Le bilan mondial des transitions énergétiques de l’AIE

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Bulletin GSI, mai 2023

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Le bilan mondial des transitions énergétiques de l’AIE

  1. Introduction

L’Agence Internationale de l’Énergie (AIE) propose, dans son champ de compétence, un suivi des progrès vers l’Accord de Paris sur le climat avec son Bilan mondial des transitions énergétiques.

Le bilan mondial des transitions énergétiques de l’AIE rassemble sur un portail dédié[1] une information de première main permettant de suivre les progrès réalisés à l’échelle mondiale dans le domaine de la transition énergétique. L’information fournie comprend les données et analyses i) sur la transition mondiale vers une énergie propre et ii) sur les émissions de gaz à effet de serre du secteur de l’énergie, les développements technologiques, l’accès à l’énergie, le financement du secteur et la création d’emplois dans le secteur.

Une série d’indicateurs mondiaux de suivi produits par l’AIE participent du bilan et donnent « une image précise et objective de la situation actuelle et des trajectoires sur lesquelles nous nous trouvons » par rapport à l’objectif zéro émissions nettes qui reste le seul garant d’un réchauffement climatique en dessous de 1,5°C.

Ce numéro du bulletin est centré sur ces indicateurs et sur l’état de la situation qu’ils donnent d’un certain nombre de facteurs déterminants pour l’atteinte de la carboneutralité à l’échelle mondiale. Il propose, en amont, un rappel succinct du contexte dans lequel l’AIE réalise son bilan des transitions énergétiques. Ce contexte est celui du processus préparatoire du premier Bilan mondial de la mise en œuvre de l’Accord de Paris sur le climat.

  1. Processus préparatoire du premier bilan mondial de l’Accord de Paris sur le climat

Le bilan mondial des transitions énergétiques que conduit l’AIE s’inscrit dans le cadre du processus préparatoire du 1er Bilan mondial de la mise en œuvre de l’Accord de Paris sur le climat. Selon les dispositions de l’article 14 de cet Accord, un bilan périodique de sa mise en œuvre doit être fait tous les 5 ans « afin d’évaluer les progrès collectifs accomplis dans la réalisation de son objet et de ses buts à long terme ». Les résultats de ce bilan devraient permettre d’éclairer les Parties dans l’actualisation et le renforcement de leurs mesures, les Contributions Déterminées au niveau National (CDN) notamment, et de leurs appuis en ce qui concerne les pays développés.

Le 1er Bilan mondial est prévu pour 2023. La Conférence des Parties Agissant comme réunion des Parties à l’Accord de Paris sur le climat (CMA)[2] est engagée dans le processus de préparation et de réalisation de ce Bilan depuis novembre 2021, à sa 3e Session (CMA3). L’exercice devrait se terminer en novembre 2023 à la CMA6. Les principales composantes du Bilan sont :

  1. La collecte et la préparation de l’information dont l’objet est de recueillir, compiler et synthétiser les données et les informations dont il est besoin pour l’évaluation technique et l’analyse. L’information recherchée[3] concerne notamment i) l’état des émissions par les sources et des absorptions par les puits de gaz à effet de serre et les mesures d’atténuation prises par les Parties, ii) l’effet global des CDN des Parties et les progrès globaux accomplis par les Parties dans la mise en œuvre de leurs CDN, iii) les flux financiers et iv) les bonnes pratiques, expériences et possibilités de renforcer la coopération internationale en matière d’atténuation et d’adaptation;
  2. L’évaluation technique dont l’objectif est de faire le point i) sur les progrès collectifs vers l’atteinte du but de l’Accord de Paris et la réalisation de ses objectifs à long terme, ii) sur les possibilités d’action et de soutien renforcés notamment en matière de coopération internationale pour l’action climatique. Les rapports du GIEC et en particulier ceux de son 6e cycle d’évaluation seront mis à contribution dans ce contexte. Une série de trois dialogues techniques ouverts, inclusif et transparents prévus dans le cadre de l’évaluation technique devraient permettre l’engagement et la collaboration des corps constitué, des forums, des experts et des différents organes de l’Accord de Paris ou de la Convention climat;
  3. La prise en compte des extrants dont l’objectif est d’analyser les résultats de l’évaluation technique dans le but de fournir aux Parties l’information dont elles ont besoin pour mettre à jour et renforcer, d’une manière déterminée au niveau national, leurs actions et leurs éventuels soutiens aux autres Parties. Cette analyse est conduite dans le cadre d’évènements de haut niveau où les conclusions de l’évaluation technique et leurs implications sont présentées aux Parties et débattues.

