Les minéraux critiques, l’autre grand enjeu de la transition énergétique

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Les minéraux critiques, l’autre grand enjeu de la transition énergétique

Bulletin de septembre 2021

 

  1. Introduction

Certains sont connus, voire archiconnus comme le cuivre, le zinc, le Nikel, le manganèse, le graphite, le cobalt ou le lithium… D’autres portent des noms peu familiers comme zirconium, dysprosium, molybdène, scandium, lanthane, praséodyme, néodyme ou samarium, la plupart classés, pour ces derniers, dans les terres dites rares. Ils constituent les matériaux de base sur lesquels se construisent aujourd’hui, panneaux solaires, turbines d’éoliennes, réseaux électriques ou voitures électriques qui sont les vedettes de la nécessaire et incontournable transition propre dont ce bulletin s’est fait l’écho dans plusieurs de ses numéros[1]. Ils tiennent leur criticité non pas de leur rareté, mais i) de leur forte concentration géographique, leur production ou leur transformation se limitant actuellement à une poignée de pays dans le monde et ii) d’une demande en croissance rapide poussée par le besoin pressant du nécessaire changement de paradigme énergétique.

Selon une des toutes récentes publications de l’AIE, The Role of Critical Minerals in Clean Energy Transitions[2] (Le rôle des minéraux critiques dans les transitions énergétiques propres), leur disponibilité ou non en feront « un catalyseur essentiel pour les transitions énergétiques propres ou un goulot d’étranglement dans le processus »

Ce numéro du bulletin porte sur ce rapport de l’AIE dont il donne un aperçu qui se veut une invite à sa découverte et à son exploitation, notamment dans les pays comme la RDC où certains de ces minéraux abondent. Aujourd’hui stratégiques comme hier le pétrole, ils apportent en effet à ces pays, des avantages comparatifs méritant d’être considérés.

  1. Objectif et contenu du rapport

L’objectif de ce rapport spécial de l’AIE sur les minéraux critiques est « d’expliquer les liens complexes entre les technologies d’énergie propre et ces matériaux, d’évaluer les besoins les concernant selon divers scénarios énergétiques et technologiques et d’identifier les implications sécuritaires, environnementales et sociales de l’approvisionnement en minerais pour la transition énergétique ». Pour une nouvelle approche globale de la sécurité minière, six recommandations clés sont proposées par l’AIE aux différents décideurs de la scène énergétique mondiale.

L’AIE appuie son analyse sur deux scénarios énergétiques. Le premier est le Scénario Développement Durable (SDS) avec sa variante s’inscrivant dans la perspective du zéro émissions nettes à l’horizon 2050 et permettant de réaliser le principal objectif de l’Accord de Paris, à savoir une élévation de la température moyenne du globe bien en dessous de 2°C, en visant 1,5°C. Le second est le Scénario Politiques Annoncées (STEPS) permettant de voir où les politiques et les plans de développement actuels, contenus notamment dans les Contributions Déterminées au niveau National (CDN), conduisent le secteur de l’énergie aux mêmes horizons.

Les résultats de cette analyse tiennent dans un rapport de près de 300 pages organisé autour des 4 principaux chapitres suivants : A) État des lieux, B) Besoins en minéraux pour les technologies d’énergie propre, C) Approvisionnement fiable en minéraux, D) Développement durable et responsable des minéraux.

  1. Messages et graphiques clés du rapport

Les messages et les graphiques tirés du rapport et présentés ci-dessous donnent une bonne idée de ces résultats qui apportent un éclairage utile sur cet autre grand enjeu de la transition énergétique.

A – Sur l’état des lieux, le rapport rappelle dans un premier temps que la réalisation des objectifs climatiques va nécessiter un déploiement beaucoup plus rapide des technologies d’énergie propre. La longueur des réseaux électriques devrait être multipliée par 3 entre 2019 et 2040, comme les puissances solaires et éoliennes installées. Ce facteur serait de 25 en ce qui concerne les voitures électriques.

