énergétique dont l’objectif est de « les aider à définir, mieux gérer et collaborer efficacement à la réussite des transitions énergétiques [4]».

Sur les 5 outils de cette boîte à outils (voir annexe), ce numéro du bulletin a retenu l’Indice Mondial du Trilemme Énergétique dont il donne ici un aperçu qui se veut une invite à sa découverte pour certains et, pourquoi pas, à son exploitation aux échelles où les uns ou les autres interviennent.

  1. Définir le trilemme énergétique

Dérivé du dilemme dont il se distingue par le nombre d’alternatives (3 au lieu de 2), le trilemme « est une situation qui offre le choix entre trois alternatives menant à des résultats différents, voire contradictoires, et dont les partis sont d’égal intérêt ». Ce concept dont la première utilisation remonterait au philosophe grec Épicure[5], s’est introduit dans les débats sur l’énergie à la fin des années 2000, dans le contexte des rudes négociations sur le climat et dans le cadre des grands remue-méninges mondiaux sur le développement qui ont suivi, et conduit à L’avenir que nous voulons, puis à l‘Agenda 2030 et ses 17 Objectifs de Développement durable (ODD).

Le CME a été étroitement associé à ces processus comme tous les acteurs de développement. Les réflexions internes conduites dans ce contexte l’ont amené à centrer son rapport 2010 d’évaluation des politiques énergétiques et climatiques nationales sur la durabilité, comme cela ressort du titre de ce rapport Pursuing sustainability : 2010 Assesment of country energy and climate policy[6] publié au-lendemain du Sommet de Copenhague sur le climat. Dans ce rapport, le CME affirme que « la recherche de la durabilité énergétique devrait être au cœur des processus d’élaboration des politiques énergétiques ». Pour le Conseil, cette durabilité s’articule autour de trois principaux objectifs qui sont la sécurité énergétique, la justice sociale et l’atténuation de l’impact sur l’environnement. Équilibrer ces trois objectifs souvent contradictoires à bien des égards, constitue un trilemme pour les acteurs du secteur de l’énergie.

Les trois alternatives du trilemme tirées de cette définition de la durabilité sont ainsi la Sécurité énergétique, l’Équité Énergétique et la Durabilité environnementale des systèmes énergétiques telles que précisées dans le schéma ci-dessous.

  1. L’Indice du trilemme énergétique

L’indice du trilemme énergétique, appelé au départ indice de développement durable[7], a été construit à partir de cette définition du trilemme à laquelle a été adjoint un facteur Contexte du pays centré sur les éléments permettant aux pays d’élaborer et de mettre en œuvre efficacement une politique énergétique et d’atteindre les objectifs de durabilité énergétique. Ce facteur « décrit les conditions macroéconomiques et de gouvernance sous-jacentes, rend compte de la force et de la stabilité de l’économie nationale et du gouvernement, l’attractivité du pays pour les investisseurs et la capacité d’innovation, indique le Conseil ». Le graphique ci-contre donne la structure de l’indice et la pondération de ces différentes composantes et indicateurs en 2012.

La structure de l’indice a notablement évolué depuis, passant de 6 composantes et 22 indicateurs en 2012, à 11 composantes et 31 indicateurs en 2021 comme on peut le voir sur le graphique ci-dessous. Les thématiques retenues à ces deux niveaux ont aussi beaucoup évolué.

  • Le facteur Sécurité énergétique comprend maintenant deux composantes, Sécurité de l’offre et de la demande, et Résilience des systèmes énergétiques dans laquelle a été introduit l’indicateur Stockage de l’énergie;
  • Le facteur Équité énergétique a été étoffé avec 3 composantes, Accès à l’énergie, Accès à une énergie de qualité et Abordabilité énergétique avec notamment des indicateurs sur la cuisson propre, l’accès aux services énergétiques modernes;
  • Le facteur Durabilité environnementale a également été étoffé avec les composantes Productivité des ressources, Décarbonisation, Émission et pollution avec en particulier de nouveaux indicateurs sur la production d’électricité à faibles émissions et l’exposition aux particules fines.