Il est attendu de tout cet exercice qu’il permette :

  • D’identifier les opportunités et les défis pour le renforcement de l’action de toutes les parties prenantes et le soutien du progrès collectif par thème;
  • D’identifier les mesures possibles et les bonnes pratiques au niveau de l’action climatique et de la coopération internationale en la matière;
  • De résumer les messages politiques clés, comprenant les recommandations pour renforcer l’action et améliorer les soutiens.

La finalité reste la mise à niveau des efforts de lutte contre le changement climatique pour qu’ils soient à la hauteur des défis d’un monde qui maîtrise l’évolution de son climat et qui réussit à s’adapter aux impacts résiduels de son réchauffement.

  1. Le bilan mondial des transitions énergétiques

Le bilan mondial des transitions énergétiques que propose l’AIE participe, comme déjà indiqué, des efforts déployés par la communauté internationale pour dresser un bilan constructif de la mise en œuvre de l’Accord de Paris. L’AIE s’appuie pour cela sur les résultats des remarquables analyses conduites avec son Scénario zéro émissions nettes d’ici 2050 (ZÉN250)[4]. Ce Scénario définit une trajectoire d’émissions compatible avec la limitation de la hausse de la température à 1,5°C. Un bref rappel illustré des solutions clés préconisées pour suivre et rester sur cette trajectoire est indiqué pour comprendre l’intérêt du bilan.

2.1. Les solutions clés du Scénario ZÉN2050

Le Scénario zéro émissions nettes d’ici 2050 (ZÉN2050) se veut une feuille de route vers la carboneutralité pour le secteur mondial de l’énergie. Il définit pour ce faire, plus de 400 jalons quant à ce qui doit être fait, et quand, pour réussir la décarbonation de l’économie mondiale d’ici 2050 et de la sorte éviter au monde les pires effets du changement climatique. Il préconise dans ce contexte d’accélérer le passage à des sources d’énergie non émettrices, telles que l’éolien et le solaire; d’accroître l’efficacité énergétique; d’électrifier les transports, l’industrie et les bâtiments ; de développer l’utilisation d’hydrogène propre et d’autres carburants à faibles émissions ; et d’investir dans les technologies de réduction des émissions, y compris les technologies à émissions négatives.

Les graphiques ci-dessous donnent un aperçu des étapes essentielles sur la feuille de route pour quelques-unes des solutions clés préconisées.

 

2.1. Les indicateurs mondiaux de suivi des transitions

Le bilan des transitions énergétiques que propose l’AIE comprend des rapports d’analyse portant sur les grands enjeux et défis de ces transitions, comme le marché des énergies renouvelables, les technologies énergétiques, avec notamment le guide des technologies d’énergie propre, les dépenses des gouvernements, l’état de l’investissement mondial et l’emploi dans le secteur, l’accès à l’électricité, la production de l’hydrogène vert… « La publication d’un nouveau rapport spécial sur le climat qui explorera des voies viables dans le secteur de l’énergie jusqu’à 1,5°C » devrait être le point culminant de cet exercice.

La série d’indicateurs mondiaux de suivi des transitions que l’AIE renseigne et diffuse régulièrement participe de cet exercice. Ces indicateurs permettent de situer les progrès par rapport aux jalons rappelés ci-dessus. Les graphiques et les commentaires ci-dessous fixent l’état de quelques-uns de ces indicateurs donnant ainsi un aperçu du chemin parcouru et des écarts qui restent à combler.

