Maîtrise de la Fusion nucléaire ou comment mettre le soleil en bouteille

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Bulletin GSI de mai 2024

Sibi Bonfils, GSI

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  1. Introduction

L’intérêt pour l’énergie de fusion nucléaire s’est considérablement renforcé au cours des dernières années. Une série d’évènements parallèles lui ont par exempleété consacrés au cours de la Conférence de Dubaï, la 28e Conférence des Parties (COP28) à la Convention Cadre des Nations Unies sur le Changement climatique (CCNUCC). Les initiatives annoncées[1] à cette occasion reflètent à plusieurs égards ce regain d’intérêt.

Le Groupe Mondial pour l’Énergie de Fusion (World Fusion Energy Group) créé quelques mois plus tôt par l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique (AIEA – IAEA) pour renforcer la coopération mondiale sur la fusion est au cœur des échanges d’un Panel organisé dès le 2ème jour de la COP28 sur le thème Fusion et Climat, la conversation continue (Fusion and Climate, The Conversation Continues).

Un second Panel, organisé le lendemain par la Sustainable Markets Initiative, voit le lancement d’une Task Force pour la Fusion (Fusion Task Force) dont l’objectif est d’accélérer la commercialisation de l’énergie de fusion.

L’appel à l’action lancé 3 jours plus tard par John Kerry, l’envoyé spécial des États-Unis pour le Climat, en faveur de l’énergie de fusion s’inscrit dans la même perspective. S’appuyant sur l’Initiative « Partenariats internationaux dans une nouvelle ère de développement de l’énergie de fusion[2] » de la Maison Blanche, il met de l’avant 5 objectifs majeurs sur lesquels les États-Unis invitent la communauté internationale à s’engager et établir des partenariats dans le domaine de la fusion : la R&D, les chaînes d’approvisionnement et les stratégies de marché, le cadre réglementaire, le développement de la main-d’œuvre et l’éducation du public.

La prise en compte du nucléaire comme énergie de la transition dans le Premier Bilan Mondial (BM) de l’Action climatique mondiale adopté par la COP28[3], reste cependant le fait marquant de cette COP pour les promoteurs et professionnels de la Fusion. « Ce qu’il faut déjà retenir, indique la Revue de Liaison d’ITER, c’est que la fusion ne se bat plus pour une place à la table[4] »

En amont et en aval de la COP28 et hors de ses tribunes, plusieurs annonces et initiatives de pays et d’entreprises privées se révèlent encore plus parlantes en ce qui concerne l’engouement pour l’énergie de fusion. Dans Fusion in the News[5] (La Fusion dans l’actualité), l’Association de l’Industrie de la Fusion (Fusion Industry Association) compile, avec un certain biais nord-américain, les dernières nouvelles sur les progrès enregistrés dans l’industrie et la politique de la fusion. Comme on peut le noter, ces nouvelles montrent presque toutes que le monde est à deux doigts de « décrocher… le soleil » et de le mettre en bouteille.

L’Agence Internationale de l’Énergie Atomique (AIEA) met en perspective l’ensemble de ces informations dansle tout premier numéro desPerspectives mondiales sur l’énergie de Fusion (The World Fusion Energy Outlook 2023)[6] qu’elle a publié courant 2023 sous le titre Énergie de fusion : présent et avenir (Fusion Energy : Present and Future).

Ce dossier sur l’énergie de fusion s’appuie sur cette publication et quelques autres (dont les références seront données par la suite) pour : i) nommer les facteurs clés à l’origine de l’intérêt croissant pour l’énergie de fusion, ii) ressortir les principaux enjeux, besoins en recherche et développement, et gaps à combler, iii) donner un aperçu des programmes de démonstration et d’usines pilotes existants, ainsi que des stratégies public-privé pour la fusion, iv) faire part du rôle que joue l’AIEA pour stimuler la collaboration internationale dans une perspective visant à relever « ce grand défi d’ingénierie du 21e siècle », selon le mot de son Directeur Général, Rafael Mariano Grossi. Des rappels utiles sur les fondamentaux de la fusion nucléaire et l’énergie de fusion sont proposés en amont.

