Rapport spécial de l’AIE sur les perspectives énergétiques de l’Afrique

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Bulletin GSI de février 2023

Rapport spécial de l’AIE sur les perspectives énergétiques de l’Afrique

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  1. Introduction

L’Agence Internationale de l’Énergie (AIE – IEA) publie chaque année, depuis 1998, son Word Energy Outlook (WEO – Perspectives énergétiques mondiales) qu’elle définit comme l’étalon-or de l’analyse énergétique. « Le WEO fournit, indique-t-elle, une analyse critique et des informations sur les tendances de la demande et de l’offre d’énergie, et ce qu’elles signifient pour la sécurité énergétique, la protection de l’environnement et le développement économique[1] ».

Le WEO utilise l’approche par scénarios qui permet, grâce à des simulations, de comparer différentes versions possibles de l’avenir ainsi que les leviers et actions qui les produisent, fournissant ainsi aux décideurs les moyens de faire des choix informés de stratégies opérationnelles pour l’évolution du système énergétique mondial.

En 2021, l’AIE a mis au point et adopté le Scénario Zéro Émissions Nettes d’ici 2050[2] centré sur des objectifs spécifiques et le chemin pour les atteindre, ces objectifs étant i) une trajectoire d’émissions en cohérence avec une élévation de la température moyenne mondiale en dessous de 1,5°C d’ici 2100, ii) l’accès universel aux services énergétiques modernes et iii) une amélioration décisive de la qualité de l’air.

Le modèle mondial Énergie-Climat[3] que l’Agence a conçu dans ce contexte pour déterminer comment faire la transition du système énergétique actuel vers un système à zéro émissions nettes d’ici 2050, constitue aujourd’hui le principal outil qu’elle utilise pour déterminer les perspectives énergétiques de long terme, secteur par secteur, région par région.

Dans le cadre du WEO 2022, un focus a été mis sur la Région Afrique avec un rapport spécial intitulé Africa Energy Outlook[4] (Perspectives énergétiques de l’Afrique). Ce rapport a été bâti autour du Scénario Afrique Durable (Sustainable Africa Scenario – SAS). Le Scénario SAS qui s’inscrit pleinement dans la dynamique d’un système énergétique mondial à zéro émissions nettes d’ici 2050, décrit les transformations nécessaires d’ici 2030 dans le système énergétique africain pour « le mettre sur une voie durable compatible à la fois avec les propres objectifs de développement du continent et les objectifs climatiques du monde dans son ensemble3 ».

Ce numéro du bulletin est centré sur ce rapport spécial. Il en donne les grandes lignes avant de présenter le Scénario SAS et les principales conclusions du rapport.

  1. Les grandes lignes du rapport spécial

Le rapport de 230 pages a été a été réalisé en coopération avec la Commission de l’Union africaine, la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique et plus de 20 experts africains de 15 pays différents, selon l’AIE. Il comprend quatre grandes parties intitulées respectivement i) État des lieux, ii) Scénario Afrique durable, iii) Domaines clés pour l’action politique et iv) Implications d’un système énergétique africain durable.

Le chapitre 1, État des lieux traite des nouveaux défis économiques auxquels l’Afrique fait face avec la Covid-19 et la crise ukrainienne, soulignant la faiblesse des réponses politiques à la pandémie, les pressions inflationnistes et le fardeau croissant de la dette. Il traite ensuite des impacts de la crise économique résultante sur le secteur de l’énergie et de leur responsabilité dans le recul marqué de l’accès aux services énergétiques modernes et le fort ralentissement du développement des infrastructure énergétiques, reconnaissant cependant le rebond, plutôt timide, de la production, en ce qui concerne les hydrocarbures. Il conclut avec les implications pour l’Afrique des annonces faites à Glasgow (COP26) et des nouvelles opportunités de financement que ces annonces induisent, s’agissant notamment des engagements pris pour le climat i) sur le plan mondial, ii) au niveau de l’Afrique et de ses différentes CDN (Contribution Déterminée au niveau National), et iii) au niveau de la finance climat.

