Le Scénario négaWatt 2017-2050

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Bulletin GSI d’avril 2021

Le Scénario négaWatt 2017-2050

  1. Introduction

Ce numéro du bulletin porte sur le Scénario négaWatt 2017-2050 évoqué dans le numéro de mars[1] comme l’une des approches structurées de prospective énergétique concluant à la faisabilité technique, économique, sociale, environnementale, voire éthique, d’un mix électrique français à 100% renouvelable à l’horizon 2050.

Réussir la transition énergétique en France en se passant du nucléaire et des énergies fossiles dans le secteur de l’énergie, en maintenant un haut niveau de services énergétiques pour l’ensemble des besoins, tout en faisant des centaines de milliards d’euros d’économies et en créant des centaines de milliers d’emplois, serait possible selon ce Scénario, traitant, non pas du mix électrique, mais du mix énergétique français.

L’association négaWatt qui porte la démarche à la base de ce Scénario depuis sa création en 2001, se définit comme un groupe « d’experts et praticiens de l’énergie souhaitant promouvoir en France un système énergétique plus soutenable ». Elle rassemble aujourd’hui près de 1 400 adhérents de profils et secteurs d’activité variés, et répartis sur l’ensemble du territoire français « avec cependant un point commun : la conviction qu’un autre système énergétique est possible et souhaitable [2]».

Le Scénario négaWatt 2017-2050 qui décrit un tel système et détaille la façon de le construire, est abondamment documenté dans les publications et sur le site de l’Association. La brève description qui en est proposée dans ce numéro du bulletin est comme une invite à sa découverte à travers les références citées.

  1. Le scénario négaWatt 2017-2050

Il s’inscrit dans la perspective des scénarios de neutralité carbone qui fleurissent à différentes échelles, urbaines, nationales et internationales, depuis l’adoption de l’accord de Paris en 2015. Celui de l’AIE déjà présenté dans un numéro précédent du bulletin[3], et celui de l’IRENA sont sans doute les plus connus. Mais des pays comme la Chine, le Japon, le Costa Rica, la Suisse ou le Royaume Uni ont le leur. Des villes Comme Copenhague, Montréal ou Paris ont aussi le leur[4].

Le Scénario négaWatt, va cependant plus loin dans son analyse que la plupart de ses homologues. Les monographies et les différents éléments d’information utilisés ici pour en donner un aperçu que j’espère invitant, sont tirés du site internet qui lui est dédié[5] et de trois brochures de grande qualité permettant de :

  • le découvrir, L’essentiel du Scénario négaWatt 2017-2050[6], en 4 pages
  • le comprendre, Les grandes lignes du scénario négaWatt[7], en 12 pages, et
  • l’approfondir, Synthèse du scénario Négawatt[8], en 48 pages

Le Scénario négaWatt 2017-2050 est né dans un contexte mondial fortement marqué par la lutte contre le changement climatique et par des tensions géopolitiques souvent mortifères liées aux ressources énergétiques. Il porte aussi la marque de trois décennies d’intenses concertations mondiales sur l’environnement et le développement, conclues (provisoirement) par l’adoption en 2015 de l’Accord de Paris sur le Climat et surtout de l’Agenda 2030 pour le développement durable et de ses 17 objectifs globaux.

Il s’inscrit aussi dans l’ensemble des réflexions conduites en France pour tenir les engagements internationaux et relever un certain nombre de défis internes induits par le contexte international, ou propres, comme ceux :

  • de division par quatre des émissions de gaz à effet de serre et par deux de la consommation d’énergie finale d’ici 2050 ;
  • de réduction de la part du nucléaire et de l’augmentation de celle des énergies renouvelables dans le mix électrique national.