Le dossier sera traité sur deux numéros du bulletin.

Le numéro de mai 2023 portera sur i) les bases de la fusion nucléaire, ii) les raisons du regain d’intérêt pour l’énergie de fusion et ii) les défis technologiques et scientifiques à relever pour obtenir une énergie de fusion commercialement viable.

Le numéro de juin portera i) sur les défis règlementaires pour une énergie de fusion sécuritaire, ii) un aperçu des programmes de démonstration et des usines pilotes existants ou en développement, et iii) le rôle de l’AIEA pour stimuler et réussir la collaboration internationale sur l’énergie de fusion.

  • Brefs rappels sur la fusion

Notre soleil, ainsi que toutes les autre étoiles de l’univers, tirent leur colossale énergie de la fusion nucléaire. C’est cette énergie qui est en jeu dans la puissance dévastatrice des Bombes H, les fameuses bombes à hydrogène. Ces bombes sont la preuve matérielle que l’humanité sait déclencher la réaction de fusion, sans toutefois être encore parvenue à la contrôler comme c’est aujourd’hui le cas pour la réaction de fission qui alimente les centrales nucléaires actuelles.

Différents documents d’information du public de l’AIEA[7][8] et d’autres ont été exploités dans ce qui suit pour rappeler ce qu’est la fusion nucléaire et dans quelles conditions elle peut être produite et contrôlée sur terre.

Contrairement à la fission, où un noyau atomique lourd est divisé pour produire de l’énergie, la fusion nucléaire est le processus par lequel deux noyaux atomiques légers s’unissent pour en former un seul plus lourd en libérant une énorme quantité d’énergie suivant la célèbre équation E=MC2 d’Einstein. Selon l’AIEA, la fusion pourrait générer quatre fois plus d’énergie par kilogramme de combustible que la fission et près de quatre millions de fois plus d’énergie que la combustion de pétrole ou de charbon.

Les réactions de fusion se produisent dans un état de la matière appelé plasma. Le plasma est un quatrième état de la matière aux propriétés uniques, distinct des états solides, liquides et gazeux. Il se compose de particules chargées (ions et électrons) se déplaçant librement. Le plasma se forme à très haute température lorsque les électrons sont arrachés aux atomes neutres. Plus de 99 % de l’univers tel que nous le comprenons actuellement existe sous forme de plasma, au niveau de la matière interstellaire, dans les étoiles, comme dans notre Soleil, précise l’AIEA.

Pour fusionner, les noyaux doivent se percuter à des températures très élevées, plus de 10 millions de degrés Celsius, ce qui leur permet de surmonter leur répulsion électrique mutuelle et de s’approcher très près les uns des autres. Leur force d’attraction nucléaire dépasse alors la force de répulsion électrique et leur permet de fusionner. Pour que cela se produise, les noyaux doivent être confinés dans un espace réduit, ce qui accroît les probabilités de collision. Dans les étoiles comme dans le soleil, c’est la pression extrême engendrée par l’immense gravité au centre de ces astres qui crée les conditions favorables aux réactions de fusion.

L’hydrogène est le combustible de ces réactions. C’est l’élément le plus abondant dans l’univers : 75% en masse et 92% en nombre d’atomes de matière dite baryonique (i.e. hors matière noire)[9], selon les spécialistes. Ses noyaux, qui sont la principale composante du plasma des étoiles, fusionnent en produisant beaucoup d’énergie avec, comme seuls sous-produits, de l’hélium et des protons, ainsi que décrit dans l’encadré ci-dessous[10].

Selon l’AIEA, la théorie de la fusion a été comprise dès les années 1930. Depuis, les scientifiques et les ingénieurs cherchent à la reproduire sur terre à l’échelle industrielle et à l’exploiter.

Les recherches scientifiques et les travaux expérimentaux conduits au cours des dernières décennies, presqu’un siècle, ont permis de mettre au point un ensemble de réacteurs et de combustibles de fusion à partir desquels on a pu produire, dans les laboratoires, du plasma à des températures dépassant 100 millions de °C, réussir des réactions de fusion et générer de l’énergie, sans toutefois parvenir à entretenir ces réactions sur les durées suffisantes dans la perspective d’un régime permanent.