Le chapitre 2, Scénario Afrique durable (SAS), décrit les transformations proposées dans le secteur énergétique de l’Afrique pour le mettre sur une voie durable compatible à la fois avec les propres objectifs de développement du continent et les objectifs climatiques du monde dans son ensemble. Il décrit ainsi comment devraient évoluer, dans ces perspectives, les différents paramètre caractéristiques du secteur de l’énergie : l’approvisionnement en énergie primaire, la consommation finale, la demande d’électricité, la place et la part des renouvelables et des combustibles fossiles, les infrastructures énergétiques …

Le chapitre 3, Domaines clés pour l’action politique, traite des préoccupations énergétiques majeures de l’Afrique essentielles pour l’avenir, lesquelles exigent une action politique forte. Les 4 domaines considérés sont i) l’Accès universel à l’électricité et à la cuisson propre, ii) la Construction d’un système électrique fiable basé sur les renouvelables, iii) le Rôle des combustibles et des ressources dont notamment la part que l’Afrique peut tirer des minéraux critiques et de l’hydrogène vert et iv) la Mobilisation des financements pour réaliser le nécessaire doublement de l’investissement dans le secteur de l’énergie. Pour chacun de ces domaines, le chapitre fait un état des lieux permettant i) d’évaluer le gap par rapport au Scénario SAS et ii) de déterminer la nature et le niveau des mesures à prendre pour combler ce gap. Il détaille par la suite ces mesures avec, dans certains cas, des chiffrages précis. Ainsi, pour que chaque africain ait accès à l’électricité d’ici 2030 comme le propose le SAS, il faut en raccorder en moyenne 90 millions (6% de la population actuelle) par année à compter de 2022.

Le chapitre 4, Implications d’un système énergétique africain durable, fait ressortir les bénéfices que le monde et surtout l’Afrique tireraient d’un système énergétique africain suivant le chemin de développement proposé dans le SAS. Ce chemin de développement permettrait de rapprocher l’élévation de la température moyenne mondiale de l’objectif 1,5°C en 2050 et de l’amener à 1,4°C en 2100, si le reste du monde inscrit sa trajectoire de développement dans la perspective du Zéro émissions nettes d’ici 2050. Il dégage des orientations et outille ainsi l’Afrique pour façonner elle-même son avenir en ce qui concerne notamment les infrastructures énergétiques, industrielles, de transport et de télécommunications.

L’Afrique réduit son exposition aux importations multiples :

  • en développant son industrie, notamment dans la production d’engrais, d’acier et de ciment, ainsi que dans l’assemblage local de véhicules, d’appareils électroménagers et de systèmes solaires domestiques,
  • en accélérant le processus de création du Marché Unique Africain prôné dans l’Agenda 2063, l’Afrique que Nous Voulons [5]

Autant de choix stratégiques qui permettent de créer des millions d’emplois décents notamment dans le secteur de l’énergie, dans l’industrie, le commerce et les mines.

  1. Le Scénario Afrique Durable (SAS)

Le Scénario Afrique durable (SAS) décrit une Afrique qui choisit un chemin de développement permettant d’atteindre tous ses objectifs liés à l’énergie, de réaliser ses Contributions Nationales Déterminées (CNDs) et de tenir les engagements annoncés à la COP26 en ce qui concerne l’objectif mondial de carboneutralité d’ici 2050 . Une Afrique qui place le développement économique et social au centre de ses préoccupations et qui se donne les moyens de réussir l’accès universel à une énergie moderne, fiable et abordable, sa toute première priorité, dans une perspective visant un niveau de vie et de sécurité plus élevé pour ses populations. Une Afrique qui mobilise les ressources nécessaires pour répondre à la demande croissante de services énergétiques des industries et des entreprises. Une Afrique qui tire avantage des différents flux financiers, ceux liés au climat notamment, pour réaliser les investissements stratégiques qu’exige la trajectoire de développement proposé par le SAS.

Voici, à titre indicatif, quelques-unes des transformations envisagées dans le secteur de l’énergie dans le SAS.