Le Scénario négaWatt est « organisé autour d’un certain nombre de principes fondamentaux et de choix méthodologiques » qui s’expriment notamment dans :

  • la démarche négaWatt[9], une approche reposant principalement sur la sobriété et l’efficacité énergétiques et sur les énergies renouvelables. Elle est brièvement décrite ci-après;
  • l’objectif 100% soutenable, visant, grâce aux seules renouvelables, une décarbonation complète de l’énergie, permettant de réaliser, pour la France, l’objectif zéro émissions nettes à l’horizon 2050 tout en diminuant significativement « l’ensemble des impacts environnementaux et des risques technologiques associés plus ou moins directement au système énergétique » national,
  • le réalisme des choix, privilégiant au plan technologique, les options présentant le plus haut degré de maturité. Les technologies aujourd’hui suffisamment mâtures sont ainsi à la base des choix opérés. « Il s’agit, indiquent les auteurs, d’éviter de s’en remettre à d’hypothétiques ruptures souvent prétexte à différer l’action». Au plan économique, les options idoines sont celles dont les coûts intègrent l’ensemble des externalités. Les limites de ressources et les impacts sociaux et environnementaux sont déterminants ici pour les solutions retenues.
  1. La démarche négaWatt

La démarche négaWatt, une sorte de marque de fabrique de l’association éponyme, « consiste d’abord à réduire les besoins par la sobriété dans les usages individuels et collectifs de l’énergie. L’efficacité permet ensuite de diminuer la quantité d’énergie nécessaire à la satisfaction de ces besoins. La priorité peut enfin être donnée aux énergies renouvelables qui, grâce à un développement ambitieux mais réaliste, peuvent remplacer progressivement les énergies fossiles et nucléaire[10] ».

Le graphique ci-dessous résume cette démarche mise au point dès les premiers travaux de l’Association négaWatt.

Le résultat escompté de cet exercice est représenté dans le graphique ci-dessous, devenu une sorte de symbole de la démarche négaWatt.

Ce graphique montre comment, en exploitant les gisements de négaWatt (sobriété + efficacité sur les équipements et les appareilles + efficacité dans le système productif) et en mettant à contribution les énergies renouvelables, on peut passer de la trajectoire énergétique « tendancielle », celle du cours normal des affaires, à la trajectoire « négaWatt », celle qui conduit vers « l’autre système énergétique possible et souhaitable ».

  1. Mise en œuvre de la démarche négaWatt

Dans le Scénario négaWatt 2017-2050, cette démarche a été appliquée à tous les secteurs d’activité (bâtiment, transport, industrie et agriculture) pour trois grands usages de l’énergie (chaleur, mobilité et électricité spécifique). La démarche part des services énergétiques liés à ces usages (se chauffer, se déplacer, s’éclairer…) pour déterminer, secteur par secteur, la demande en énergie finale (combustibles, carburants, gaz réseau, électricité, fluide thermique…), puis en énergie primaire (charbon, pétrole, gaz naturel, uranium, électricité renouvelable, biomasse…). Le graphique ci-dessous décrit cette modélisation

Les analyses fines conduites au niveau des usages et sur l’ensemble de la chaîne énergétique, permettent de dégager, au niveau de chaque secteur, les mesures de sobriété et d’efficacité à prendre pour, d’une part, réduire les consommations d’énergie et, d’autre part, réorienter la production d’énergie en opérant les substitutions de source d’énergie en cohérence avec les principes de soutenabilité et de réalisme du Scénario.

Au titre de la réduction des consommations d’énergie, la monographie ci-dessous donne l’exemple des mesures pouvant ou devant être prise dans l’un des 4 secteurs d’activité, celui du bâtiment, en termes de sobriété et d’efficacité énergétique.

Au titre de la réorientation de la production d’énergie, deux monographies disent clairement les choix opérés au profit des sources d’énergies renouvelables et au détriment des énergies fossiles et nucléaires

C’est un abandon progressif qui est ainsi programmé pour les énergies fossiles et le nucléaire. Pour ce dernier, les 58 réacteurs en activité aujourd’hui sont mis à l’arrêt, sur la base d’une durée de vie de 40 ans maximum. L’arrêt du dernier réacteur intervient ainsi en 2035.