Le mélange de Deutérium et de Tritium, deux isotopes de l’hydrogène, est le combustible le plus utilisé dans ces travaux.

Le schéma ci-dessous présente trois classes principales de cœurs de réacteurs de de fusion sur lesquelles sont aujourd’hui centrées les recherches

Le Tokamak et le Stellarateur sont les réacteurs les plus étudiés. Mais on a aussi recours à des lasers surpuissants pour produire du plasma confiné et réussir des fusions.

Le Tokamak et le Stellarateur ont une configuration en forme de beignet utilisant de puissants électro-aimants pour confiner le plasma.

La figure ci-dessous schématise les puissants aimants et champs magnétiques du Tokamak permettant de confiner le plasma dans des conditions extrêmes.

Les résultats obtenus avec ces installations, positifs ou négatifs, permettent aujourd’hui de définir les trois conditions que doivent remplir selon l’AIEA, une centrale à fusion nucléaire contrôlée :

  • des températures très élevées (plus de 10 fois plus élevées qu’au centre du Soleil, dépassant ainsi les 100 millions de °C) pour provoquer des collisions très énergétiques à des vitesses extrêmes ;
  • une densité de particules suffisante dans le plasma – là où se produit la réaction – pour augmenter la probabilité de collisions ;
  • un temps de confinement suffisamment long pour retenir le plasma et permettre aux réactions de fusion de se dérouler en continu.
  • Les facteurs clés à l’origine de l’intérêt croissant pour l’énergie de fusion

L’AIEA retient, dans The World Fusion Energy Outlook 2023 déjà cité, trois facteurs clés qui expliquent l’intérêt soutenu et croissant pour l’énergie de fusion nucléaire :

  • écentes percées scientifiques et technologiques vers l’objectif d’une énergie sûre et durable grâce à la fusion nucléaire;
  • és de fusion et des investissements dans le secteur privé.

Ces facteurs sont bien documentés dans The World Fusion Energy Outlook 2023 et dans l’enquête réalisée en 2023[11]  par l’association Fusion Industry Association, sur les entreprises opérant dans le domaine de la fusion. Ces publications constituent les sources essentielles de l’information donnée ci-après.

  • La fusion pour écarter les risques de changement climatique et de pénurie d’énergie.

Le monde est aujourd’hui en quête d’une « ’énergie propre, sûre, abordable, et abondante » pour réussir les transitions en cours. Ces transitions visent à limiter le réchauffement climatique à 1,5°C d’ici la fin de ce siècle tout en assurant l’accès universel aux services énergétiques modernes et en garantissant la sécurité des approvisionnements énergétiques mondiaux. Le Scénario Zéro Émissions nettes d’ici 2050 (NZE2050)[12] de l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE), devenu le scénario de référence pour réaliser ces objectifs, prône l’abandon des combustibles fossiles et leur remplacement dans le mix énergétique mondial par des énergies à faibles émissions de carbone complémentées par une politique agressive d’efficacité énergétique

NZE2050 privilégie les renouvelables, notamment l’hydroélectricité, et principalement le solaire et l’éolien, comme sources de ces énergies. La faible densité énergétique du solaire et de l’éolien pose cependant quelques problèmes d’acceptabilité sociale liée à l’étendue des surfaces qu’il faut occuper pour les capter. Leur intermittence exige d’importantes capacités de stockage dont la maîtrise laisse encore à désirer. Par ailleurs, de sérieux doutes subsistent quant à leur capacité i) à remplacer, en termes de volume, les énergies fossiles qui représentent encore aujourd’hui plus de 80% de la consommation mondiale d’énergie. Leur capacité à décarboner différents secteurs difficiles à décarboner (chauffage urbain, chaleur industrielle, transport aérien ou maritime) est également interrogée.