L’approvisionnement en énergie primaire moderne augmente d’un tiers au cours de la décennie 2020‐30, tandis que l’utilisation traditionnelle de la bioénergie pour la cuisson est éradiquée grâce à l’accès universel aux combustibles et technologies modernes.

Au niveau de la consommation finale, la part des ménages reste la plus élevée. Le confort domestique s’améliore avec la multiplication du nombre des appareil électroménagers (climatiseurs, ventilateurs, réfrigérateurs) qui a plus que doublé. Mais ces appareils sont choisis avec des normes minimales de performance énergétique permettant de limiter la vente de ceux qui sont les moins efficaces. Dans les bâtiments, les nouveaux codes de construction atténuent les impacts sur la demande d’énergie. Dans le transport, les restrictions de l’importation des voitures d’occasion inefficaces assurent des économies substantielles de combustibles fossiles. L’Afrique s’industrialise en privilégiant les technologies bas carbone.

La demande d’électricité connaît une croissance de 75% d’ici 2030. A cette date, les renouvelables, principalement le solaire photovoltaïque, constituent les nouveaux ajouts de capacités, le solaire et l’éolien représentant 27% de la production d’électricité, soit 8 fois leur part actuelle. L’Afrique a maintenu la décision prise en 2021 de ne plus construire de centrales au charbon une fois achevés les chantiers en cours.

La production de pétrole diminue considérablement avec la baisse de la demande d’exportation due aux stratégies de décarbonation des politiques mondiales de transition énergétique. La production de gaz naturel continue d’augmenter à court terme, en raison i) des découvertes majeures des années 2010 (Égypte, Mauritanie, Mozambique, Sénégal…) dont l’Afrique gagnerait à tirer avantage, et ii) de la demande pressante de GNL de la part de l’Europe, du fait de la crise ukrainienne, pour autant, cependant, que les infrastructures nécessaires sont au rendez-vous. L’Afrique commence à mettre à contribution ses énormes ressources renouvelables pour i) produire de l’hydrogène vert appelé à jouer un rôle de premier plan dans la transition, ii) l’utiliser dans son industrie ou iii) l’exporter.

  1. Les principales conclusions du rapport

Les simulations réalisées avec le Scénario Afrique Durable (SAS) et les analyses conduites ont permis à l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE – IEA) de dégager des éléments de stratégies et de politiques permettant « d’atteindre les objectifs de développement liés à l’énergie en Afrique à temps et dans leur intégralité ». Voici un aperçu de ces éléments[6] :

A- Une énergie abordable pour tous les Africains est la priorité immédiate et absolue

Cette priorité exige i) l’accès universel à une électricité abordable d’ici 2030 et ii) l’accès universel à des combustibles et des technologies de cuisson propres d’ici 2030.

Pour réaliser l’accès universel à une électricité abordable d’ici 2030, il faut raccorder 90 millions de personnes par an, soit à un rythme trois fois plus important que ces dernières années. Six cents (600) millions de personnes (43% de la population), principalement en Afrique subsaharienne, n’ont pas aujourd’hui accès à l’électricité. L’extension des réseaux nationaux se révèle dans ce contexte l’option la moins coûteuse et la plus prudente pour près de 45 % de ceux qui auront accès d’ici 2030. Dans les zones rurales, où vivent plus de 80% des personnes privées d’électricité, les mini-réseaux et les systèmes autonomes, principalement solaires, sont les solutions les plus viables.

