L’efficacité énergétique pour une transition plus rapide, moins coûteuse et moins difficile à réaliser

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Bulletin de juillet 2023

Sibi Bonfils

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  1. Introduction

Le principal objectif de l’Accord de Paris sur le climat[1], tel que défini en son article 2, est de contenir l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels et de poursuivre l’action menée pour limiter cette élévation à 1,5 °C

L’article 4 de l’Accord est très précis sur la façon d’atteindre cet objectif de température à long terme. Il faut, indique-t-il dans l’inimitable jargon onusien, « parvenir à un équilibre entre les émissions anthropiques par les sources et les absorptions anthropiques par les puits de gaz à effet de serre au cours de la deuxième moitié du siècle » en passant par un plafonnement des émissions « dans les meilleurs délais ».

Les travaux du GIEC et en particulier le rapport de son 6ème Cycle d’évaluation ont permis de traduire cette disposition en trajectoire d’émissions et en plans d’action structurés pour réaliser l’équilibre entre émissions et puits, et donc la neutralité carbone. Les grandes agences du secteur de l’énergie, l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE) et l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA) notamment, ont bâti sur ce socle leurs stratégies de transition vers la carboneutralité dans le secteur de l’énergie, la principale source d’émissions mondiales dont ce dernier est responsable des trois quarts (75%).

Le Scénario Zéro émissions nettes d’ici 2050 (NZE2050 – ZÉN2050) de l’AIE participe de ces stratégies qui prônent, pour la plupart, une transformation complète du système énergétique mondial. L’efficacité énergétique tient dans ce scénario un rôle de premier plan. L’AIE la considère comme le « premier combustible » dont la mobilisation précoce reste le meilleur gage pour une transition énergétique vers le zéro émissions nettes plus rapide, moins coûteuse et moins difficile à réaliser.

C’est au moins ce qui ressort du dossier[2] que l’AIE a publié courant juin 2022, en amont de sa 7e Conférence mondiale sur l’efficacité énergétique. Ce dossier, intitulé The value of urgent action on energy efficiency (L’importance d’une action urgente en matière d’efficacité énergétique), comprend deux volets. Le premier volet relève les Faits saillants justifiant l’urgence d’agir. Le second volet est une Boîte à outil qui fournit aux gouvernements une approche pratique pour accélérer l’action en matière d’efficacité énergétique.

Ce numéro du bulletin est centré sur ce dossier. Il en donne les grandes lignes en ce qui concerne l’urgence de l’action en matière d’efficacité énergétique, et en présente les 7 outils de la boite à outils.

  • Pourquoi une action plus rapide en matière d’efficacité énergétique

Dans le Scénario Zéro Émissions Nettes d’ici 2050 (ZÉN2050 -NZE2050) de l’AIE qui définit pour le secteur de l’énergie la trajectoire optimale d’émission et les gestes concrets à poser pour réaliser la carboneutralité d’ici 2050, l’efficacité énergétique est considérée comme le premier combustible à mobiliser. L’AIE fait ainsi du doublement du taux d’amélioration de l’intensité énergétique mondiale (i.e. la consommation d’énergie par unité de PIB) sur la décennie 2020-2030 par rapport à 2010-2020, une des mesures clés du NZE2050.

Intensité énergétique

L’intensité énergétique est une mesure qui est souvent utilisée pour évaluer l’efficacité énergétique d’une économie donnée. La valeur numérique est traditionnellement calculée en faisant le rapport entre la consommation d’énergie (ou l’approvisionnement en énergie) et le produit intérieur brut (PIB), indiquant dans quelle mesure l’économie convertit l’énergie en production monétaire. Les unités typiques d’intensité énergétique sont les joules (tep ou Btu) par dollar américain. Plus le ratio d’intensité énergétique est faible, plus l’intensité énergétique d’un pays donné est faible. De toute évidence, une faible intensité énergétique est l’objectif recherché, car elle représente une allocation efficace des ressources énergétiques pour générer de la richesse et une qualité de vie élevée.

Source : ScienceDirect, 2022[3]

2.1. Les tendances récentes concernant l’évolution de l’intensité énergétique et l’impact de cette évolution sur l’économie et les émissions de CO2 renforcent l’idée que son amélioration rapide est le bon choix dans la perspective du zéro émissions nettes d’ici 2050. Tout indique par ailleurs qu’on sait quoi faire et comment le faire pour accélérer et réussir cette amélioration.

