Rapport de synthèse du sixième cycle d’évaluation du GIEC

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Bulletin GSI d’avril 2023

Rapport de synthèse du sixième cycle d’évaluation du GIEC

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Sibi Bonfils, GSI

  1. Introduction

La boucle est bouclée. Le processus d’évaluation, le sixième du genre, lancé par le Groupe Intergouvernemental d’Experts sur l’évolution du Climat (GIEC) en 2015 vient de s’achever. Ce processus a été marqué par la production de 3 rapports spéciaux et par les contributions des trois groupes spécialisés de travail du GIEC, lesquelles ont fait l’objet d’une présentation motivée dans ce bulletin[1].

Les rapports spéciaux ont porté sur les thèmes spécifiques suivants :

 
  • Réchauffement planétaire de 1,5 °C, octobre 2018;
  • Le changement climatique et les terres immergées, août 2019;
  • Les océans et la cryosphère dans le contexte du changement climatique, septembre 2019.

Les contributions des groupes de travail I, II et III au 6e cycle d’évaluation ont été respectivement les suivantes :

  • Changement climatique 2021: Les éléments scientifiques (WGI), août 2021.
  • Changement climatique 2022: Impacts, adaptation et vulnérabilité (WGII), février 2022.
  • Changement climatique 2022: Atténuation du changement climatique, avril 2022.

Le rapport de synthèse du 6e cycle d’évaluation[2] adopté et rendu public le 19 mars 2023, a été bâti à partir des conclusions et recommandations de ces trois contributions et des 3 rapports spéciaux. Il reconnaît, et le dit explicitement, que « les activités humaines ont, sans équivoque, causé le réchauffement climatique, avec une température de surface mondiale dépassant de 1,1°C sur la période 2011-2020, son niveau de la période 1850-1900 »

Ce numéro du bulletin porte sur ce rapport de synthèse. Il en donne un aperçu illustré centré sur ses messages clés avec, en amont, des éléments de contenu qui le structurent.

  1. Le rapport de synthèse

Le Rapport de Synthèse du sixième cycle d’évaluation du GIEC résume l’état des connaissances scientifiques i) sur le changement climatique, ses impacts et risques généralisés, et ii) sur l’atténuation et l’adaptation à ces risques. S’appuyant sur plusieurs cadres analytiques, dont ceux des sciences physiques et sociales, il identifie et propose différents types d’actions transformatrices réalisables, justes et acceptables. Il se compose d’un Résumé à l’intention des décideurs (SPM) et d’un document plus détaillé destiné aux autres acteurs, dont notamment les scientifiques. Les deux documents sont organisés autour des 3 principales sections suivantes : i) Situation actuelle et tendances, ii) Avenirs du climat et du développement à long terme et iii) Réponses à court terme dans un climat en évolution.

Dans la Section 1, la situation actuelle et les tendances sont décrites à travers le réchauffement observé et ses causes, les changements observés au niveau du climat et leurs impacts, les réponses proposées en termes de politique mondiale et d’actions tant pour l’atténuation que pour l’adaptation. Le constat clair que fait le GIEC est que le réchauffement climatique est indubitable et que « les actions et politiques d’atténuation et d’adaptation actuelles ne sont pas suffisantes ». Il relève des écarts importants entre d’une part ces politiques et les promesses des Parties et d’autre part, les choix qui doivent être faits pour contenir le réchauffement et réussir l’adaptation. L’insuffisance des financements affectés aux actions constitue, pour lui, la principale cause de ces écarts.

La Section2, Avenirs du climat et du développement à long terme, présente les résultats des simulations du climat sur le long terme, d’ici 2100 et au-delà, en ce qui concerne :

