Maîtrise de la Fusion nucléaire ou comment mettre le soleil en bouteille (suite et fin)
Sibi Bonfils, GSI
- Introduction
L’humanité serait sur le point de « décrocher… le soleil » et de le mettre en bouteille.
C’est en tous cas ce qui ressort de l’enquête, The global fusion industry in 2023[1], réalisée par l’Association de l’industrie de fusion (Fusion Industry Association) auprès des entreprises opérant dans ce domaine. Une des entreprises du panel, une start-up, prévoit mettre le premier kWh d’énergie de fusion sur le réseau électrique dès 2025! 26 entreprises sur les 40 ayant répondu à l’enquête situent cette date avant 2035. Elles sont 19 sur 40 à considérer qu’une centrale électrique à fusion commercialement viable est possible avant 2035.
En Amérique, en Asie, en Europe comme en Afrique, les États se dotent de visions audacieuses (USA), de stratégies robustes (Chine, Corée, Japon) et de feuilles de route détaillées (Europe) pour la maîtrise de l’énergie de fusion. Ils mettent au point des cadres règlementaires dédiés (UK, USA, …) pour une exploitation sécuritaire de cette énergie. Des partenariats stratégiques se nouent (Japon-USA-UK), des joint-ventures entre entreprises se construisent par-dessus les frontières. L’appel au « partenariat international dans une nouvelle ère de développement de l’énergie de fusion » lancé à la COP28 (Dubaï) par John Kerry[2], l’envoyé spécial des États-Unis pour le climat, est sans équivoque. Il est le reflet de l’engouement pour l’énergie de fusion suscité par les récentes percées scientifiques et technologiques concernant sa maîtrise.
Dans les laboratoires publics ou privés, notamment en chine, au Japon, en Europe et aux États-Unis, on recense en effet des réussites expérimentales remarquables concernant les températures de plasma, les durées de confinement ou le ratio énergie produite sur énergie investie. Le record du plus long fonctionnement de plasma à haute température en régime permanent (1 056 secondes ou 17,6 minutes) est détenu par le Projet EAST de la Chine, selon l’Agence Internationale pour l’Énergie Atomique (AIEA- IAAE) qui a réalisé en 2023 les premières Perspectives mondiales sur l’énergie de fusion (World Fusion Energy Outlook 2023[3]).
Dans cette publication, l’AIEA met en contexte et en perspective l’ensemble de ces informations en prenant cependant le soin de ressortir les énormes défis scientifiques et technologiques qui doivent encore être relevés pour obtenir une énergie de fusion commercialement viable. Ces défis, indique-t-elle, « sont liés à la génération réussie d’un plasma à haute température et à haute densité pendant de longues périodes, à la sécurisation durable du combustible D-T (Deutérium-Tritium), à la minimisation des effets néfastes sur les matériaux par les sous-produits de la réaction de fusion, et finalement à l’exploitation de l’immense énergie libérée ».
Notre dossier sur l’énergie de fusion dont la première partie a été l’objet du bulletin de mai 2024[4], s’appuie sur cette publication de l’AIEA et sur d’autres pour faire part i) des dynamiques nouvelles agitant ce secteur et ii) des énormes défis qu’il doit encore relever pour réaliser l’objectif d’une énergie de fusion commercialement viable, remplissant les conditions de l’énergie « propre, sûre, abordable, et abondante » dont il est besoin pour réussir les transitions (énergétiques, économiques, sociétales) en cours.
La première partie du dossier, objet du numéro du bulletin de mai, traitait i) des notions de base sur la fusion nucléaire, ii) des raisons du regain d’intérêt pour l’énergie de fusion que l’on observe actuellement et iii) des défis scientifiques et technologiques qui doivent encore être relevés pour obtenir une énergie de fusion remplissant les conditions idoines.
La seconde partie du dossier, objet du présent numéro du bulletin, porte i) sur les efforts déployés pour construire un cadre règlementaire garantissant une exploitation sécuritaire de l’énergie de fusion, ii) sur les programmes de démonstration et les usines pilotes existants ou en cours de développement et iii) sur le rôle que joue l’AIEA pour stimuler la collaboration internationale sur l’énergie de fusion et, de la sorte, relever « ce grand défi d’ingénierie du 21e siècle », selon le mot de son Directeur exécutif.