Pour le facteur Contexte du pays les composantes ont été revisitées, au moins au niveau des appellations devenues Stabilité pour les investissements et l’innovation, Gouvernance et Environnement macroéconomique avec un nouvel indicateur sur la protection de la propriété intellectuelle.

Ainsi conçu et structuré, l’indice du trilemme énergétique permet de quantifier le trilemme énergétique défini, il faut le rappeler, comme « le triple défi de fournir des services énergétiques sûrs et équitables, abordables et respectueux de l’environnement (CME, 2013)».

Renseigné d’année en année depuis 2010, l’indice évalue de fait les performances actuelles et passées d’un système énergétique national ou régional suivant ces trois dimensions du trilemme, mettant ainsi en évidence i) les nombreux défis que le pays ou la région doit relever pour équilibrer le trilemme et ii) les opportunités pour améliorer ses performances actuelles et futures.

L’indice est aussi un moyen d’information pour l’ensemble des acteurs du secteur de l’énergie, les politiques, les opérateurs, les investisseurs et les financiers, et un instrument de dialogue entre eux.

Il permet à un pays donné, de se comparer à lui-même dans le temps grâce à l’historique de ses scores et de réajuster ses politiques en se servant notamment des résultats des comparaisons avec ses pairs qui font moins bien ou bien mieux que lui. Les classements annuels des indices pour chacune des trois dimensions du Trilemme sont extrêmement utiles de ce point de vue, apprenant aux pays à ouvrir des dialogues constructifs sur les politiques énergétiques et à apprendre les uns des autres sur celles qui fonctionnent et dans qu’elles circonstances.

  1. Quelques résultats pour l’Indice en 2021[8]

Comme indiqué plus haut, le Conseil Mondial de l’Énergie publie chaque année, depuis 2010, l’indice du Trilemme énergétique. L’édition 2021 porte sur 127 pays qu’elle classe suivant leurs performances. Ce classement se fait sur la base i) d’une note pour chaque dimension avec une fourchette de valeur allant de A (meilleure) à B, C ou D (pire), ii) d’un rang de 1 (meilleur) à 101 (pire) et iii) d’un score avec une fourchette de valeur de 100 (meilleure)à 0 (pire) comme le montre le tableau ci-dessous.

Le graphique suivant donne une vue d’ensemble pour les 127 pays considérés en 2021. La suède occupe la 1ère place sans cependant atteindre le score de 100%, montrant que tous les pays, y compris les meilleurs, ont encore des efforts à faire pour réaliser la pleine durabilité énergétique.

Le rapport ressort le Top 10 des pays affichant les meilleures performances et des pays qui ont le plus progressé depuis 2000.

Les pays européens tiennent le haut du pavé, occupant les 5 premières places. Deux pays africains, le Kenya et l’Éthiopie, pointent parmi les 10 pays qui ont le plus amélioré leur trilemme depuis 2000, le Cambodge détenant ici le record.

Le rapport donne le même type de résultat pour chacune des trois dimensions du Trilemme, la Sécurité énergétique, l’Équité Énergétique et la Durabilité environnementale.

Le Canada, la Finlande et la Roumanie qui sont en tête pour la Sécurité énergétique disparaissent du Top 10 pour les deux autres dimensions du Trilemme. Cinq pays du Golfe tiennent la tête du Top 10 pour l’Équité énergétique, mais aucun n’est cité pour les dimensions Sécurité énergétique et Durabilité environnementale. Il est important de noter la présence de trois pays africains dans le Top 10 des pays qui ont fait des progrès dans le domaine de l’équité énergétique depuis 2000. Il s’agit du Kenya, du Bénin et de l’Éthiopie qui pointent respectivement à la 3e, 4e et 5e place.

Le rapport souligne par ailleurs que les trois pays les plus performants du point de vue de la Sécurité énergétique, le Canada, la Finlande et la Roumanie ont un mix énergétique très diversifié; le Canada en tirant avantage de son potentiel en ressources naturelles, hydroélectricité, pétrole/gaz, charbon et autres renouvelables; la Finlande, en renforçant la part des renouvelables, le solaire, l’hydroélectricité et l’éolien pour 47% de sa production; la Roumanie en tirant avantage de son appartenance à l’union Européenne qui a amélioré ses politiques énergétiques et ses interconnexions.