  • les impacts et les risques associés, poussant l’analyse jusqu’aux risques de changements brusques et irréversibles extrêmement dommageables pour la survie des espèces et des écosystèmes, ainsi que pour la santé humaine et l’économie;
  • les options d’adaptation à ces impacts et leurs limites dont la plupart seront atteintes ou dépassées avec l’augmentation du réchauffement, causant des pertes et dommages considérables, le plus souvent chez les plus pauvres et les plus vulnérables;
  • les trajectoires d’atténuation traitant du budget carbone à ne pas dépasser si l’on veut garder le réchauffement en dessous d’un certain seuil (500 Gt de CO2 à compter de 2020 pour 1,5°C), de l’approche zéro émissions nettes et des actions sectorielles (sortie des fossiles, énergies renouvelables, reforestation et afforestation…) à mettre en œuvre pour mettre le développement sur les trajectoires vertueuses;
  • les interactions sur le long terme entre les actions d’adaptation, d’atténuation et de développement durable, s’intéressant aux synergies à développer, aux compromis à gérer, aux coûts à minimiser et aux bénéfices à maximiser. L’importance des approches intégrées visant le développement durable est soulignée, suggérant de privilégier les politiques d’adaptation et d’atténuation qui orientent le développement vers la durabilité.

La Section 3, Réponses à court terme dans un climat en évolution, traite de l’importance et de l’urgence des actions climatiques de court terme en mettant notamment l’emphase sur leurs bénéfices et sur les mesures sectorielles d’atténuation et d’adaptation devant être prises rapidement pour limiter les pertes et les dommages dus au changement climatique. Elle porte notamment sur :

  • Le timing et l’urgence de l’action climatique, soulignant avec force, que « l’ampleur et le rythme du changement climatique et des risques associés dépendent fortement des mesures d’atténuation et d’adaptation à court terme», une autre façon de dire que c’est maintenant, au cours de cette décennie, qu’il faut mettre en œuvre des actions vigoureuses et soutenues dans ces deux domaines ;
  • Les bénéfices liés au renforcement des actions à court terme, couvrant en particulier la réduction substantielle des pertes et dommages projetés, avec comme conséquence, la préservation et une amélioration sensible du bien-être humain et de la santé des écosystèmes. Les co-bénéfices sont nombreux, une meilleure qualité de l’air ambiant, des coûts maitrisés. Mais des perturbations majeures au niveau du système économique actuel, comme le déclassement potentiel de certains grands secteurs d’activité (hydrocarbures) doivent être anticipées et contenues ;
  • Les mesures sectorielles de court terme pour l’adaptation et l’atténuation, permettant d’opérer les profondes et rapides transitions dont il est besoin dans tous les secteurs et systèmes pour parvenir aux niveaux de réduction des émissions compatibles avec les trajectoires vertueuses d’émission. Ces mesures connues et disponibles ont été détaillées ici en particulier pour l’énergie, l’industrie, les établissements humains, les terres, les océans et l’eau, les systèmes de santé et de nutrition, les systèmes sociaux et économiques.
  • Les avantages connexes de l’adaptation et de l’atténuation pour les objectifs de développement durable, soulignant les multiples synergies existant entre les Objectifs de Développement Durable (ODD) et les actions d’atténuation et d’adaptation, mais aussi les antagonismes. Les premières excèdent les seconds. Voici un exemple, parmi plusieurs autres cités ici, de ces riches liens : « L’éradication de l’extrême pauvreté et de la pauvreté énergétique, et l’atteinte d’un niveau de vie décent pour tous, conformément aux objectifs de développement durable à court terme, peuvent être réalisées sans une croissance significative des émissions mondiales».

Trois autres aspects touchant les réponses à court terme concluent cette section, la gouvernance et les politiques dédiées, les moyens (financement, technologie et coopération internationale) qu’il faut mobiliser pour renforcer les réponses à court terme et l’intégration réussie de ces réponses dans les secteur et systèmes d’activité.

  1. Les messages clés

Les messages clés autour desquels est organisé le Résumé à l’intention des décideurs, sont au nombre de 18, quatre (4) pour le Section1, sept (7) pour la section 2 et sept (7) pour la Section 3. On en trouvera une traduction en annexe. La quintessence de ces messages a été donnée dans la présentation faite par le GIEC à l’occasion du lancement du Résumé pour les décideurs.

Le GIEC n’y reprend cependant pas le message de base selon lequel « les activités humaines ont, sans équivoque, causé le réchauffement climatique ». C’est que ce message a été répété pendant tout le cycle d’évaluation tant dans les rapports spéciaux, que dans les contributions des groupes de travail.