Pour l’accès universel à des combustibles et des de technologies de cuisson propres, la cible est de 130 millions de personnes abandonnant chaque année les combustibles de cuisson sales d’ici 2030. Neuf-cent-soixante-dix (970) millions d’africains ont aujourd’hui recours à la cuisson sale. Le rythme et le taux d’amélioration proposés sont sans précédent. En Afrique subsaharienne par exemple, il faudra y aller 15 fois plus vite. Le gaz de pétrole liquéfié (GPL) est la principale solution dans les zones urbaines. Face aux récentes flambées des prix du pétrole, les pays réévaluent les programmes de subventions aux carburants propres, selon l’AIE, et explorent des alternatives telles que les cuisinières à biomasse améliorées, la cuisson électrique et les biodigesteurs. Les énormes avantages socio-économiques et de genre de la cuisson propre justifient les choix préconisés dans le SAS comme la poursuite et même le renforcement de la distribution et de l’utilisation du GPL fossile en attendant son remplacement progressif par le GPL renouvelable et le bio-GPL dont il faudra accélérer le développement.

Les efforts financiers nécessaires pour réaliser l’accès universel aux services énergétiques modernes se chiffrent à USD 25 milliards par an. Ils sont importants, mais ne représentent en fait que 1% de l’investissement mondial dans le secteur de l’énergie. Des réformes institutionnelles locales sont préconisées dans le SAS pour mobiliser les ressources nécessaires au développement des infrastructures utiles et à la recherche des solutions alternatives propres.

B- Alors que la demande de l’Afrique en énergie moderne augmente, l’efficacité permet de garder cette énergie abordable  

La demande de services énergétiques en Afrique est appelée à croître rapidement; garder cette énergie abordable demeure une priorité urgente. L’Afrique a le niveau de consommation d’énergie moderne per capita le plus bas au monde. Dans le SAS, la demande en énergie moderne de l’Afrique croît d’un tiers de 2020 à 2030 compte tenu de l’augmentation de la population et de la nécessaire amélioration du niveau de vie. Avec la flambée actuelle des prix dans le secteur de l’énergie, les efforts nécessaires peuvent s’avérer insoutenables. L’AIE préconise un soutien international à court terme en attendant des réponses internes plus appropriées comme l’efficacité ou la réduction des importations.

L’efficacité contribue à tempérer i) la croissance de la demande et réduit les importations de carburant, ii) le poids sur les infrastructures existantes et maintient les factures des consommateurs à un prix abordable. La demande d’électricité en 2030 est réduite de 30% grâce à l’efficacité énergétique et matérielle, malgré une demande croissante d’énergie pour la ventilation et la climatisation, une croissance due à l’urbanisation et au réchauffement climatique. La généralisation des codes du bâtiment et des normes de rendement énergétique, qui restreignent la vente des appareils et des lampes les moins efficaces, participe largement des solutions déployées.

Au fur et à mesure que l’industrie, le commerce et l’agriculture de l’Afrique se développent, le besoin d’utilisations productives de l’énergie augmente également. La demande pour l’industrie, le commerce et l’agriculture croît de 40% d’ici 2030 dans le SAS. Mais en privilégiant la production locale de véhicules, d’appareils électroménagers et des technologies énergétique avec des procédés et des techniques les plus récents et les plus efficaces, on réduit le fardeau de l’importation en même temps qu’on limite la croissance de la demande d’énergie. L’électrification des pompes d’irrigation permettant de limiter l’utilisation des pompes diésel et donc de réduire la consommation moyenne d’énergie, et l’extension des chaînes du froid, stimulent la productivité agricole et accroissent la possibilité d’approvisionnement des marchés urbains.

C- L’électricité sera le socle sur lequel se bâtira l’avenir économique de l’Afrique, l’énergie solaire jouant le premier rôle.

Dans le SAS, l’électricité est l’épine dorsale des nouveaux systèmes énergétiques africains, des systèmes de plus en plus alimentés par des énergies renouvelables. L’Afrique met en valeur son énorme potentiel en énergie solaire, un potentiel représentant 60% des meilleures ressources solaires mondiales et dont seulement 1% est aujourd’hui exploité. C’est déjà aujourd’hui la source d’énergie la moins chère dans la plupart de ses régions. Ce sera le cas dans toutes les régions en 2030. A cette date, les renouvelables (solaire, éolien, hydroélectricité et géothermie) représenteront 80% de la nouvelle capacité de production d’électricité. La décision de ne plus construire de nouvelles centrales au charbon quand seront achevées celles qui sont chantier a été suivie avec rigueur.