L’Édition 2021 du rapport sur le Trilemme énergétique conclut avec un tableau d’ensemble, montrant pour chacune des grandes régions du monde, son Indice du Trilemme énergétique.

Les régions Amérique du Nord, Europe et Moyen-Orient/États du Golfe ont presque réalisé l’objectif de l’Équité Énergétique. L’Afrique et l’Asie paraissent encore loin du compte pour l’ensemble des 3 dimension. Mais aucune région ne réalise la pleine durabilité de son système énergétique, confirmant l’adage selon lequel tous les pays et toutes les régions du monde sont « en voie de développement durable ».

Le rapport propose, à partir de ces résultats, une analyse région par région faisant ressortir les défis qui leur sont propres (cf. Annexe 2), dégageant ainsi des opportunités de collaboration interrégionaux méritant d’être connues et saisies.

  1. Conclusion

L’indice mondial du trilemme énergétique a été développé dans le contexte dynamique des intenses négociations sur le climat et des grandes concertations mondiales sur le développement durable. Il a en conséquence été conçu, construit et mis en œuvre, comme un instrument de mesure de la durabilité des systèmes énergétiques. Il est aujourd’hui abondamment mis à contribution pour l’évaluation annuelle des performances des systèmes énergétiques nationaux suivant chacune de ses trois dimensions que sont, rappelons-le, la Sécurité Énergétique, l’Équité Énergétique et la Durabilité environnementale. Il génère, dans ce contexte, une masse d’informations stratégiques qui ont fini par en faire un outil de premier plan pour penser et construire ensemble la transition énergétique, et mesurer ses progrès. Il est ainsi devenu, pour la Secrétaire Générale en exercice du Conseil Mondial de l’Énergie, l’outil flexible dont le monde a besoin « pour apprendre à cheminer avec le nouveau nexus énergie-cyber-stress climatique », et surtout « pour améliorer à la fois, la qualité de la conception des politiques à tous les niveaux de la société, et la gouvernance mondiale de l’énergie ». C’est le gage, conclut-elle, pour « humaniser l’énergie, une meilleure façon pour avancer ensemble [9]»

 

Annexe1

 

Annexe 2 : Enjeux, défis et opportunités régionaux

[1] WEC, The Energy Network, brochure d’information disponible ici https://www.worldenergy.org/assets/downloads/World_Energy_Council_-_Brochure_-_2019.pdf

[2] UN, Transformer Notre Monde : le Programme de développement durable à l’horizon 2030, 2015, https://undocs.org/fr/A/RES/70/1

[3] Rebecca Wright et col., From World Power Conference to World Energy Council, 90 years of energy cooperation, 1923-2013, 2013, https://www.worldenergy.org/assets/downloads/A-Brief-History-of-the-World-Energy-Council.pdf

[4] WEC, Energy Transition Toolkit, https://www.worldenergy.org/transition-toolkit

[5] Wikipedia, Trilemme, https://fr.wikipedia.org/wiki/Trilemme

[6] WEC, Pursuing sustainability : 2010 Assesment of country energy and climate policy, 2010, https://www.worldenergy.org/assets/downloads/PUB_wec_2010_assessment_of_energy_and_climate_policies_2010_WEC.pdf

[7] CME, Trilemme Énergétique Mondial, Construire dans l’énergie durable, 2013, https://www.worldenergy.org/assets/images/imported/2013/10/Trilemme-Energetique-Mondial_2013_Investir-dans-l%C3%A9nergie-durable.pdf

[8] WEC, World Energy Trilemma Index 2021, https://www.worldenergy.org/assets/downloads/WE_Trilemma_Index_2021.pdf

[9] Dre Angela Wilkinson, Making (common sense of our changing relationships with energy, Avant-Propos au rapport World Energy Trilemma Index 2021, https://www.worldenergy.org/assets/downloads/WE_Trilemma_Index_2021.pdf