Les réseaux de transport et de distribution de l’énergie tiennent une place stratégique dans le Scénario. En couplant les réseaux de gaz, de chaleur et d’électricité, ils permettent i) de tirer pleinement avantage des possibilités de cogénération et surtout ii) de valoriser les excédents d’électricité renouvelable issue notamment du solaire et de l’éolien.

Les techniques Power-to X en plein développement, utilisant ces excédents pour produire (par électrolyse) de l’hydrogène renouvelable dont on peur faire du méthane ou de l’ammoniac renouvelables, créent les conditions pour augmenter les puissances installées d’éolien et de photovoltaïque, et pour accroître, de la sorte, la sécurité du système électrique.

Le graphique ci-dessous donne une configuration de tels réseaux.

 

  1. Bilan du Scénario négaWatt 2017-2050

Une mise en œuvre réussie du Scénario négaWatt 2017-2050 changerait profondément le paysage énergétique français d’ici 2050. La consommation d’énergie primaire serait divisée par 3. Le nucléaire, le pétrole, le charbon et le gaz fossile auraient disparu de ce paysage. C’est ce que représente le graphique ci-dessous.

Comme on peut le voir dans ce graphique illustrant cet état des lieux, la division par 3 de la consommation d’énergie d’ici 2050 est réalisée grâce à la mise en œuvre soutenue de la sobriété et de l’efficacité énergétique. Les substitutions par les renouvelables électriques et les bioénergies et le renforcement de leur part dans le mix énergétique national assurent la mise à l’écart progressive des fossiles et du nucléaire.

L’objectif zéro émission nette est pleinement réalisé. On le doit principalement :

  • aux actions de sobriété et d’efficacité menées dans tous les secteurs d’activité. Ces actions permettent de réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre, lesquelles sont divisées par 7 sur la période;
  • à une transition énergétique réussie réalisant une complète substitution des fossiles par les renouvelables,
  • au renforcement de la fonction puits de carbone des sols cultivés et des forêts, favorisé par la mise en œuvre du scénario afterres 2050 de transition agricole et alimentaire couplé au scénario négaWatt

Des impacts socio-économiques et environnementaux bénéfiques participent aussi du bilan du Scénario négaWatt :

  • L’amélioration sensible de la qualité de l’air, laquelle est aujourd’hui responsable de 48 000 décès prématurés par an. La division par 3 des émissions de particules fines dans le transport y contribue notablement;
  • Une forte réduction de la précarité énergétique qui touche actuellement 10% des ménages français. Le vaste programme de rénovation du parc bâti permettant notamment de réduire leur facture d’énergie tout en maintenant le confort domestique, y remédie durablement;
  • 400 milliards d’euros d’économie par rapport au scénario tendanciel, une économie liée notamment à une forte baisse des importations de fossiles, le pétrole et le gaz;
  • 600 000 emplois créés en 2050, un bilan positif des créations (par exemple. dans la rénovation du bâti) et des destructions (par exemple. dans le nucléaire et les fossiles) cumulées.

 

 

 

 

 

Parmi les autres co-bénéfices, la sécurité d’approvisionnement mérite d’être relevée. La mise en œuvre intégrale du Scénario négawat basée sur des ressources renouvelables locales donnerait à la France une véritable indépendance énergétique (100%). Elle ne serait en réalité que de 15% actuellement, selon négaWatt, si l’on incorpore les importations de fossiles et d’uranium et les pertes de transformation des centrales nucléaires.

Outre une meilleure répartition territoriale des ressources mobilisées, le schéma négawat protègerait des évolutions erratiques des prix, renforçant la résilience du système face aux futurs chocs énergétiques.