La flexibilité est essentielle pour intégrer davantage d’énergies renouvelables variables. Les interconnexions de réseau, l’hydroélectricité et les centrales au gaz naturel jouent dans ce contexte un rôle déterminant. Dans le SAS, la part des ERV (Énergies Renouvelables Variables) passe de 1 à 27% pour l’ensemble du continent, ce qui laisse supposer des parts encore plus importantes dans certains pays où ce taux atteint aujourd’hui 10% (Kenya, Maroc). Afin de garantir la stabilité des systèmes nationaux à dominance d’ERV et du système continental, les pools énergétiques régionaux sont mis à contribution pour renforcer la fiabilité de l’approvisionnement, notamment grâce aux interconnexions. Une série d’autres installations et de mesures sont développées pour assurer la nécessaire flexibilité, i) les centrales hydroélectriques, géothermiques et au gaz naturel dont le continent dispose en abondance, ii) le stockage d’énergie par pompage (STEP) ou électrolyse d’hydrogène et iii) la gestion de la demande et de l’approvisionnement, notamment par le signal prix ou les réseaux intelligents. Des réformes institutionnelles et règlementaires sont préconisées pour renforcer la santé financière des sociétés d’électricité et de la sorte garantir les nécessaires expansion et modernisation des infrastructures électriques.

D – La production de gaz et de pétrole est centré sur la satisfaction de la demande de l’Afrique au cours de cette décennie

L’industrialisation de l’Afrique repose en partie sur l’expansion de l’utilisation du gaz naturel. Dans le SAS, l’Afrique met à contribution les importants gisements de gaz naturel découverts au cours de la dernière décennie (5 000 milliards de mètres cubes, notamment en Égypte, Mauritanie, Mozambique et Sénégal) pour satisfaire la demande des industries d’engrais, de sidérurgie, de ciment ou de dessalement de l’eau qu’elle a développées. Les émissions cumulées de CO2 résultant de cette utilisation du gaz africain sur les 30 prochaines années ne porteraient la part totale de l’Afrique qu’à 3,5% des émissions mondiales, selon l’AIE. Elles n’auraient de ce fait qu’un impact marginal sur la trajectoire mondiale de zéro émissions nettes de CO2 d’ici 2050.

La production de pétrole et de gaz reste importante pour le développement économique et social de l’Afrique, mais l’accent est désormais mis sur la satisfaction de la demande intérieure.  L’Afrique et surtout les pays producteurs de pétrole et de gaz naturel risquent de connaître une baisse importante des revenus d’exportation liés à ces combustibles, du fait des efforts mondiaux visant l’accélération de la transition vers une énergie propre. Le SAS réaffecte ces ressources vers la demande intérieure qui représente en 2030 environ deux tiers de la production du continent. Le développement des infrastructures de stockage, de transport et de distribution pour répondre à cette demande est préconisé. En renforçant les politiques d’efficacité énergétique et d’expansion des renouvelables et d’autres technologies d’énergies propres, l’Afrique compense ce recours massif aux combustibles fossiles.

Les opportunités commerciales de court terme ne doivent pas détourner l’attention de la baisse future des revenus d’exportation de pétrole et de gaz. Il y a actuellement, avec la crise ukrainienne et la flambée subséquente des prix du pétrole et du gaz, des effets d’aubaine dont l’Afrique pourrait tirer avantage. L’union européenne est prête à divers compromis pour se passer du gaz russe et l’Afrique est en mesure, selon l’AIE, de fournir 30 Milliards de mètres cubes (mcc) d’ici 2030, mais aussi à très court terme, à hauteur de 10mcc, avec la réduction du torchage. Mais dans le SAS, elle ne perd pas de vue le fait que « les nouveaux projets gaziers à long terme risquent de ne pas récupérer leurs coûts initiaux si le monde réussit à réduire la demande de gaz pour atteindre zéro émissions nettes d’ici le milieu du siècle ».