- Les enjeux de sureté et de sécurité nucléaires pour la fusion
Le terme nucléaire est connoté. Il renvoie aux bombes balancées sur Hiroshima et Nagasaki à la fin de la deuxième guerre mondiale et aux centaines de milliers de vies perdues à jamais, à Tchernobyl ou Fukushima et aux risques majeurs de fusion des cœurs des réacteurs. Il renvoie le plus souvent aux matières radioactives dangereuses susceptibles d’être rejetées dans l’environnement par les centrales nucléaires en fonctionnement normal ou lors d’incidents. L’AIEA a développé une batterie de traités, de normes et de règlementations de sécurité et de sûreté qui régissent aujourd’hui le fonctionnement des installations nucléaires, et dont le principal « objectif est de fournir un cadre juridique permettant de conduire les activités liées à l’énergie nucléaire et aux rayonnements ionisants d’une manière qui protège adéquatement les personnes, les biens et l’environnement », indique l’AIEA. La Convention sur la sûreté nucléaire (CSN) et d’autres instruments juridiques internationaux connexes tels que le Traité sur la Non-Prolifération des armes nucléaires (TNP), complétés par des normes de sûreté juridiquement non contraignantes de l’AIEA et des directives en matière de sécurité nucléaire, constituent le cœur du dispositif sécuritaire dans lequel évolue depuis des décennies, les activités nucléaires, comme la production d’électricité à partir de la fission.
C’est dans ce contexte ultrasécuritaire hautement balisé, conçu à la base pour encadrer les activités liées à la fission nucléaire, que la fusion nucléaire contrôlée est en train de se développer et cherche à se déployer.
C’est à juste raison que se pose, dès lors, la question de savoir si les cadres juridiques nationaux et internationaux pensés pour des utilisations sûres, sécurisées et pacifiques de la fission nucléaire sont applicables et adaptés aux systèmes d’énergie de fusion.
Entre la fission et la fusion, indique l’AIEA, « il existe des différences fondamentales, des exigences technologiques et des caractéristiques distinctes qui modifient le potentiel de danger et les principaux problèmes de sécurité ». Pour le projet ITER « il est absolument impossible qu’un accident du type Fukushima se produise sur ITER. Les différences fondamentales dans la physique et la technologie utilisées dans les réacteurs à fusion rendent impossible une réaction incontrôlée » et la fusion du cœur de réacteur comme à Tchernobyl ou Fukushima, ajoutant que « le processus de fusion est intrinsèquement sûr[5]». En effet, toute perturbation dans le processus de production du plasma l’éteint, ramenant les températures à des niveaux contrôlables par les matériaux des première barrières de confinement, précise-t-il. En outre, les quantités de matières radioactives produites restent modestes, de l’ordre de quelques grammes.
ITER
Le réacteur thermonucléaire expérimental international, ou ITER (acronyme de l’anglais International Thermonuclear Experimental Reactor, également mot latin signifiant « chemin » ou « voie »), est un projet international de réacteur nucléaire de recherche civil à fusion nucléaire de type tokamak. Ce projet s’inscrit dans une démarche à long terme visant l’industrialisation de la fusion nucléaire. Il associe trente-cinq pays : ceux de l’Union européenne ainsi que l’Inde, le Japon, la Chine, la Russie, la Corée du Sud et les États-Unis, ainsi que la Suisse et le Royaume-Uni en tant qu’États associés à la Communauté européenne de l’énergie atomique.
ITER est le plus grand projet scientifique mondial actuel. Par sa complexité, son ambition et son budget hors-norme, ce projet de haute technologie a été comparé au programme Apollo.
Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/ITER
Pour encadrer la réflexion sur les lois devant régir les activités et les installations de la fusion nucléaire, l’AIEA[6] fait une série de constats et énonce des principes dont voici quelques-uns :
- Il n’existe actuellement pas de cadre juridique international spécifique pour la technologie de fusion;
- Les principes généraux, les obligations, les prescriptions et les mécanismes connexes des instruments juridiques internationaux existants en matière de sûreté nucléaire pourraient s’appliquer aux systèmes d’énergie de fusion;
- Cependant, ces instruments ne semblent pas eux-mêmes pouvoir s’appliquer aux installations de fusion et aux activités connexes, bien que la Convention sur le terrorisme nucléaire semble applicable;
- Les systèmes d’énergie de fusion conçus pour ne pas utiliser ou contenir de matières nucléaires ne relèvent pas du cadre de garanties de l’AIEA et du régime de non-prolifération fondé sur le TNP;
- La technologie de fusion semble offrir la possibilité d’intégrer les principes pertinents et les leçons des cadres juridiques existants fondés sur la fission, le cas échéant, tout en les adaptant aux caractéristiques et aux risques spécifiques associés à la fusion;
- Les cadres juridiques applicables devraient servir à maintenir la sûreté, la sécurité et la protection de l’environnement d’une manière proportionnée à l’ampleur de l’aléa et du risque intrinsèques du processus de fusion;
- Ces cadres devraient permettre de gagner la confiance du public, tout en ouvrant la voie à l’investissement et au développement, assurant ainsi une transition en douceur de la recherche sur la fusion à la commercialisation.
Voici, pour l’AIEA, les aspects spécifiques que devraient couvrir les exigences de sécurité pour les installations de fusion :
- Les conditions uniques de dégradation des matériaux sous l’impact du flux de neutrons à haute énergie ;
- Les conditions d’équipement uniques, par exemple, les conditions de vide et les événements initiateurs hypothétiques qui peuvent être déclenchés par cela ;
- Le confinement de matières radioactives, s’agissant notamment du tritium généré à partir du lithium recouvrant les parois.
- Programmes de démonstration et centrales pilotes existants ou en cours de développement
On dénombre aujourd’hui plus de 150 dispositifs de fusion dans le monde, publics et privés, en exploitation, en construction ou en cours de développement dans plus de 50 pays. Le Système d’Information sur les Dispositifs de Fusion (FusDIS)[7] de l’AIEA en donne une cartographie détaillée précisant les pays où ils sont installés, les technologies en jeu (Tokamak, Stellarateurs ou lasers…), l’état du projet et son statut, public ou privé… Le graphique ci-dessous en donne un bel aperçu.

Sur les 154 dispositifs dénombrés, 110 sont du domaine public et 44 du privé. 99 sont en exploitation, 14 en construction et 41 planifiés; 137 sont des installations expérimentales et 17 des centrales dédiées à la fusion; les réacteurs de type Tokamak représentent plus de 51% du total.
Les États-Unis, le japon, la Chine, la Russie et le Royaume-Uni regroupent plus de 64% des dispositifs.
Les États-Unis et le Royaume Uni font la part belle au privé, représentant respectivement 60 et 66% du total. En Russie, au Japon et en Chine ce sont les dispositifs publics qui dominent avec respectivement 100%, 96% et 71% des totaux.
Le tableau ci-dessous regroupe ces dernières informations.
Nombre de dispositifs de fusion | ||||||
Public | Privé | Total | ||||
Nombre | % | Nombre | % | Nombre | % | |
États-Unis | 15 | 40 | 23 | 60 | 38 | 100 |
Japon | 24 | 4 | 1 | 96 | 25 | 100 |
Chine | 10 | 29 | 4 | 71 | 14 | 100 |
Russie | 13 | 100 | 0 | 100 | 13 | 100 |
Royaume-Uni | 2 | 34 | 6 | 66 | 8 | 100 |
Le portrait global en ce qui concerne les configurations techniques, l’état des projets (en exploitation, en construction ou en développement) ou le type de dispositif (expérimental ou de démonstration – DEMO) donné dans le graphique ci-dessous tiré de FusDIS, confirme la domination des Tokamaks et des projets publics.

En ce qui concerne les installations publiques, le japon est en tête, notamment pour celles qui sont en exploitation, devant les États-Unis et la Russie, comme l’indique le graphique ci-dessous tiré aussi de FusDIS.

Dans The World Fusion Energy Outlook 2023, l’AIEA a produit un graphique qui résume l’ensemble des informations de FusDis et ressort notamment les principales voies de fusion en cours de développement, leurs moyens de confinement, leur mode de fonctionnement, leur configuration, leur combustible et leur principale source de financement.

Plusieurs centrales électriques à fusion de démonstration (DEMO) sont en cours de développement dans le monde. Les DEMOs les plus avancées se trouvent dans les pays qui participent au programme ITER, indique l’AIEA. Elles devraient être le pont entre ITER et une future centrale électrique à fusion commerciale.