Un déploiement conséquent de ces technologies aura comme implication, une augmentation significative de la demande en minéraux critiques. En effet, à la différence des systèmes énergétiques traditionnels alimentés par les hydrocarbures, les systèmes à énergie propre utilisant des centrales photovoltaïques, des parcs éoliens ou des véhicules électriques, reposent sur un nombre plus important de minéraux.

Ainsi, comme cela ressort sur la figure ci-dessous, une voiture électrique typique requiert 6 fois plus de minéraux différents dans sa fabrication qu’une voiture classique, ce ratio étant de 9 pour un parc éolien onshore comparé à une centrale diésel.

Ce qu’on a observé aussi, au cours de la dernière décennie, c’est que les besoins en minéraux pour de nouvelles capacités de production d’électricité ont augmenté de 50 %, les technologies à faibles émissions de carbone prenant une part croissante des investissements. On assiste ainsi progressivement, à un basculement d’un système énergétique à forte intensité de carburant vers un système énergétique à forte intensité de minéraux. Ce mouvement devra s’accélérer si l’on veut atteindre les objectifs climatiques visés.

Ce basculement fait apparaître de nouvelles forces et dynamiques de marché, de nouveaux pays et de nouvelles considérations géopolitiques. La comparaison (cf. ci-dessous) des chaines d’approvisionnement pour le pétrole et le gaz naturel d’une part, et d’autre pour les technologies d’énergie propre, donne un aperçu éclairant de ces nouvelles dynamiques.

On note aussi, indique le rapport, que la production actuelle de nombreux minéraux de transition énergétique est plus concentrée géographiquement que celle du pétrole ou du gaz naturel. Une poignée de pays jouent les premiers rôles. La RDC produit plus de 70% du cobalt consommé dans le monde, la Chine plus de 60% du graphite et des terres rares, l’Australie, plus de 50% du Lithium, l’Afrique du Sud plus de 70% du platine. Cela accroît notablement ce que certains grands joueurs de la scène énergétique mondiale comme l’Union européenne appellent la criticité de ces minéraux.

Le rapport relève également que le niveau de concentration est tout aussi élevé pour les opérations de transformation, avec une présence significative de la Chine à tous les niveaux, accentuant encore plus, pour beaucoup d’acteurs, ladite criticité de ces minéraux. Le cas des terres rares pour lesquelles la part de la chine dépasse les 90%, est symptomatique de ce point de vue.

Un autre constat important concerne le recyclage de ces produits. Les taux actuels varient d’un produit à l’autre, en fonction de la facilité de collecte, des niveaux de prix et de la maturité du marché. Il y a encore beaucoup de marge pour la plupart d’entre eux. Ce taux est de moins de 1% pour le lithium et les terres rares.

 

B – Sur les besoins en minéraux pour les technologies d’énergie propre, le rapport dresse le tableau ci-dessous, ressortant l’importance de chacun des minéraux considérés pour les différentes technologies d’énergie propre

Le rapport donne aussi un aperçu de l’évolution de la demande par scénario. Une multiplication par deux pour le Scénario Politiques Annoncées (STEPS) entre 2020 et 2040. Une multiplication par 4 pour le Scénario Développement (SDS) Durable. Les réseaux électriques, les voitures électriques et les batteries de stockage de l’énergie compteront pour plus de 80% de la demande, devenant les principales forces motrices de cette demande.

Il souligne le cas des minéraux liés aux batteries pour lesquels la demande est particulièrement forte, le facteur multiplicateur atteignant 25 pour le graphite et 42 pour le lithium avec le Scénario Développement Durable.

La conclusion qui s’impose est que les technologies d’énergie propre sont en passe de devenir la force majeure qui stimulera la croissance de la demande en minéraux critiques. Pour quelques-uns de ces minéraux, la part de ces technologies dans la demande mondiale se situerait au-dessus de 40% en 2040 pour le Scénario Développement Durable, dépassant même 90% dans le cas du lithium.