  1. Selon l’AIE[5], l’économie de l’énergie propre gagne du terrain. L’électrification du transport, s’agissant notamment des véhicules légers de tourisme, et l’éclairage efficace étaient « pleinement sur la bonne voie en 2021 pour atteindre leurs jalons de 2030». 30 autres secteurs et technologies clés de l’énergie propre sur les 55 dont l’AIE assure le suivi, « connaissent des tendances positives, même s’il faut plus d’efforts pour les mettre sur la bonne voie »
  2. Les chaînes d’approvisionnement en énergie propre se sont considérablement développées en 2022 avec des ajouts de capacité de 72% pour les batteries, 39% pour le solaire photovoltaïque, 26% pour les électrolyseurs et 13% pour les pompes à chaleur. Si les annonces se concrétisent, la capacité de fabrication de panneaux solaires photovoltaïques et de batteries pourrait atteindre les niveaux de déploiement nécessaires en 2030 pour réaliser l’objectif zéro émissions nettes d’ici 2050.
  3. Les véhicules électriques représentent désormais 15% du marché mondial de l’automobile contre 5% deux ans plus tôt. Leurs ventes ont dépassé 10 millions d’unités en 2022 et devraient atteindre 14 millions en 2023, portant leurs parts à 18%. La chine, suivie des États-Unis et de l’Europe, représenterait 60% de toutes les voitures électriques vendues dans le monde en 2022. Les perspectives mondiales sont haussières grâce à des politiques publiques extrêmement favorables (novelles normes de CO2 en Europe, aides gouvernementales…) 
  4. Les ventes mondiales de pompes à chaleur poursuivent une croissance à deux chiffres. Au taux actuel, elles doubleraient presque leur part dans le chauffage des bâtiments d’ici 2030. Le soutien politique et des incitatifs divers ont été les principaux moteurs à la base de la hausse de leur adoption en Europe (près de 40%) et aux États-Unis où leurs achats ont dépassé ceux des générateurs d’air chaud à gaz.
  5. Le portefeuille de projets de production d’hydrogène à faibles émissions se développe à une vitesse impressionnante. Cet hydrogène ne représente cependant qu’une part infime de la demande d’hydrogène qui était de 94 millions de tonnes en 2021, une demande dont la majeure partie a été satisfaite avec l’hydrogène produit à partir des combustibles fossiles. La quasi-totalité de l’hydrogène à faibles émissions de 1Mt consommé en 2021 provient, elle aussi, des combustibles fossiles avec utilisation du Captage, Utilisation et Stockage du Carbone (CUSC). Les choses devraient changer avec la mise en place de capacités de production d’hydrogène par électrolyseurs. L’achèvement des projets en portefeuille porterait les capacités de production installées à 290 GW en 2030 contre seulement 0,1 GW en 2021.
  6. Les capacités de Captage, Utilisation et Stockage du Carbone (CUSC) devraient prendre de l’expansion si les projets prévus sont mis en service. L’objectif de 300 millions de tonnes de capacité pourrait être atteint d’ici 2030, presque l’équivalent des émissions annuelles des pays comme la France, la Pologne ou l’Italie en 2021.
  7. Les investissements dans les énergies propres ont atteint un niveau record en 2022 dépassant dans certains cas ceux consacrés aux énergies fossiles. « Pour chaque dollar investi dans les combustibles fossiles, environ 1,7 dollar est maintenant investi dans l’énergie propre. Il y a cinq ans, ce ratio était de un pour un », indique l’AIE. La sécurité d’approvisionnement, la lutte contre le changement climatique et les enjeux de l’accès universel à l’énergie à des coûts abordables ont en effet considérablement renforcé les choix en faveur des options énergétiques plus durables. La crise énergétique courante exacerbée par les tensions géopolitiques actuelles et les risques induits sont venues conforter ces options.Ces investissements restent cependant concentrés dans un nombre limité de pays, dont notamment la Chine, l’Union européenne, les États-Unis et le Japon, qui représentent plus de 90% des augmentations.



    Les économies émergentes et en développement accusent des retards notables qui doivent être rapidement comblés si l’on veut mettre le monde sur la bonne trajectoire, celle du zéro émissions mondiales nettes d’ici 2050.


  8. L’accès Universel aux services énergétiques et abordables a connu un léger revers en 2022, le nombre de personnes sans accès à l’électricité ayant augmenté au cours de cette année. Ce recul touche principalement l’Afrique subsaharienne où le nombre de personnes sans accès est presque revenu à son pic de 2013, effaçant des années d’amélioration selon l’AIE.
  9. Les émissions de CO2 continuent de croître, même si cette croissance est restée plus faible en 2022 que ce qui est redouté. Elle a été de 0,9% comparée au rebond de 6% de 2021. Le déploiement soutenu des technologies d’énergies propres telles que les énergies renouvelables, les véhicules électriques et les pompes à chaleur, a permis d’éviter la surchauffe en 2022. Cette année a en effet été marquée par des hausses spectaculaires de l’inflation et des prix de l’énergie, et par des perturbations dans les flux commerciaux des combustibles traditions du fait des tensions géopolitiques consécutives à la crise ukrainienne.
  10. Le renforcement de la collaboration internationale reste de la première importance pour limiter, voir éviter de tels revers et surtout pour accélérer et faciliter les transitions bas-carbone, et en réduire les coûts. « En alignant et en coordonnant les actions au niveau international, les pays et les entreprises peuvent accélérer l’innovation, créer des signaux plus forts pour l’investissement et des économies d’échelle plus importantes, et établir des règles du jeu équitables là où cela est nécessaire de sorte à assurer que la concurrence soit un moteur de la transition, et non un frein», indique l’AIE.  C’est sur la base de ces considérations qu’a été mis en place à la COP26, l’Agenda Révolutionnaire pour l’accélération des transitions sectorielles. L’Agenda conçu pour renforcer la collaboration internationale en décarbonation dans des secteurs clés, a fait l’objet d’un premier rapport en 2022[6] dont est tiré le schéma ci-dessous décrivant comment la collaboration internationale peut accélérer les progrès à chaque secteur de la transition.