ITER est la plus grande installation internationale de fusion expérimentale au monde. Elle est située à Cadarache, en France. Elle a été conçue pour démontrer la faisabilité scientifique et technologique de la production d’énergie de fusion. Les membres d’ITER sont la Chine, l’Union européenne (par l’intermédiaire de la Communauté européenne de l’énergie atomique (Euratom)), l’Inde, le Japon, la République de Corée, la Fédération de Russie et les États-Unis. Après dix ans de conception des composants, de préparation du site, de construction et de fabrication dans le monde entier, le processus d’assemblage d’ITER a débuté en 2020. L’objectif visé est de commencer à mener les premières expériences dans la seconde moitié de cette décennie et les expériences à pleine puissance en 2036.
Chiffres et faits clefs d’ITER:
Les principaux objectifs scientifiques du projet ITER sont la démonstration d’un gain d’énergie scientifique Qsci≥10[8] pour la combustion du plasma Deutérium-Tritium pendant une durée de 300 à 500 s (mode ELMy H-mode inductif) et le développement de scénarios non inductifs à impulsions longues visant à maintenir Qsci≈5 pendant des périodes allant jusqu’à 3 000 s
Poids : 23 000 tonnes; Hauteurs : 30 mètres; Dimensions du site : 180 ha; Volume du plasma : 830m3, le plus grand jamais construit;
Systèmes magnétiques : 18 aimants de champ toroïdal de 310 tonnes chacun, 6 bobines de champ poloïdal, un solénoïde central de 13 mètres de haut pesant 1 000 tonnes, 18 bobines de correction supraconductrices, 31 alimentateurs d’aimants supraconducteurs et 29 bobines non supraconductrices en cuve, pesant plus de 9 000 tonnes.
Diverteur: 54 cassettes en acier inoxydable, de dix tonnes. Matériau de revêtement du premier mur: tungstène, faible absorption de tritium et température de fusion la plus élevée de tout élément naturel.
Systèmes de chauffage externe avec leur capacité maximale : injection de faisceau neutre de 33 MW ; Chauffage cyclotron ionique de 20 MW ; Chauffage cyclotron électronique de 20 MW.
Objectif visés : générer 500 MW d’énergie de fusion à partir de 50 MW d’énergie injectée pendant des périodes de 300 à 600 secondes.
Le tableau ci-dessous donne la liste des dispositifs de démonstration (DEMO) planifiés. Il précise entre autres les pays qui les développent, la technologie utilisée et le type de propriété.
Le Tokamak traditionnel est la technologie dominante. Il s’agit dans la plupart des cas d’installations publiques, sauf au Royaume Uni (1 sur 2) et aux États-Unis où toutes les DEMOs sont initiées par des entreprises privées, l’État se contentant d’encourager et de financer ces initiatives.
Les calendriers de réalisation de ces différentes installations varient selon les pays, indique l’AIEA. « Mais, souligne-t-elle, les experts s’accordent pour dire qu’une centrale à fusion productrice d’électricité pourrait être construite et opérationnelle d’ici 2050 ».

L’AIEA signale cependant qu’un certain nombre d’entreprises commerciales financées par des fonds privés font des progrès remarquables dans l’élaboration de concepts de centrales à fusion et proposent l’énergie de fusion encore plus tôt, comme cela ressort de l’enquête de Fusion Industry Association citée dans l’introduction. Ces entreprises s’appuient, indique l’AIEA, sur les savoirs et savoir-faire générés au cours des dernières décennies par la R&D conduite avec des fonds publics. Certaines d’entre elles utilisent des concepts basés sur des réactions de fusion autres que la réaction Deutérium-Tritium.
L’AIEA donne par la suite une brève description de chacune de ces DEMOs du tableau, rappelant notamment l’objectif spécifique poursuivi, le calendrier de réalisation et les étapes déjà franchies, l’envergure physique des installations.