L’énergie de fission nucléaire qui est également une source d’énergie à faible émission de carbone et qui pourrait être un complément conséquent aux renouvelables est aussi handicapée par de graves problèmes d’acceptabilité sociale liée i) à ses déchets radioactifs de longue vie, ii) aux potentiels accidents nucléaires (comme à Tchernobyl ou à Fukushima, pour les plus récents) et iii) aux risques de prolifération du nucléaire militaire. Son coût pour l’ensemble du cycle de vie, est en outre loin d’être maîtrisé. Son potentiel de diffusion à grande échelle reste par ailleurs limité malgré les promesses des petits réacteurs modulaires.

C’est dans ce contexte qu’il faut situer le vif engouement pour l’énergie de fusion suscité par les récentes percées scientifiques et technologiques concernant sa maîtrise. Cette énergie est décrite comme une énergie à faible émission de CO2, sans production de déchets radioactifs à longue vie et sans risque d’emballement” comme à Tchernobyl. Elle est ainsi perçue comme une énergie intrinsèquement propre, sûre et abondante. Sa maîtrise permettrait au monde de disposer d’une énergie qui écarterait définitivement les risques de changement climatique et de pénurie, un véritable Saint-Graal pour un monde qui a une soif inextinguible d’énergie.

  • Les récentes percées scientifiques et technologiques vers l’énergie de fusion

Selon l’AIEA, « la communauté de la fusion a récemment été témoin du franchissement de nombreuses étapes cruciales vers l’obtention d’une énergie sûre et durable grâce à la fusion nucléaire » (IAEA, 2023). Elle cite une série de réussites expérimentales concernant les températures de plasma, les durées de confinement ou le ratio énergie produite sur énergie investie, dont quelques-unes sont reprises ici

  • Le 13 décembre 2022, le Département de l’énergie américain (DOE) a annoncé une autre percée à la National Ignition Facility (NIF ), après celle de 2021 : 3,15 mégajoules d’énergie de fusion ont été générés à partir d’un total de 2,05 mégajoules délivrés au combustible par 192 faisceaux laser, réalisant ainsi un gain d’énergie (Qsci~1,5) pour la première fois dans une expérience de fusion.
  • En 2023, le W7-X, le stellarateur le plus avancé au monde en service depuis 2015 en Allemagne, a atteint un nouveau record : une décharge de plasma ayant duré jusqu’à 8 minutes entraînant une production d’énergie de 1,3 gigajoule, ce qui démontre la capacité de coupler en continu de grandes quantités d’énergie dans le plasma et d’évacuer la chaleur résultante de manière contrôlée;
  • En septembre 2021, le Plasma Science and Fusion Center du Massachusetts Institute of Technology (MIT, USA) et Commonwealth Fusion Systems (CFS) ont annoncé la démonstration réussie d’un champ magnétique record de 20 tesla (plus du double, voire plus de ceux qui existent) dans leur premier aimant supraconducteur à haute température, une avancée majeure dans la conception de leur projet de tokamak SPARC qui serait opérationnel dès 2025, comme première centrale électrique à fusion nucléaire;
  • En décembre 2021, le tokamak européen, Joint European Torus (JET), a atteint l’impulsion d’énergie soutenue la plus élevée jamais enregistrée, un record de 59 mégajoules d’énergie de fusion soutenue pendant 5 secondes, soit plus du double des 21,7 mégajoules libérés sur environ 4 secondes en 1997.
  • En décembre 2021, le tokamak supraconducteur avancé expérimental de Chine (connu sous le nom d’EAST) a réalisé le plus long fonctionnement de plasma à haute température en régime permanent (1 056 secondes ou 17,6 minutes), c’est-à-dire un fonctionnement haute performance à impulsions longues avec une configuration et des schémas de chauffage de type ITER.

L’AIEA cite beaucoup d’autres exemples de réussite, au Royaume Uni, en Russie, au Japon, en Inde ou en Corée du Sud, et même un exemple de mise à contribution de l’Intelligence Artificielle (IA), publié par la Suisse en 2022, pour modéliser la dynamique des plasmas de différentes formes en vue de leur contrôle en temps réel.