E – Les minéraux critiques présentent pour l’Afrique une opportunité économique majeure

Les vastes ressources minérales de l’Afrique qui sont essentielles pour de multiples technologies d’énergie propre sont destinées à créer de nouveaux marchés d’exportation, mais doivent être bien gérées. Selon l’AIE, l’Afrique détient 40% des réserves mondiales de cobalt, de manganèse et de platine – des minéraux clés pour les batteries et les technologies de l’hydrogène. La RDC seule représente aujourd’hui 70% de la production mondiale de Cobalt. Le continent tient le 1er rôle en ce qui concerne le platine et contribue substantiellement à l’approvisionnement mondial pour le graphite, le manganèse ou le chrome, des minéraux de première importance pour les batteries et les autres technologies bas carbone. Dans le SAS, l’Afrique s’organise pour transformer cet avantage en ressources en avantages économiques, notamment en doublant les revenus qu’elle tire de ces minéraux dits critiques. Des réformes en matière de gouvernance et des investissements conséquents dans l’exploration et l’exploitation minières et la transformation des minerais, ainsi que dans les infrastructures de transport sont préconisées.

F – L’Afrique peut devenir un acteur de premier plan dans le domaine de l’hydrogène produit à partir des énergies renouvelables

L’Afrique dispose d’un énorme potentiel de production d’hydrogène à partir de ses riches ressources renouvelables. Avec ses 30 millions de km2 de superficie, l’Afrique dispose de l’espace et de l’un des plus grands potentiels au monde pour la production d’hydrogène à partir de l’électricité renouvelable à faible coût, une électricité en grande partie d’origine solaire, mais aussi éolienne dans les zones arides et semi-arides d’Afrique du Nord, de la Corne de l’Afrique et d’Afrique Australe. Selon l’AIE, le continent a le potentiel de produire 5 000 mégatonnes d’hydrogène par an à des coûts extrêmement concurrentiels (2 USD/kg, voire 1,5 USD/kg dans certaines régions) dans des rayons de moins de 200 km des côtes. Ce potentiel est équivalent à l’approvisionnement mondial en énergie d’aujourd’hui. Les usages possibles de l’hydrogène dans l’industrie (engrais, ciment, aciérie) ainsi que dans le transport et le secteur électrique comme substitut aux fossiles, situe l’intérêt de ce potentiel africain dans un monde en transition vers une économie à zéro émissions nettes. Au-delà des ressources qu’il permet de tirer de l’exportation, notamment vers l’Europe, les transformations qu’il met à portée de main des décideurs africains dans ces secteurs d’activité, créent les conditions d’un développement endogène réussi. Le SAS relève et souligne ces faits et préconise des réformes et des actions fortes pour que l’Afrique en tire avantage.

  1. Conclusion

Ce numéro du bulletin porte sur le rapport spécial Africa Energy Outlook (AEO) préparé par l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE – IEA) dans le cadre de ses Perspectives Énergétiques Mondiales de 2022 (World Energy Outlook – WEO 2022) et dans le contexte du processus préparatoire de la COP27 qui devait se tenir en Égypte fin 2022.

Africa Energy Outlook 2022 (AEO 2022) a été réalisé en coopération avec la Commission de l’Union africaine, la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique et plus de 20 experts africains de 15 pays différents, selon l’AIE. La qualité de l’information sur laquelle il s’appuie et les préconisations faites le reflètent.

Le bulletin a donné les grandes lignes du rapport spécial en insistant sur le Scénario Afrique Durable (SAS) à partir duquel il a été bâti, et sur ses principales conclusions.

Le Scénario Afrique durable (SAS) décrit une Afrique qui choisit un chemin de développement permettant d’atteindre tous ses objectifs liés à l’énergie, de réaliser ses Contributions Nationales Déterminées (CNDs) et de tenir les engagements annoncés à la COP26 en ce qui concerne l’objectif mondial de carboneutralité d’ici 2050

Les simulations et les analyses conduites sur la base de ce Scénario ont permis de dégager des éléments de stratégies et de politiques dont le bulletin s’est fait l’écho et dont voici un aperçu.