A – Le schéma ci-dessous donne i) les taux d’amélioration de l’intensité énergétique mondiale entre 2000 et 2022 et ii) ses taux supposés pour la période 2021-2030 dans différents scénarios.

Il montre que depuis 2001, l’économie mondiale a connu une amélioration soutenue de l’intensité énergétique. Cette amélioration a été de 2,2% en 2022, soit, indique l’AIE, le double de la moyenne des cinq années précédentes et quatre fois le taux atteint au cours des deux dernières années.

Cette bonification de l’intensité énergétique a eu un impact notable sur les évolutions de la demande d’énergie et des émissions de CO2. Ces évolutions ont été respectivement de 1% et de 0,9% en 2022 selon l’AIE qui souligne que « la croissance de la demande d’énergie aurait pu être trois fois plus élevée si les progrès mondiaux en matière d’efficacité énergétique n’étaient pas passés d’environ 0,5 % par an en 2020 et 2021 à un peu plus de 2 % en 2022 ».

Le schéma ci-dessous montre comment l’amélioration de l’intensité a compensé la croissance des émissions entre 2000 et 2019.

Ce schéma montre surtout que « sans les gains d’intensité énergétique mondiale des deux dernières décennies, la croissance des émissions aurait presque doublé, soit environ 8 Gt par an de plus en 2019 », selon l’AIE.

B – Ces résultats sont le fruit d’un renforcement soutenu des politiques d’efficacité énergétique à l’échelle mondiale.

Les pays représentant plus de 70 % de la consommation mondiale d’énergie ont mis en place des politiques d’efficacité nouvelles ou renforcées depuis le début de la crise énergétique mondiale, indique l’AIE. C’est le cas i) des États-Unis avec la loi sur la Réduction de l’inflation prévoyant 95 milliards de dollars pour l’efficacité énergétique, ii) du Japon avec son Plan de Transformation verte renforçant les bases juridiques de ses ambitions en matière d’efficacité énergétique ou iii) de l’Union Européenne avec son Plan REPowerEU mettant à jour sa Directive sur l’efficacité énergétique et relevant ses objectifs d’efficacité énergétique.

Une centaine de pays ont mis en place des normes minimales obligatoires de performance énergétique (MEPS), soutient l’AIE. C’est une marque notable des progrès enregistrés dans la mise en œuvre des politiques. En Afrique du Sud par exemple, toutes les nouvelles lampes vendues doivent être de technologie DEL (Diode ÉlectroLuminescente). Le schéma ci-dessous donne un aperçu de ces évolutions pour différents usages de l’électricité.

C – Le rebond du taux d’amélioration de l’intensité énergétique en 2022 est indubitablement lié i) aux campagnes de sensibilisation des gouvernements pour aider à réduire les consommations d’énergie, ii) aux mesures techniques ou normatives prises. L’AIE dénombre 25 pays qui ont conduit de telles campagnes allant des incitations pour changer les habitudes de consommation à des actions plus structurantes comme le remplacement des équipements domestiques privilégiant les plus efficaces. Des normes de limitation ou d’élévation des températures intérieures ont aussi été mises en place.

D – L’essor des ventes des technologies clés d’efficacité a aussi contribué à la bonification du taux d’amélioration de l’intensité énergétique. L’AIE rappelle que i) les ventes de pompes à chaleur ont augmenté de plus de 10 % dans le monde en 2022, et de près de 40 % en Europe, et que ii) la part des véhicules électriques dans les ventes mondiales de voitures en 2022 était de 14 % et devrait atteindre 18 % en 2023. Le schéma ci-dessous permet de fixer les idées en ce qui concerne les pompes à chaleur

L’augmentation des ventes des technologies favorisant l’efficacité, telles que les commandes intelligentes et les systèmes de gestion de l’énergie des bâtiments s’inscrit dans la même dynamique, même si l’on est encore loin du compte par rapport aux objectifs du zéro émissions nettes d’ici 2050.

E – L’investissement dans l’efficacité énergétique se renforce d’année en année et devrait atteindre des niveaux records en 2023 selon l’AIE. L’électrification du transport et la réalisation de bâtiments efficaces tiennent le haut du pavé, de même que l’efficacité numérique avec notamment l’expansion des infrastructures de recharge des véhicules électriques.

Le schéma ci-dessous donne un aperçu des différents investissements réalisés dans le monde entre 2019 et 2023 dans les domaines de l’électrification des usages et de l’efficacité énergétique pour le transport, l’industrie et les bâtiments.