Au-delà de ces réussites dans lesquelles les États ont joué un rôle de premier plan, l’arrivée du secteur privé qui se confirme dans le domaine de la fusion est un signe qui ne trompe pas quant à l’avènement très prochain d’une industrie et d’un marché de l’énergie de fusion rentables.

  • Une augmentation significative des activités de fusion et des investissements dans le secteur privé.

En 2023, Fusion Industry Association (FIA) a publié la troisième édition de son rapport annuel sur l’état de l’industrie de l’énergie de fusion dans le monde[13]. Elle y montre que les investisseurs – et de plus en plus les gouvernements – parient sur une accélération du calendrier de commercialisation de l’énergie de fusion.

Ainsi 25 entreprises sur la quarantaine ayant participé à l’enquête, pensent que la première centrale à fusion fournira de l’électricité au réseau avant 2035. Ce qui montre qu’elles sont de plus en plus confiantes quant à l’atteinte de leurs objectifs ambitieux.

Elles sont 4 sur 30 à penser que leur compagnie mettra son 1er kWh sur le réseau avant 2030, et 6 sur 40 à penser que cela arrivera de façon générale et rentable avant 2030. Une compagnie situe même cette date en 2025!

Il y a aussi comme une accélération dans la création d’entreprises de fusion, notamment à partir de 2017, ainsi que le montre la figure ci-dessous.

Le cumul de l’investissement que l’industrie de la fusion a réussi à attirer se monte à 6 milliard de dollars en 2023, soit un accroissement de 1,4 milliards par rapport à l’année dernière selon la FIA, qui souligne que 27 entreprises ont accru leur financement au cours de cette année.

Parmi les investisseurs, on trouve des personnalités comme Bill Gates ou Jeff Bezos, des Banques comme BDB Canada ou KIA Koweït, des entreprises comme Google, Chevron, Sony ou Toyota. Plus de 95,6% du financement mobilisé provient du privé.

Les graphiques ci-dessous donnent une bonne idée de ces évolutions.

Le marché cible de la plupart de ces entreprises est la production d’électricité à laquelle s’ajoutent, pour beaucoup d’autres, la propulsion spatiale et marine, la médecine, l’électricité hors réseau, la production d’hydrogènes et/ou de carburants propres, la production de chaleur industrielle. Les deux graphiques ci-dessous précisent ces informations.

On trouvera en annexe deux fiches techniques produites par la FIA et donnant une information détaillée sur deux entreprises de fusion d’intérêt : i) la première, Commonwealth Fusion Systems pour son ambition de mettre son premier kWh sur le réseau en 2025 grâce à son Tokamak SPARC doté du puissant électroaimant utilisant une nouvelle technologie révolutionnaire d’aimants supraconducteurs à haute température (HTS), quelle a mis au point; ii) la seconde, pour le produit qu’elle cherche à développer, un microréacteur de 5 kWe dont le prototype est envisagé pour 2025, et pour les niches de marché visées, les secteurs difficiles à décarboner, l’énergie répartie, la mobilité (air, sol, mer)

Les enquêtes de la FIA ont aussi permis aux entreprises de nommer elles-mêmes les défis restant à relever pour le contrôle de la fusion nucléaire, d’ici 2030 et au-delà. Les graphiques ci-dessous en donnent un aperçu.

  • Principaux enjeux, besoins de recherche et développement, et gaps à combler

Dans les faits, comme le relèvent les entreprises, il y a encore loin de la coupe aux lèvres, malgré les succès enregistrés. Plusieurs défis restent en effet à relever pour injecter dans le système énergétique mondial, une énergie de fusion contrôlée et commercialement viable. Selon l’AIEA, « certains de ces défis sont liés à la génération réussie d’un plasma à haute température et à haute densité pendant de longues périodes, d’autres à la sécurisation durable du combustible D-T (Deutérium-Tritium), à la minimisation des effets néfastes sur les matériaux par les sous-produits de la réaction de fusion, et finalement à l’exploitation de l’immense énergie libérée »

Dans ses Perspectives mondiales sur l’énergie de Fusion de 2023 (Fusion Energy Outlook 2023), l’AIEA précise le contenu et la portée de ces défis. En voici des aperçus.