  1. La présentation commence par un avertissement : « Le rythme et l’ampleur de l’action climatique sont insuffisants pour réussir la lutte contre le changement climatique». Les ambitions nationales déclarées ne sont pas à la hauteur tant pour l’atténuation que pour l’adaptation. Les obstacles systémiques en matière de financement, de savoir et savoir-faire ainsi que de connaissances et de données sur le climat entravent les progrès. La mal-adaptation augmente, affectant surtout les populations vulnérables.
  2. Les conséquences de telles insuffisances sont que « les impacts négatifs des changements d’origine humaine s’intensifieront» avec des risques de pénurie d’eau et de nourriture, des risques sur la santé et le bien-être humains, sur les établissements humains et les infrastructures, et sur les écosystèmes et la biodiversité.
  3. Le GIEC fait le constat suivant qui sonne aussi comme un avertissement : « Les extrêmes deviennent plus répandus et prononcés à chaque augmentation du réchauffement» qu’il s’agisse des canicules, des fortes précipitations, de la sécheresse ou des tempêtes tropicales. C’est ce que laisse présager l’augmentation soutenue et non maîtrisée des émissions de gaz à effet de serre. « Avec la poursuite du réchauffement, chaque région devrait connaître de plus en plus de changements simultanés et multiples dans les facteurs d’impact climatique », indique-t-il
  4. Des raisons d’espérer et de rester optimiste existent cependant, indique le GIEC. En voici trois :
  • La généralisation, dès maintenant, d’une action climatique efficace et équitable réduira les pertes et les dommages pour la nature et les personnes. L’une des principales conclusions du Sixième Cycle d’évaluation est qu’il est urgent d’agir et que c’est maintenant qu’il le faut pour éviter les changements irréversibles. Par-dessus tout, indique le GIEC, les choix faits et les actions mises en œuvre au cours de cette décennie auront des impacts maintenant et pour les milliers d’années à venir.
  • L’action pour le climat offre des co-bénéfices qui suffisent à la justifier. L’amélioration de la qualité de l’air qu’elle induit ou la mobilité active qu’elle exige sont bénéfiques pour la santé humaine. De façon générale, elle a de multiples synergies avec le développement durable. Qu’il s’agisse de l’atténuation ou de l’adaptation, les actions mises en œuvre contribuent à la réalisation des ODD.
  • De multiples options réalisables et efficaces sont disponibles pour réduire les émissions de GES et s’adapter aux changements climatiques d’origine humaine. L’Agence Internationale de l’énergie en propose une panoplie pour l’énergie dans son scénario Zéro émissions nettes. Dans le domaine de l’agriculture, l’amélioration des cultivars, l’agroforesterie ou l’agriculture urbaine participent de ces options dont un large aperçu est donné dans la figure ci-dessous
  1. Plusieurs défis doivent cependant être relevés si l’on veut transformer cet espoir en réalité, indique le GIEC. Il en cite quelques-uns dans la présentation, parmi les plus importants :
  • Réduire les émissions rapidement et fortement pour créer un monde plus sûr et durable
  • Mettre à l’échelle requise les pratiques et les infrastructures pour renforcer la résilience
  • Réduire les émissions mondiales de GES de près de moitié d’ici 2030

Et c’est suivant les multiples dimensions de la réalité que l’action doit être conduite, en tirant avantage des options d’atténuation et d’adaptation déjà testées et éprouvées, et compte bien tenu des contextes, nationaux, socio-économiques et culturels, où elles sont mises en œuvre.