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Description générée automatiquement

Ces pratiques et les résultats qu’elles ont permis d’obtenir confortent le choix de l’efficacité énergétique comme premier combustible de la transition. Mais ces résultats restent bien en-deçà des niveaux qu’exige le défi du zéro émissions nettes d’ici 2050. L’idée d’élever le niveau des ambitions et d’accélérer les mises en œuvre tire sa logique de ce constat.

2.2. Pour un futur énergétique plus efficient et répondant aux exigences de la carboneutralité d’ici 2050, il faut, indique l’AIE, doubler le taux d’amélioration de l’efficacité énergétique, accélérer la mise en œuvre des politiques existantes et tripler les investissements annuels la concernant.

A – Selon l’AIE, le doublement du taux d’amélioration de l’intensité énergétique mondiale, de 2% par an aujourd’hui, à 4% par an sur le reste de la décennie, permet de réduire substantiellement les émissions liées à l’énergie, compensant notamment la pression à la hausse des émissions due à l’augmentation de la population et des revenus. Le schéma ci-dessous en donne une bonne idée.

Une image contenant texte, capture d’écran, diagramme, nombre

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B – Les niveaux actuels d’engagement des pays contenus dans les politiques annoncées ne permettraient pas d’atteindre les objectifs de réduction compatibles avec un réchauffement mondial en dessous de 1,5°C. Seule une accélération des actions en matière d’efficacité énergétique, avec notamment le doublement de l’amélioration de l’intensité énergétique dès cette décennie, le permettrait. Le schéma ci-dessous donne un aperçu des différentes mesures à mettre en œuvre dans cette perspective.

C – Plusieurs autres co-bénéfices militent en faveur de l’amélioration rapide de l’efficacité énergétique, indique l’AIE : i) la création de plus d’une dizaine de millions d’emplois dans la rénovation des bâtiments ou la construction neuve, la gestion de l’énergie, le déploiement des véhicules électriques et dans les secteurs manufacturiers; ii) l’accélération de l’accès universel aux services énergétiques modernes et l’abandon rapide des usages traditionnels de la biomasse, iii)le renforcement de la sécurité énergétique, notamment pour les pays importateurs d’hydrocarbures.

D – Il faudra tripler l’investissement consacré à l’efficacité énergétique pour espérer le doublement du taux d’amélioration de l’intensité énergétique et, de la sorte, tirer avantage de l’ensemble de ses impacts positifs, l’accélération de la transition vers les énergies propres, la réduction des émissions dans la perspective du NZE2050 et les co-bénéfices susvisés. L’investissement devrait passer de 600 milliards de dollars aujourd’hui à 1 800 milliards de dollars d’ici la fin de la décennie, indique l’AIE. Le schéma ci-dessous rappelle l’évolution des investissements dans les différents secteurs sur le 5 dernières années et ses niveaux visés en 2030 dans différents scénarios, le NZE2050 notamment.

  • La boîte à outils des politiques d’efficacité énergétique

L’AIE a conçu cette boîte à outils des politiques d’efficacité énergétique[4] pour soutenir, renforcer davantage et accélérer l’action des gouvernements dans ce domaine. La boîte à outils guide ces derniers dans la conception des politiques, dans les processus de prise de décision les concernant et dans leur mise en œuvre. Elle comprend deux parties qui se complètent :

  • Un ensemble de 10 principes stratégiques rassemblant les principaux enseignements tirés de l’expérience mondiale sur la façon de maximiser l’impact positif de toutes les politiques et programmes d’efficacité énergétique;
  • Un ensemble cohérent de politiques sectorielles permettant de générer des gains d’efficacité plus rapides et plus élevés. Ces politiques combinent les mesures réglementaires, l’information et les incitations pour maximiser ces gains.

3.1. Les 10 principes stratégiques présentés dans le tableau ci-dessous sont le fruit de l’analyse par l’AIE des meilleures pratiques en efficacité énergétique et du travail réalisé par la Commission mondiale pour une action urgente en matière d’efficacité énergétique. Ils devraient permettre aux gouvernements de définir et mettre en œuvre des politiques nouvelles et plus efficaces pour renforcer et accélérer les gains d’efficacité.

3.2. La boîte à outils de l’efficacité énergétique comprend 8 outils présentés sous forme fiches techniques dont la première, introductive, rappelle que les gains d’efficacité énergétique les plus importants sont obtenus, quel que soit le secteur, en combinant trois types de mécanismes : la régulation, l’information et les incitations. Les 7 autres fiches portent respectivement sur l’efficacité énergétique dans les appareils domestiques, les bâtiments, l’industrie, les véhicules, les villes, la cuisson propre et enfin sur le financement de l’efficacité énergétique.