  • Chauffage du plasma

Pour produire des réactions de fusion sur terre, il faut créer un plasma stable à très haute température, au-dessus de 100 millions de °C (soit dix fois plus qu’au centre du soleil), selon les travaux expérimentaux réalisés au cours des dernières décennies. Le schéma ci-dessous montre les différents mécanismes de chauffage mis en œuvre pour atteindre cette température.

On distingue i) le chauffage ohmique dû au courant induit par le mouvement des particules chargées du plasma, ii) le chauffage dû aux collisions entre particules sans fusion, iii) l’effet micro-ondes créé par des champs magnétiques dédiés et iv) le chauffage par « injection à faisceau neutre » utilisant des particules neutres injectées à grande vitesse dans le plasma où elles s’ionisent et transfèrent leur énergie au plasma par collision.

Tous ces processus et d’autres génèrent des impuretés susceptibles de pénétrer dans le cœur du plasma et d’entraîner une perte d’énergie pouvant le refroidir. L’élimination de ces impuretés et des sous-produits des réactions de fusion constitue un autre des grands défis à relever pour obtenir un plasma stable à très haute température.

  • Confinement du plasma

Le plasma à haute température doit être confiné pour éviter des contacts destructeurs avec les parois du réacteur. Ce confinement doit en outre durer suffisamment longtemps pour donner des chances aux noyaux des combustibles de fusionner dans la perspective de réactions de fusion entretenues.

Le confinement est assuré dans la plupart des réacteurs par de puissants champs magnétiques générés par de grands électroaimants supraconducteurs refroidis à l’hélium liquide. Ce qui crée une situation paradoxale dans laquelle un plasma à plus de 100 millions de °C côtoie le presque zéro degré absolu de l’hélium liquide. « Cela crée, indique l’AIEA, le plus grand gradient de température connu dans tout l’univers et un défi technologique évident ».

Le confinement du plasma n’est en outre jamais parfait. Des turbulences et des instabilités peuvent se produire périodiquement et envoyer du plasma très chaud et des particules à haute énergie dans la paroi, pouvant endommager le réacteur et réduire sa durée de vie. Un autre grand défi technologique est de mettre au point des composants de réacteur capables de supporter ces conditions extrêmes de fonctionnement dans une perspective visant une énergie de fusion commercialement viable.

  • Matériaux de fusion

Le défi ici est de mettre au point les matériaux appropriés pour construire des parois et des cuves de réacteur de fusion pouvant résister aux conditions extrêmes décrites ci-dessus. Il faut par ailleurs des procédures rigoureuses de qualification de ces matériaux.  Des accélérateurs à faisceaux d’ions, des installations à flux de chaleur élevé, ainsi que des dispositifs à plasma linéaire et des installations de fusion expérimentales permettent aujourd’hui de faire des tests, sans cependant arriver à créer les condition réelles de fonctionnement d’un réacteur à fusion. Des installations dédiées pour des tests en grandeur réelle sont en cours d’installation, notamment au Japon et en Espagne.

Voici, selon l’AIEA, les propriétés que devraient avoir les matériaux exposés au plasma pour que le réacteur soit viable :

  • Un point de fusion élevé et une résistance aux dommages causés par l’exposition aux rayonnements neutroniques et aux particules de plasma à haute énergie.
  • Une faible propension à être activée (devenir radioactive) par le bombardement des neutrons de haute énergie produits dans la réaction de fusion D-T, ainsi qu’une résilience aux produits de fusion alpha.
  • Une faible tendance à absorber le tritium pour réduire les pertes de combustible et minimiser la rétention de tritium qui créerait des déchets radioactifs.

Ce sont autant d’autres défis à relever.

  • Combustible de fusion

La combinaison Deutérium-Tritium (D-T) est le combustible de fusion le plus utilisé dans les travaux de R&D actuels, parce qu’il permet d’atteindre la vitesse de réaction la plus élevée à une température plus basse que les autres combustibles, selon l’AIEA.  Si le Deutérium est abondant dans l’eau de mer dont on peut l’extraire, le Tritium, lui, doit être généré à même le réacteur. Il n’existe en effet qu’en infime quantité dans la haute atmosphère. Il est de surcroît instable avec une faible demi-vie de 12,3 ans, selon les spécialistes.