On assiste à un recul progressif du charbon au profit des minéraux de la transition énergétique. Les revenus tirés de ces derniers dépassent largement ceux tirés du charbon en 2040 pour le Scénario Développement Durable.

Le rapport complète son analyse des besoins en minéraux critiques en examinant en profondeur ces besoins pour chacune des principales technologies d’énergie propre, confirmant le rôle moteur des réseaux électriques en ce qui concerne le cuivre et l’aluminium, et celui des véhicules électriques et des batteries de stockage d’énergie en ce qui concerne le lithium, le nickel et le cobalt.

C- Sur l’approvisionnement fiable en minéraux critiques, l’importante augmentation de la demande pour ces minéraux telle qu’elle se profile à l’horizon de la transition énergétique, pose question sur la capacité à faire face en termes d’investissements, de prix et des conséquences sociales et environnementales associées à leur production. Voici le profil de la demande pour quelques-uns de ces minéraux.

Il faudra, pour répondre à ces demandes telles qu’elles ressortent du Scénario Développement Durable (SDD), une croissance conséquente des investissements. Les marges à combler en termes d’approvisionnement (cf graphique ci-dessous) l’exigent. Les plans actuels d’investissement et d’approvisionnement sont loin d’être à la hauteur.

Un autre écueil qu’on n’est pas près de lever est celui de la concentration géographique. Selon le rapport, l’analyse des portefeuilles de projets indique que, dans la plupart des cas, la concentration géographique de la production est peu susceptible de changer à court terme.

Du fait des longs délais de développement des projets (cf. graphique ci-dessous), le rapport indique que des tensions peuvent apparaître sur le marché beaucoup plus rapidement que les nouveaux projets.

Les ressources ne manquent cependant pas, selon le rapport. Les réserves économiquement viables auraient augmenté malgré la croissance continue de la production.

C’est la baisse soutenue de la qualité du minerai qui pose des défis de toutes sortes en termes de coûts d’extraction et de traitement, d’émissions et de volumes de déchets.

La nécessaire prise en compte des enjeux de responsabilité sociétale et de gouvernance pourrait changer la donne.

  • Ainsi, indique le rapport, l’impératif croissant d’améliorer la performance environnementale va exercer une pression à la hausse sur les coûts des activités d’extraction et des traitements à forte intensité énergétique.

  • Le rapport relève aussi que la majorité des volumes de production actuels proviennent de régions à faibles scores de gouvernance ou à forte intensité d’émissions

Le risque climatique est pesant dans la plupart des zones où s’extraient ces minéraux. Comme on peut le voir sur la carte ci-dessous, les mines de cuivre et de lithium sont le plus souvent localisées dans les zones à fort stress hydrique.

Ainsi, souligne le rapport, plus de la moitié de la production mondiale de cuivre et de lithium est concentrée dans les zones à fort stress hydrique.

Ce sont là autant de vulnérabilités susceptibles d’entraver un approvisionnement adéquat en minerais critiques et d’entraîner une plus grande volatilité des prix. Les vagues de chaleur ou les inondations constituent d’autres risques environnementaux à considérer dans l’analyse des vulnérabilités des systèmes de production des minerais critiques.

Le rapport complète son examen des problèmes reliés à la fiabilité de l’approvisionnement en minéraux critiques en mettant le focus sur le cuivre, le lithium, le nickel, le cobalt et les terres rares ainsi que sur le recyclage dont il indique qu’il peut apporter des avantages considérables en matière de sécurité et d’environnement.

D – Sur le développement durable et responsable des minéraux critiques, le rapport rappelle fort justement le rôle vital que jouent ces minéraux dans la transition vers une énergie propre, et aussi dans la lutte contre la pauvreté quand les recettes publiques que génère leur exploitation sont éthiquement et équitablement utilisées. Cependant, indique le rapport, une mauvaise gestion de leur extraction et de leur traitement peut entraîner une multitude de conséquences négatives.