  • Conclusion

Dans le Scénario Zéro Émissions Nettes d’ici 2050 (ZÉN2050 -NZE2050) de l’AIE qui définit pour le secteur de l’énergie la trajectoire optimale d’émission et les gestes concrets à poser pour réaliser la carboneutralité d’ici 2050, l’efficacité énergétique tient un rôle de premier plan. L’AIE la considère aujourd’hui comme le « premier combustible » dont la mobilisation précoce reste le meilleur gage pour une transition énergétique vers le zéro émissions nettes plus rapide, moins coûteuse et moins difficile à réaliser.

C’est ce qui ressort clairement du dossier qu’elle a produit, courant juin 2022, en amont de sa 7e Conférence mondiale sur l’efficacité énergétique. Ce dossier, intitulé The value of urgent action on energy efficiency (L’importance d’une action urgente en matière d’efficacité énergétique) comprend deux volets. Le premier volet relève les faits saillants justifiant l’urgence d’agir et indiquant comment agir. Le second volet est une Boîte à outil qui fournit aux gouvernements une approche pratique pour conduire et accélérer l’action en matière d’efficacité énergétique.

Ce numéro du bulletin porte sur ce dossier.

Les faits saillants relevés concernent, d’une part, les tendances récentes observées au niveau de l’efficacité énergétique et, d’autre part, la façon dont l’efficacité énergétique est mise à contribution dans le Scénario NZE2050 pour réussir la transition vers la carboneutralité.

Un retour sur le passé récent montre que les politiques d’efficacité énergétique se sont notablement renforcées à l’échelle mondiale, indique l’AIE. On note ainsi, en 2022, un taux d’amélioration de 2,2%, le double de la moyenne des cinq dernières années. Cela aurait permis de diviser par trois le taux d’évolution de la demande mondiale d’énergie. Les ventes des technologies clés d’efficacité énergétique seraient en plein essor, s’agissant notamment des pompes à chaleur et des véhicules électriques, et l’investissement dans l’efficacité énergétique devrait atteindre des niveaux record en 2023.

Pour un futur énergétique plus efficient, dans la perspective de la transition souhaitée, il faudra, selon le Scénario NZE2050 de l’AIE, i) doubler le taux d’amélioration de l’efficacité énergétique en le montant jusqu’à 4%, ii) tripler les investissements en matière d’efficacité énergétique et surtout, iii) accélérer la mise en œuvre des politiques d’efficacité énergétique existantes.

C’est à ce dernier niveau qu’intervient la boîte à outils des politiques d’efficacité énergétique que propose l’AIE. Le principal objectif de cette boîte à outils est de soutenir, renforcer davantage et accélérer l’action des gouvernements dans le domaine de l’efficacité énergétique en les guidant dans la conception des politiques, dans les processus de prise de décision et dans la mise en œuvre. Les 8 outils proposés traitent respectivement des principes et du cadre général des politiques d’efficacité énergétique (1); de l’efficacité énergétique dans l’électroménager (2), les Bâtiments (3), l’industrie (4), les véhicules (5), les Villes (6), la cuisson propre (7); et du financement (8). Les politiques recommandées combinent les trois principaux types de mécanismes que sont le règlementation, l’information et les incitations.

Ces outils constituent la clé d’un futur énergétique plus propre et plus efficient. Leur mise en œuvre réussie au cours de cette décennie est le meilleur gage, nous dit l’AIE, pour réussir la nécessaire transition vers un monde capable de limiter le réchauffement de son climat en dessous du seuil critique de 1,5°C.

A bon entendeur salut!


[1] Nations Unies, L’Accord de Paris sur le climat, https://unfccc.int/files/essential_background/convention/application/pdf/french_paris_agreement.pdf

[2] International Energy Agency (IEA), The value of urgent action on energy efficiency, https://www.iea.org/reports/the-value-of-urgent-action-on-energy-efficiency

[3] ScienceDirect, Energy Intensity, https://www.sciencedirect.com/topics/engineering/energy-intensity

[4] IEA, Energy Efficiency Policy Toolkit 2023, from Sønderborg to Versailles, 2023, https://www.iea.org/reports/energy-efficiency-the-decade-for-action/energy-efficiency-policy-toolkit-2023-from-sonderborg-to-versailles