  1. L’équité doit être au cœur des choix de solutions, lesquels seront guidés par les réalités suivantes :
  • Les personnes qui ont le moins contribué au changement climatique sont souvent les plus vulnérables face à ses impacts.
  • Des millions de personnes sont exposées à une insécurité alimentaire aiguë et disposent d’une sécurité hydrique réduite.
  • Les impacts les plus importants se situent dans certaines parties de l’Afrique, de l’Asie, de l’Amérique centrale et du Sud, dans les PMA et les petites îles, et dans l’Arctique.
  • Les personnes vivant dans des zones très vulnérables sont jusqu’à 15 fois plus susceptibles de mourir lors d’inondations, de sécheresses ou de tempêtes (par rapport à celles vivant dans les zones les plus résilientes)
  1. L’augmentation du financement pour l’action climatique est une des principales clés de sa réussite.
  • Il faut 3 à 6 fois l’investissement climatique actuel, selon le GIEC, pour répondre aux besoins ;
  • Mais en ce qui concerne l’atténuation, les financements mondiaux sont suffisants pour réduire rapidement les émissions ;
  • Les pays en développement ont besoin de financements extérieurs pour répondre aux besoins d’adaptation ;
  • Des options sont disponibles pour augmenter le niveau de financement, à commencer par la tenue de l’engagement pris à Copenhague par les pays développés de mobiliser 100 milliards USD pour le financement de l’action climatique dans les pays en développement. Une plus grande utilisation des fonds publics comme garantie pour réduire les risques et mobiliser le financement privé à moindre coût est une autre option.
  1. La voie à privilégier pour garantir cette réussite est celle d’un développement résilient au changement climatique, indique le GIEC. Cette voie exige l’Intégration de mesures d’adaptation spécifiques, notamment celles comprenant des actions permettant de réduire les émissions tout en offrant des avantages plus larges, comme i) l’amélioration de la santé et des moyens de subsistance des populations, ii) la réduction de la pauvreté et de la faim, et iii) la généralisation de l’accès à l’énergie, à l’eau et à l’air propres.
  2. Les facteurs clés pour une action climatique efficace sont i) un engagement politique fort, ii) un partage soutenu des divers savoirs et savoir-faire, iii) une coopération internationale active, iv) une gestion durable des écosystèmes et v) une gouvernance inclusive, dans la prise en compte des intérêts des différentes parties prenantes.
  3. Le facteur humain est déterminant, d’où l’importance i) d’un climat de confiance dans les processus, ii) de la collaboration à tous les niveaux et iii) du partage équitable des bénéfices et des charges, en reconnaissant que certaines personnes peuvent contribuer plus que d’autres au succès.
  4. Conclusion

Ce numéro du bulletin porte sur le Rapport de Synthèse du 6e Cycle d’évaluation du Groupe Intergouvernemental d’Experts sur l’évolution du Climat (GIEC) rendu public le 19 mars dernier.

Dans ce rapport bâti à partir des conclusions et recommandations des contributions de ses trois groupes spécialisés de travail et des 3 rapports spéciaux qu’il a publiés sur la période d’évaluation, le GIEC propose un résumé opérationnel de l’état des connaissances scientifiques sur les changements climatiques et des preuves matérielles de ces changements.

C’est désormais sans ambiguïté, sans équivoque indique-t-il, qu’il se prononce sur le réchauffement climatique et ses impacts, et sur les mesures que le monde prend pour les atténuer ou pour s’y adapter. « Les activités humaines ont, sans équivoque, causé le réchauffement climatique, avec une température de surface mondiale dépassant de 1,1°C son niveau de la période 1850-1900 » et, ajoute-t-il, « Le rythme et l’ampleur de l’action climatique sont insuffisants pour lutter contre le changement climatique »

Il donne un aperçu des tendances et des risques, ainsi que des réponses envisagées pour le long terme. Il récapitule les mesures spécifiques qui doivent être prises dès maintenant pour, à la fois, prévenir un réchauffement catastrophique et soutenir l’adaptation aux changements inévitables.

Le message qui clôture la présentation qu’il a faite lors du lancement du Rapport de Synthèse, attire notre attention sur l’importance stratégique des décisions que nous prenons aujourd’hui en ce qui concerne l’action climatique, notamment pour l’atténuation et l’adaptation. « Nos choix se répercuteront sur des centaines, voire des milliers d’années », nous dit-il. Avec la panoplie des mesures détaillées, chiffrées et synthétisées dans moult Résumés à l’intention des Décideurs, le monde dispose de toute l’information dont il est besoin pour décider, pour faire ces choix.

Ce qu’il faut savoir cependant, et que le GIEC n’a cessé de répéter tout au long de son 6ème Cycle d’évaluation, c’est que ces choix sont déterminants pour la réponse à la question « Quelle Terre nous voulons laisser aux générations futures, celles auxquelles nous l’empruntons ? ». Le GIEC nous dit, sans ambages, que « c’est maintenant ou jamais » que ces choix doivent être faits.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Annexes

 

 

 

 

 

 

 

[1] GSI, Bulletin septembre 2021, avril et mai 2022, https://www.globalshift.ca/bulletins/page/2/

[2] IPCC, AR6 Synthesis report, 2023, https://www.ipcc.ch/report/ar6/syr/