Les risques encourus sont environnementaux (émissions de gaz à effet de serre, changement d’utilisation des terres entraînant perte de biodiversité, épuisement de l’eau, pollution de l’air et des eaux, contamination liée aux déchets) ou sociaux (découlant de la corruption, des décès et des blessures des travailleurs, des violations des droits des usagers traditionnels des terres…). Ils peuvent générer des ruptures d’approvisionnement et conséquemment ralentir le rythme de transition vers un énergie propre.

La gestion rigoureuse de l’exploitation des minerais critiques est devenue en conséquence un impératif qui s’impose à l’ensemble des acteurs concernés, les États et les entreprises notamment, mais aussi la société civile et la communauté internationale.

L’intégration des préoccupations environnementales aux premières étapes de la planification du projet participe des mesures à prendre pour assurer des pratiques durables à coût moindre.

La généralisation des Évaluations d’impact environnemental et social (EESI) en amont du projet, favorise de telles pratiques ainsi que la consolidation des mesures d’atténuation et des systèmes de compensation dans des plans de gestion environnementale intégrant par exemple les exigences règlementaires.

L’exploitation minière artisanale à petite échelle, employant souvent des enfants dans des conditions de travail dangereuses, gagnerait à être formalisée afin de pouvoir y introduire ces pratiques durables.

A l’échelle internationale, l’audit préalable (due diligence) est promu comme moyen pour atténuer les risques environnementaux et sociaux tout au long de la chaine d’approvisionnement en minéraux critiques. Le renforcement des capacités des acteurs aux différentes échelles et le partage des connaissances sont mis de l’avant pour combler les différents déficits de ressources entre les pays. Des initiatives comme le Forum intergouvernemental sur les mines, les minéraux, les métaux et le développement durable (IGF) et l’Initiative pour la gouvernance des ressources énergétiques (ERGI) y contribuent.

Conclusion

Au terme de son analyse, l’Agence Internationale de l’Énergie fait six recommandations clés qui sont présentées ici en guise de conclusion.

  1. Assurer des investissements adéquats dans des sources diversifiées de nouveaux approvisionnements grâce à des signaux forts de la part des décideurs quant à la vitesse de la transition énergétique et les trajectoires de croissance des principales technologies;
  2. Promouvoir l’innovation technologique aux différents niveaux de la chaîne de valeur grâce à des efforts soutenus de recherche et développement tant du côté de la demande que de la production;
  • Accroître le recyclage par l’incitation au recyclage, le soutien des activités de collecte et de tri efficaces, et le financement de la R&D sur de nouvelles technologies de recyclage;
  1. Améliorer la résilience de la chaîne d’approvisionnement et la transparence du marché grâce à des politiques de stockage stratégique et d’établissement de prix de référence fiables;
  2. Intégrer dans les pratiques des acteurs, des normes environnementales et sociales plus élevées par la sensibilisation des acteurs et surtout par des soutiens techniques et politiques adéquats;
  3. Renforcer la collaboration internationale entre producteurs et consommateurs en créant un cadre mondial de dialogue et de coordination des politiques doté notamment de mécanismes i) de fourniture de données fiables et transparentes, ii) de transfert de connaissance et de renforcement de capacité en pratique de développement durable, iii) de renforcement des normes de performance environnementale et sociale.

Ces recommandations devraient permettre, selon l’Agence, d’asseoir une nouvelle approche globale de la nécessaire sécurité minière, s’agissant en particulier des minerais critiques.

La communauté internationale et les gouvernements ont un rôle déterminant à jouer à ces différents niveaux.

[1] Global Shift Institute, Bulletins de novembre et décembre 2020, février, mars, mai et juin 2021, https://www.globalshift.ca/bulletins/ °

[2] AIE, The Role of Critical Minerals in Clean Energy Transitions , may 2021, https://www.iea.org/reports/the-role-of-critical-minerals-in-clean-energy-transitions/executive-summary