Dans l’Afrique durable, une énergie abordable pour tous les Africains est la priorité absolue, laquelle exige l’accès universel, d’ici 2030, i) à une électricité abordable et ii) à des combustibles et des technologies de cuisson propres. Les cibles sont respectivement i) 90 millions de personnes raccordées au système électrique par an et ii) 130 millions de personnes abandonnant chaque année les combustibles de cuisson sales.

L’Afrique durable fait de l’électricité le socle de son développement économique en mettant en valeur son énorme potentiel en énergie solaire, un potentiel représentant 60% des meilleures ressources solaires mondiales et dont seulement 1% est aujourd’hui exploité.

L’Afrique durable utilise par ailleurs ce potentiel solaire et ses autres ressources renouvelables pour devenir un acteur de premier plan dans le domaine de l’hydrogène vert. Elle a en effet la capacité d’en produire 5 000 mégatonnes par an, l’équivalent de la consommation mondiale d’énergie aujourd’hui, à des coûts extrêmement concurrentiels (2 USD/kg, voire 1,5 USD/kg).

L’Afrique durable recentre ses ressources pétrolières et gazières sur la satisfaction de la demande de l’Afrique. Elle met à contribution les importants gisements de gaz naturel découverts au cours de la dernière décennie, notamment en Égypte, en Mauritanie, au Mozambique et au Sénégal, pour développer et étoffer son tissu industriel, notamment dans la production d’engrais, d’acier et de ciment, ainsi que dans l’assemblage local de véhicules, d’appareils électroménagers et de systèmes solaires domestiques.

L’Afrique durable prend le contrôle de ses minéraux critiques de première importance pour les technologies bas carbone. Le continent détient en effet 40% des réserves mondiales de cobalt, de manganèse et de platine. Il contribue substantiellement à l’approvisionnement mondial pour le graphite, le manganèse ou le chrome. La RDC seule représente aujourd’hui 70% de la production mondiale de Cobalt

Une information abondante et détaillée sur les actions et les réformes nécessaires pour réussir cette transition est fournie dans le rapport spécial. Son analyse devrait permettre i) aux différents porteurs d’enjeux africains de prendre les décisions éclairées de long terme garantissant cette réussite et ii) à la communauté internationale de mieux cibler son appui dans cette perspective

Pour le Directeur Exécutif de l’AIE, Dr Fatih Birol « cette décennie est cruciale non seulement pour l’action climatique mondiale, mais aussi pour les investissements fondamentaux qui permettront à l’Afrique – qui abrite la population la plus jeune du monde – de prospérer dans les décennies à venir ».

L’Afrique dispose, dans ce contexte, des bases d’un développement clés en tête (Ki Zerbo)[7] lui permettant de transformer ses avantages en ressources en avantages économiques.

A bon entendeur salut !

[1] IEA, World Energy Outlook, https://www.iea.org/topics/world-energy-outlook

[2] IEA, Net Zero Emissions Scenario, https://www.iea.org/reports/global-energy-and-climate-model/net-zero-emissions-by-2050-scenario-nze

[3] IEA, Global Energy and Climate Model, https://iea.blob.core.windows.net/assets/2db1f4ab-85c0-4dd0-9a57-32e542556a49/GlobalEnergyandClimateModelDocumentation2022.pdf

[4] IEA, Africa Energy Outlook, WEO, Special Report, June 2022, https://www.iea.org/reports/africa-energy-outlook-2022

[5] GSI, L’Agenda 2063, l’Afrique que nous voulons, 2020, https://www.globalshift.ca/agenda-2063-lafrique-que-nous-voulons/

[6] L’essentiel de l’information donnée ici est tiré de IEA, Africa Energy Outlook Key Findings, https://www.iea.org/reports/africa-energy-outlook-2022/key-findings

[7] Amandé Badini, Joseph Ki-Zerbo- Le Développement clés en tête, https://www.altersocietal.org/documents/pekeanewsletter/Badini-KiZerbo-Fr-NL15.pdf