La production de Tritium à même le réacteur est l’un des défis critiques de tout le processus engagé pour obtenir une énergie de fusion commercialement viable. Elle mettrait à contribution les neutrons à haute énergie générés par les réactions de fusion dans le plasma et des isotopes du Lithium dont on tapisserait les parois du réacteur. L’un des objectifs d’ITER est de démontrer la faisabilité technique de la surgénération du tritium à partir des parois de lithium des réacteurs.

ITER

Le réacteur thermonucléaire expérimental international, ou ITER (acronyme de l’anglais International Thermonuclear Experimental Reactor, également mot latin signifiant « chemin » ou « voie »), est un projet international de réacteur nucléaire de recherche civil à fusion nucléaire de type tokamak. Ce projet s’inscrit dans une démarche à long terme visant l’industrialisation de la fusion nucléaire. Il associe trente-cinq pays : ceux de l’Union européenne ainsi que l’Inde, le Japon, la Chine, la Russie, la Corée du Sud et les États-Unis, ainsi que la Suisse et le Royaume-Uni en tant qu’États associés à la Communauté européenne de l’énergie atomique.

ITER est le plus grand projet scientifique mondial actuel. Par sa complexité, son ambition et son budget hors-norme, ce projet de haute technologie a été comparé au programme Apollo.

Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/ITER

  • Extraction de l’énergie produite par la fusion

Le défi ici est d’extraire de façon sécuritaire et efficiente l’énorme quantité d’énergie produite par les réactions de fusion et de la convertir en électricité ou l’utiliser comme chaleur industrielle.

L’énergie de fusion, dans la réaction D-T, est libérée sous forme de neutrons de haute énergie et de particules alpha. L’énergie des neutrons est captée par les parois du réacteur qui produisent du Tritium à partir du Lithium dont elles sont couvertes et de la chaleur qu’elles transfèrent à un fluide caloporteur, lequel pourra ensuite être utilisé pour produire i) de la chaleur industrielle ou ii) de l’électricité à l’aide de turbines à vapeur, comme schématisé ci-dessous.

Les contraintes thermiques sur les parois du réacteur devraient dépasser les capacités des techniques traditionnelles de refroidissement.  Des méthodes de transfert de chaleur avancées ainsi que des matériaux compatibles, capables de résister et d’évacuer efficacement la chaleur dans ces conditions extrêmes, sont à inventer. Les matériaux doivent pouvoir résister à l’irradiation neutronique et aux très hautes températures susceptible de changer leurs propriétés. « Trouver le meilleur revêtement des parois de réacteur est un domaine actif de recherche et de développement, certains concepts devant être testés dans ITER », indique l’AIEA.

Conclusion

Cette première partie du dossier sur l’énergie de fusion nucléaire traite respectivement i) des notions de base sur la fusion nucléaire, ii) des raisons du regain d’intérêt pour l’énergie de fusion que l’on observe actuellement et iii) des défis scientifiques et technologiques qui doivent encore être relevés pour obtenir une énergie de fusion commercialement viable.

Les raisons du regain d’intérêt pour l’énergie de fusion ont été présentées en s’appuyant i) sur les Perspectives mondiales pour l’énergie de Fusion en 2023 publiées par l’Agence Internationale de l’énergie Atomique (AIEA) et ii) sur l’enquête réalisée par Fusion Industry Association auprès de ses membres.

La principale raison du regain d’intérêt pour l’énergie de fusion reste l’inquiétude croissante concernant l’impact du changement climatique et la sécurité de l’approvisionnement énergétique mondial pour lesquels l’énergie de fusion, perçue comme une énergie intrinsèquement propre, sûre et abondante, serait LA solution. Les récentes percées scientifiques et technologiques qui semblent mettre la fusion contrôlée à portée de main donnent des motifs raisonnables d’y croire, lesquels expliquent une augmentation significative des activités et des investissements du secteur privé dans le domaine.