L’approche américaine privilégiant le financement privé est brièvement exposée. Pilotée par le Département de l’énergie (DOE), elle s’appuie sur 8 sociétés commerciales auxquelles des fonds de R&D sont alloués. L’AIEA signale le cas de Commonwealth Fusion Systems (CFS)[9] qui est l’une des entreprises les plus prometteuses, une de celles qui considèrent qu’une centrale électrique à fusion commercialement viable est possible avant 2035. CFS a fait la une des médias spécialisés en 2021 avec l’annonce du succès de l’expérimentation d’un aimant supraconducteur à haute température capable de générer des champs magnétiques de 20 teslas (maximum de 13 tesla pour ITER). CFS a développé depuis un modèle de tokamak appelé SPARC qui devrait, selon ses promoteurs, atteindre le seuil de l’énergie nette de fusion en 2025 et l’achèvement de la centrale électrique commerciale à fusion, ARC, en 2030[10]. CFS a, à ce jour, réussi à mobiliser plus de 2 milliards de dollars US de fonds privés sur son projet.
L’accord d’approche élargie établi en 2007 entre Euratom et le Japon est une autre initiative d’intérêt que présente l’AIEA dans son dossier (World Fusion Energy Outlook 2023). Dans le cadre de cet accord visant à accélérer le développement de la technologie de fusion, l’UE et le Japon travaillent ensemble sur trois projets liés à la fusion, tous situés au Japon et complémentaires d’ITER : la construction de l’expérience internationale conjointe sur la fusion, JT-60SA ; les activités de validation technique et de conception technique pour le FIMIF (FIMIF/EVEDA) ; et le Centre international de recherche sur l’énergie de fusion (IFERC).
Le JT-60SA est actuellement le plus grand tokamak au monde. Il a été achevé en 2020. Son programme est axé sur l’élaboration de scénarios et l’atténuation des risques dans ITER et DEMOs. Trois installations ont été conçues et fabriquées pour valider la conception de l’IFMIF/EVEDA : l’installation d’essai de flux de neutrons, l’installation cible de lithium et l’installation d’accélérateur.
L’IFMIF (International Fusion Materials Irradiation Facility – Installation internationale d’irradiation des matériaux de fusion) est une source de neutrons de fusion destinée à être utilisée comme installation d’essai pour trouver et qualifier de nouveaux matériaux avancés entrant dans la construction des composants faisant face au plasma dans les futurs réacteurs à fusion. Ces matériaux doivent être résistants à un bombardement extrêmement intense de neutrons de haute énergie à l’intérieur d’un réacteur à fusion.
Le projet IFMIF/EVEDA (Engineering Design and Engineering Validation Activities – Activités de conception et de validation techniques) vise à produire une conception technique intégrée de l’usine IFMIF et les données nécessaires aux décisions futures sur la construction, l’exploitation et le déclassement de la future source de neutrons de fusion en complétant les activités de validation technique de ses trois installations principales.
L’IFERC a coordonné la caractérisation d’échantillons uniques provenant de composants faisant face au plasma à base de tungstène et de béryllium du projet JET ITER-Like Wall et des campagnes opérationnelles du JET avec des plasmas D-T. Le JET (Joint European Torus) est l’expérience de fusion la plus grande et la plus réussie au monde et l’une des principales installations de recherche de l’Union Européenne.
Source : IAEA, The World Fusion Energy 2023
Telles sont le dynamiques en œuvre, au niveau opérationnel, dans le processus visant la maîtrise et le contrôle de de l’énergie de fusion nucléaire. Elles inspirent cette déclaration que le Directeur Général d’ITER a faite dans le dossier World Fusion Energy Outlook 2023 de l’AIEA : « Le regain d’intérêt mondial pour l’énergie de fusion ces dernières années, comme en témoignent les initiatives de recherche publiques et privées, les investissements, la sensibilisation du public et le soutien des parties prenantes, est une évolution des plus bienvenues. J’espère que ces efforts pourront être canalisés vers l’identification collective de solutions aux défis scientifiques et technologiques restants afin de faire de la fusion nucléaire une source d’énergie disponible pour les générations futures ».
- Le rôle que joue l’AIEA dans toutes ces dynamiques
Selon The World Fusion Energy Outlook 2023, l’AIEA soutient et coordonne les activités de développement dans le domaine de la fusion nucléaire depuis 1958. Elle a organisé, dès 1961, la première Conférence sur l’énergie de fusion (FEC), laquelle marqua le début d’une coopération internationale coordonnée en matière de recherche et développement dans le domaine de la fusion. La FEC, établie désormais comme une conférence biennale, vient de tenir, en octobre 2023, à Londres (Grande Bretagne), sa 29e édition[11] visant « à offrir un forum de discussion sur les questions clés de physique et de technologie ainsi que sur les concepts innovants directement liés à l’utilisation de la fusion nucléaire comme future source d’énergie ».