 

Conclusion

Dans le cadre du premier Bilan mondial de la mise en œuvre de l’Accord de Paris sur le climat, l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE) propose, comme contribution, de faire un Bilan mondial des transitions énergétiques.

Ce numéro du bulletin porte sur les indicateurs mondiaux clés utilisés par l’AIE pour dresser l’état des lieux des transitions et donner « une image précise et objective de la situation actuelle et des trajectoires sur lesquelles nous nous trouvons » dans notre quête de la carboneutralité d’ici 2050.

Il rappelle en premier lieu le contexte dans lequel se situe cet état des lieux des transitions. Ce contexte, comme indiqué, est celui du processus préparatoire du premier Bilan mondial de la mise en œuvre de l’Accord de Paris sur le climat. Les résultats de ce bilan qu’il est prévu de faire tous les cinq ans, devraient permettre d’éclairer toutes les Parties dans l’actualisation et le renforcement de leurs mesures de lutte contre le changement climatique, leurs Contributions Déterminées au niveau National (CDN) notamment, et de leurs appuis en ce qui concerne plus particulièrement les pays développés.

En second lieu, le bulletin propose un rappel illustré des solutions clés préconisées par l’AIE – à partir des résultats de son Scénario Zéro Émissions Nettes d’ici 2050 (ZÉN2050) – pour placer les émissions mondiales sur une trajectoire d’évolution compatible avec l’objectif de carboneutralité d’ici 2050 et donc de limitation du réchauffement à 1,5°C. Ces solutions clés concernent notamment les énergies renouvelables, le rendement énergétique, l’électrification, la bioénergie, le CUSC (Captage, Utilisation et Stockage du Carbone), l’hydrogène et les changements de comportement. Pour chacune de ces solutions, des jalon essentiels sont définis sur le long chemin menant à la carboneutralité

La troisième partie du bulletin présente les indicateurs mondiaux de suivi des transitions que l’AIE renseigne et diffuse sur une base régulière dans le cadre d’une série de rapports d’analyse faisant partie du bilan des transitions énergétiques. Ces indicateurs permettent de situer les progrès par rapport aux jalons rappelés ci-dessus. Le bulletin en présente quelques-uns sous forme de graphiques commentés tirés de ces rapports, s’agissant notamment i) des énergies propres, leurs technologies et leur financement, ii) de l’accès universel aux services énergétiques, iii) de l’état des émissions de CO2 et iv) de la coopération internationale comme facteur d’accélération des transitions.

Les progrès sont indéniables dans la plupart des cas. Mais certains revers subis rappellent à juste raison qu’il y a encore beaucoup de pain sur la planche si l’on veut rester sur une trajectoire vertueuse d’évolution des émissions. Il est attendu du 1er Bilan mondial de l’Accord de Paris sur le climat qu’il batte le rappel et mobilise les pays sur des objectifs plus ambitieux dans la nécessaire révision de leurs engagements. Et dans ce contexte, les solutions clés que l’AIE propose pour les systèmes énergétiques gagneraient à être dûment considérées. Il importe ici de rappeler que le renforcement de la coopération internationale participe aussi de ces solutions.

[1] International Energy Agency (IEA), Global Energy Transitions stocktake, Tracking progress toward the Paris Agreement, https://www.iea.org/topics/global-energy-transitions-stocktake

[2] CMA, Conference of Parties serving as the meeting of the Parties to the Paris Agreement, https://unfccc.int/process/bodies/supreme-bodies/conference-of-the-parties-serving-as-the-meeting-of-the-parties-to-the-paris-agreement-cma

[3] UN Climate Change, Components of  the Global Stocktake, https://unfccc.int/topics/global-stocktake/components-of-the-global-stocktake

[4] IEA, Net Zero by 2050, may 2021, https://www.iea.org/reports/net-zero-by-2050

[5] Toute l’information donnée ci-après provient de International Energy Agency (IEA), Global Energy Transitions stocktake, Tracking progress toward the Paris Agreement, https://www.iea.org/topics/global-energy-transitions-stocktake

[6] IEA-IRENA et Coll, Agenda Report 2022, Accelerating sector transitions through Stronger International Cooperation, September 2022, https://www.iea.org/reports/breakthrough-agenda-report-2022