Les défis qui doivent encore être relevés « sont liés à la génération réussie d’un plasma à haute température et à haute densité pendant de longues périodes, à la sécurisation durable du combustible D-T (Deutérium-Tritium), à la minimisation des effets néfastes sur les matériaux par les sous-produits de la réaction de fusion, et finalement à l’exploitation de l’immense énergie libérée », Selon AIEA.

Ces défis difficiles font dire aux sceptiques, qui sont nombreux, qu’il y a encore loin de la coupe aux lèvres.

Les entreprise du secteur sont conscientes de ces obstacles. Elles les nomment dans l’enquête de Fusion Industry Association citée plus haut. Elles n’en restent cependant pas moins optimistes, plus de 50% de celles qui ont participé à l’enquête affirmant qu’une centrale électrique à fusion commercialement viable est possible avant 2035. Il s’en trouve même une qui situe cette date avant 2025!

La deuxième et dernière partie du dossier sur l’énergie de fusion, objet du bulletin de juin 2023, portera i) sur les efforts déployés pour construire un cadre règlementaire dédié pour une exploitation sécuritaire de l’énergie de fusion, ii) sur les programmes de démonstration et les usines pilotes existants ou en cours de développement et iii) sur le rôle que joue l’AIEA pour stimuler et réussir la collaboration internationale sur l’énergie de fusion et, de la sorte, relever « ce grand défi d’ingénierie du 21e siècle », selon le mot de son Directeur Général, Rafael Mariano Grossi.


[1] IAEA, IAEA Opens Fusion Energy Discussion at COP28 as Momentum Keeps Growing, December 2023, https://www.iaea.org/newscenter/news/iaea-opens-fusion-energy-discussion-at-cop28-as-momentum-keeps-growing

[2] The White House, International Partnerships in a New Era of Fusion Energy Development, 2 December 2023, https://www.whitehouse.gov/ostp/news-updates/2023/12/02/international-partnerships-in-a-new-era-of-fusion-energy-development/

[3] CCNUCC, Résultats du premier Bilan mondial, mars 2024, file:///C:/Users/sibib/Downloads/cma2023_16a01F.pdf

[4] ITER Newsline, Fusion is making a splash, 4 December 2023, https://www.iter.org/newsline/-/3971

[5] Fusion Industry Association, Fusion in the news, https://www.fusionindustryassociation.org/news/fusion-in-the-news/

[6] IAEA, The World Fusion Energy Outlook 2023: Fusion Energy : Present and Future, https://www-pub.iaea.org/MTCD/Publications/PDF/FusionOutlook2023_web.pdf

[7] Matteo Barbarino, IAEA, What is Nuclear Fusion, https://www.iaea.org/newscenter/news/what-is-nuclear-fusion

[8] Mikhail Chudakov et coll., IAEA, Fusion Energy for peace and Sustainable Development, M. Barbarinohttps://nucleus.iaea.org/sites/fusionportal/Shared%20Documents/22-00637E_BRO_Fusion_V5.pdf

[9] Wikipédia, Hydrogène, https://fr.wikipedia.org/wiki/Hydrogène#

[10] CEA, Le soleil, notre étoile, Août 2012, https://www.cea.fr/comprendre/Pages/matiere-univers/soleil.aspx?Type=Chapitre&numero=1

[11] Fusion Industry Association, The Global Fusion Industry in 2030, Fusion Companies Survey by the Fusion Industry Association, 2023, https://www.fusionindustryassociation.org/wp-content/uploads/2023/07/FIA%E2%80%932023-FINAL.pdf

[12] IEA, A race to zero – accelerating clean energy transitions, Net Zero Emissions, https://www.iea.org/topics/net-zero-emissions

[13] Fusion Industry Association, The Global Fusion Industry in 2030, Fusion Companies Survey by the Fusion Industry Association, 2023, https://www.fusionindustryassociation.org/wp-content/uploads/2023/07/FIA%E2%80%932023-FINAL.pdf