Outre la FEC, cette conférence de partage d’expérience et de réflexion concertée, l’AIEA organise une série d’ateliers sur les concepts DEMO, des réunions techniques périodiques et divers autres ateliers sur des sujets liés à la science et à la technologie de la fusion. Ses activités s’étendent aussi à la recherche, au développement et à la démonstration en science des plasmas et de la fusion, aux aspects technologiques et infrastructurels et aux questions de sûreté et de réglementation.
L’AIEA met actuellement en œuvre, indique le dossier, cinq projets de recherche liés à la fusion portant respectivement sur i) les dispositifs de fusion par confinement magnétique de petite et moyenne taille dédiés la recherche sur la fusion, ii) les voies d’accès à l’énergie à partir de la fusion inertielle – Recherche et développement technologique sur les matériaux, iii) la normalisation des techniques d’essai de petits échantillons pour les applications de fusion, iv) le développement et l’application des techniques de faisceaux d’ions pour l’irradiation et la caractérisation des matériaux en rapport avec la technologie de fusion, v) l’intelligence artificielle au service de la science de la fusion.
Le FuSDIS, le Système d’information sur la fusion déjà présenté, s’inscrit bien dans la dynamique de partage d’information et d’expérience qu’entretient l’AIEA pour renforcer la coopération internationale sur la fusion contrôlée.
Avec l’initiative Women in Fusion (WiF), l’AIEA cherche à renforcer la participation des femmes à cette dynamique comme explicité dans les objectifs poursuivis, à savoir i) Atteindre la parité hommes-femmes au sein de la communauté de la fusion par la création de réseaux et la promotion des femmes dans les sciences à tous les niveaux d’enseignement ; ii) Faciliter l’établissement d’un environnement de travail convivial pour tous, en prêtant attention à la diversité et en augmentant la visibilité des femmes dans les activité sur la fusion ; ii) Reconnaître les nombreuses contributions apportées par les femmes dans les domaines de la science, de la recherche et de la technologie de la fusion ; iv) Promouvoir la fusion comme source d’énergie propre pour soutenir la lutte contre le changement climatique.
- Conclusion
Cette deuxième partie du dossier sur la fusion nucléaire contrôlée, objet de ce numéro du bulletin, a traité i) des enjeux de sureté et de sécurité nucléaires pour la fusion, ii) des programmes de démonstration et des usines pilotes existants ou en cours de développement sur la fusion contrôlée, et iii) du rôle que joue l’AIEA pour stimuler la collaboration internationale sur l’énergie de fusion. Nous nous sommes appuyés, pour ce faire, sur The World Fusion Energy Outlook publié par l’AIEA en 2023.
Les enjeux de sureté et de sécurité nucléaires pour la fusion se posent en des termes spécifiques. En effet, la fusion nucléaire contrôlée est en train de se développer et cherche à se déployer dans un contexte ultrasécuritaire hautement balisé, conçu à la base pour encadrer les activités liées à la fission nucléaire. Or, selon les experts du domaine, il existe entre la fission et la fusion, « des différences fondamentales, des exigences technologiques et des caractéristiques distinctes qui modifient le potentiel de danger et les principaux problèmes de sécurité » et qui permettent d’affirmer que « la fusion est intrinsèquement sûre ». Dès lors, les pesants cadres juridiques nationaux et internationaux pensés pour des utilisations sûres, sécurisées et pacifiques de la fission nucléaire sont-ils applicables tels quels et adaptés aux systèmes d’énergie de fusion? Ne vont-ils pas entraver le développement de cette dernière? Pour l’AIEA, les principes qui encadrent aujourd’hui la recherche dans ce domaine devraient s’inscrire dans une dynamique visant à gagner la confiance du public, en appliquant les cadres juridiques existants d’une manière proportionnée à l’ampleur de l’aléa et du risque intrinsèques du processus de fusion, de sorte à assurer une transition en douceur de la recherche sur la fusion à sa commercialisation. Les conditions uniques de dégradation des matériaux sous l’impact du flux de neutrons à haute énergie, les conditions de vide dans les enceintes contenant le plasma et le confinement des matières radioactives résultant du craquage du lithium pour obtenir du tritium, constituent des aspects spécifiques de sécurité qui doivent être considérés, selon l’AIEA.