La remarque judicieuse que fait négaWatt sur les métaux et terres rares mérite d’être rappelée ici. « Si de nombreuses voix s’élèvent pour souligner que le développement des énergies renouvelables risque d’être freiné par la rareté de certains métaux, une analyse plus détaillée montre qu’il n’en est rien. La grande majorité des éoliennes et panneaux solaires installés ne requiert aucun métal rare. Les seuls métaux utilisés de manière importante dans les énergies renouvelables et pouvant dans le futur devenir rares sont le cuivre et l’argent ».

  1. Conclusion

Le Scénario négaWatt 2017-2050 participe des réflexions engagées ici et là dans le monde pour réussir la lutte contre le changement climatique. Il donne surtout corps, pour la France et pour le monde, à la conviction qu’un autre système énergétique est possible. 

Quelques-uns de ses résultats et co-bénéfices ont été présentés dans ce numéro du bulletin. De nombreux autres n’ont pu l’être. Ils sont à découvrir dans les brochures d’information et le site Internet dédiés au scénario et qui valent vraiment le détour.

Différents aspects techniques liés à la mise en œuvre d’un tel système ont également été abordés. Certains autres concernant notamment le fonctionnement d’un réseau électrique à forte dominance de renouvelables variables n’ont pu l’être, s’agissant par exemple des questions liées aux réserves opérationnelles et à la stabilité dynamique du réseau. Ils ne figuraient pas dans les documents consultés. Cependant, le recours prôné par le scénario aux techniques power-to-gaz permet de construire de telles réserves, étant entendu par ailleurs que des approches spécifiques existent ou sont en plein développement[11] en ce qui concerne le fonctionnement à l’optimum de tels systèmes électriques.

Au-delà de ces considérations techniques qui ont toute leur importance, l’intérêt du scénario négaWatt réside dans son audace et son exemplarité. L’audace est dans « le refus du toujours plus » et dans le pari sur la sobriété et l’efficacité. L’audace est aussi dans le choix des renouvelables face à la puissance nucléaire et au trio fossile qui constitue le socle énergétique apparemment inexpugnable sur lequel s’est bâtie l’économie dominante. Dans cette perspective, il donne au monde un exemple plausible de l’autre système énergétique, moins gourmand en ressources, plus juste, plus soucieux des laissés-pour-compte et plus durable, que préconise l’Agenda 2030 dans son appel à transformer le monde.

[1] Global Shift Institute, France, un mix électrique à 100% renouvelable à l’horizon 2050?!, mars 2021, https://www.globalshift.ca/france-un-mix-electrique-a-100-renouvelable-a-lhorizon-2050/

[2] Association négaWatt, https://negawatt.org/

[3] Global Shift Institute, Le scénario Zéro Émissions Nettes à l’horizon 2050 de l’AIE, https://www.globalshift.ca/1482/

[4] Wikipédia, Neutralité carbone, https://fr.wikipedia.org/wiki/Neutralit%C3%A9_carbone

[5] Scénario négaWatt, www.negawatt.org/scenario-negaWatt-2017

[6] L’essentiel du Scénario négaWatt, https://negawatt.org/IMG/pdf/scenario-negawatt_2017-2050_essentiel-4pages.pdf

[7] Les grandes lignes du Scénario négaWatt, https://negawatt.org/IMG/pdf/scenario-negawatt_2017-2050_brochure-12pages.pdf

[8] Synthèse du Scénario négaWatt, https://negawatt.org/IMG/pdf/synthese_scenario-negawatt_2017-2050.pdf

[9] négaWatt, La démarche négaWatt, La démarche négaWatt (negawatt.org)

[10] Les grandes lignes du Scénario négaWatt, https://negawatt.org/IMG/pdf/scenario-negawatt_2017-2050_brochure-12pages.pdf

[11] IEA/RTE, Conditions and Requirements for the Technical Feasibility of a Power System with a High Share of Renewables in France Towards 2050, chapiter 4, 2020,  https://www.iea.org/reports/conditions-and-requirements-for-the-technical-feasibility-of-a-power-system-with-a-high-share-of-renewables-in-france-towards-2050;