Les programmes de démonstration et les usines pilotes existants ou en cours de développement sur la fusion contrôlée dépassent le nombre de 150. FusDis, le système d’information sur les dispositifs de fusion développé par l’AIEA, en donne une cartographie détaillée précisant les pays où ils sont installés, les technologies en jeu (Tokamak, Stellarateurs ou lasers…), l’état du projet et son statut, public ou privé. Le dossier de l’AIEA distingue dans cet ensemble les DEMOs, les centrales électriques de DEMOnstration qui préfigurent les futures centrales électriques commerciales à fusion. Il en donne une brève description, rappelant notamment l’objectif spécifique poursuivi, le calendrier de réalisation et les étapes déjà franchies, ainsi que l’envergure physique des installations. Il a fait part, dans ce contexte, i) de l’Accord d’approche élargie entre l’Union Européenne et le Japon, et ii) des initiatives privées américaines qui sont en train de créer des dynamiques spécifiques permettant d’accélérer le développement de la technologie de fusion.
L’AIEA joue un rôle de premier plan dans ce développement. Elle organise divers forums sur la fusion, dont la Conférence Biennale sur l’énergie de fusion (FEC), des ateliers sur les concepts DEMO, des réunions techniques périodiques et des séminaires sur des sujets liés à la science et à la technologie de la fusion. Ses activités s’étendent aussi à la recherche, au développement et à la démonstration en science des plasmas et de la fusion, aux aspects technologiques et infrastructurels et aux questions de sûreté et de réglementation. FuSDIS, le Système d’information sur la fusion qu’elle a mis en place et qu’elle gère, et le dossier The World Fusion Energy Outlook 2023, s’inscrivent bien dans la dynamique de partage d’information et d’expérience qu’elle entretient pour renforcer la coopération internationale sur la fusion contrôlée. Car, conclut le Directeur Général de l’AIEA, « la collaboration internationale est essentielle pour relever ce grand défi d’ingénierie du 21e siècle. »
[1] Fusion Industry Association, The Global Fusion Industry in 2030, Fusion Companies Survey by the Fusion Industry Association, 2023, https://www.fusionindustryassociation.org/wp-content/uploads/2023/07/FIA%E2%80%932023-FINAL.pdf
[2] Associated Press, At COP28, John Kerry unveils nuclear fusion strategy as source of clean energy, December 5, 2024, https://apnews.com/article/fusion-nuclear-john-kerry-cop28-climate-power-energy-40ffa257eae528163f68554368cacfee?mc_cid=0cddde673c&mc_eid=0eaa8a10ec
[3] IAEA, The World Fusion Energy Outlook 2023: Fusion Energy : Present and Future, https://www-pub.iaea.org/MTCD/Publications/PDF/FusionOutlook2023_web.pdf
[4] Global Shift Institute,Maîtrise de la Fusion nucléaire ou comment mettre le soleil en bouteille, mai 2024, https://www.globalshift.ca/maitrise-de-la-fusion-nucleaire-ou-comment-mettre-le-soleil-en-bouteille/
[5] ITER, Safety and Environment, https://www.iter.org>mach>safety,
[6] IAEA, The World Fusion Energy Outlook 2023: Fusion Energy : Present and Future, https://www-pub.iaea.org/MTCD/Publications/PDF/FusionOutlook2023_web.pdf
[7] IAEA, The Fusion Device Information System (FusDIS), https://nucleus.iaea.org/sites/fusionportal/Pages/FusDIS.aspx
[8] QSCI, le gain d’énergie scientifique correspond à l’énergie de fusion libérée (chaleur produite) divisée par l’énergie délivrée au combustible (chauffage donné). Ceci est différent du gain d’énergie d’ingénierie (Qeng), qui correspond au rapport entre la puissance du réseau et l’énergie électrique en recirculation. ITER est conçu pour réaliser un gain d’énergie scientifique. Les dispositifs de type DEMO sont conçus pour obtenir un gain d’ingénierie net (Qeng>1).
[9] CFS, The surest path to limitless clean fusion energy, https://cfs.energy/
[10] Wikipedia, Commonwealth Fusion Systems
[11] IAEA, 29th Fusion Energy Conference, 16-21 October 2023, https://www.iaea.org/events/fec2023