Le scénario Zéro Émissions Nettes à l’horizon 2050 de l’AIE

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Bulletin de Novembre 2020

Le scénario Zéro Émissions Nettes à l’horizon 2050 de l’AIE

Introduction

Dans sa prospective énergétique 2020 (WEO2020), l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE) revient sur l’une des idées forces autour de laquelle a été bâti l’Accord de Paris dont l’objectif central est de limiter l’élévation de la température moyenne de la planète “nettement en dessous de 2°C “, en poursuivant l’action menée pour descendre jusqu’à 1,5°C.

Pour atteindre cette cible de température, l’Accord exige des Parties qu’elles réalisent l’objectif zéro émissions nettes au milieu de ce siècle, une idée force et une disposition centrale qui devient, dans le jargon onusien, « les Parties cherchent à parvenir… à un équilibre entre les émissions anthropiques par les sources et les absorptions anthropiques par les puits de gaz à effet de serre au cours de la deuxième moitié du siècle [1]»

On sait par ailleurs que « des efforts ambitieux » sont demandés à chaque Partie sous forme de Contributions Déterminées au niveau National (CDN) révisables tous les 5 ans pour parvenir à cet équilibre entre les émissions, dans les délais requis.

Ces contributions sont connues et sont à l’origine de politiques nouvelles dont la mise en œuvre est engagée dans la plupart des pays signataires de l’Accord de Paris, du moins avant la pandémie du COVID-19 dont l’impact sur les économies nationales et les politiques de développement crée des incertitudes variées susceptibles d’obérer les chances de tenir les délais escomptés.

Dans son scénario Zéro Émissions nettes à l’horizon 2050 (ZEN2050 ou NZE2050[2]), l’AIE met en perspective l’ensemble de ces éléments, les politiques nouvelles, la Covid-19, les stratégies de reprise ou de relance des économies nationales et les incertitudes induites, pour prendre la mesure des efforts que requiert sur les 10 prochaines années, pour le secteur de l’énergie, l’atteinte de l’objectif d’équilibre des émissions au cours de la deuxième moitié du siècle.

Ce numéro du bulletin porte sur le scénario ZEN2050 dont il expose les principaux résultats en ce qui concerne notamment les efforts que doivent déployer sur les dix prochaines années, les acteurs du secteur de l’énergie aux différents niveaux, dans le but de réaliser l’ambition d’une élévation moyenne de la température mondiale nettement en dessous de 2°C . Une brève présentation du Scénario Développement Durable dont le ZEN2050 est issu permettra de mieux le situer.

 

Brefs rappels sur le Scénario Développement durable

C’est à partir du Scénario Développement Durable (SDS-Sustainable Developement Scénario) qu’a été élaboré le cas Zéro Émissions Nettes à l’horizon 2050 objet de ce numéro du bulletin. Le SDS a été élaboré dans le cadre du WEO 2017[3], la Perspective énergétique de 2017. Voici en quels termes l’AIE décrit elle-même le SDS :« une approche intégrée pour réaliser les objectifs convenus au niveau international sur le changement climatique, la qualité de l’air et l’accès universel à l’énergie moderne ». Les objectifs convenus visés sont ainsi, respectivement, ceux de l’Accord de Paris, du Scénario Clean Air (Air pur) de l’AIE et de l’Initiative Énergie Durable pour tous (SE4All[4]). Le SDS prend par ailleurs en compte les Objectifs globaux (ODD) de l’Agenda 2030.

Il utilise à fond les possibilités de réduction des émissions qu’offrent l’efficacité énergétique, les substitutions de combustibles au profit de ceux à faible émission et le CSUC (captage, stockage ou utilisation du CO2). Les renouvelables y sont abondamment mis à contribution comme substitut aux énergies fossiles et pour réaliser l’objectif d’accès universel aux services énergétiques modernes.

Les graphiques ci-dessous donnent les principaux résultats du SDS tels qu’ils ressortent du WEO2018[5], en termes d’accès, de transformation du secteur de l’énergie et de réduction des émissions. Ces résultats sont comparés à ceux du Scénario Politiques Nouvelle (SPN) correspondant aux engagements des États contenus dans les Contributions Déterminées au niveau National (CDN) de l’Accord de de Paris.

Le SDS permettrait de réaliser l’accès universel aux services énergétiques modernes, de réduire substantiellement les décès prématurés dus à la pollution de l’air à l’intérieur et à l’extérieur des maisons et de faire bien mieux que les CDN (SPN) en termes d’émissions de CO2.

Le secteur de l’énergie connaît des transformations notables, bien plus marquées dans le SDS que dans le Scénario Politiques Nouvelles (SPN), en ce qui concerne notamment la production solaire et éolienne, le nombre de voitures électriques et le déploiement du CSUC (Captage, Stockage ou Utilisation du CO2). La différence d’investissement entre le SDS et le SPN est de l’ordre de 13 %, selon l’AIE.

Le Scénario Développement Durable tient mieux la route à suivre que le Scénario Politiques Nouvelles (celles des CDN), en ce qui concerne l’équilibre des émissions dans le milieu du Siècle, grâce principalement à l’efficacité énergétique et aux Renouvelables.

 

Le Scénario Zéro Émissions Nettes à l’horizon 2050

Dans le cadre de la Perspective énergétique mondiale 2020 (WEO2020[6]) l’AIE a revisité le Scénario Développement Durable (SDS) pour mieux prendre en compte les dernières évolutions concernant le marché de l’énergie et notamment celui des renouvelables dont les prix ont notablement changé et se comparent avantageusement aujourd’hui à ceux des combustibles fossiles. WEO2020 fait aussi place, dans l’analyse, au comportement des usagers.

Mais les circonstances exceptionnelles de cette année 2020 marquée par la COVID-19 ont conduit l’AIE à développer une approche exceptionnelle centrée sur le 10 prochaines années, pour explorer en détail les impacts de la Pandémie sur le secteur de l’énergie et identifier les actions de court terme susceptibles d’accélérer les nécessaires transitions vers les énergies propres. L’objectif final poursuivi ici, on l’aura compris, est de réaliser l’équilibre des émissions d’ici le milieu du siècle (2050) ainsi qu’énoncé dans l’Accord de Paris.

Le Cas ou le Scénario Zéro Émissions Nettes à l’horizon 2050 (ZEN2050) s’inscrit pleinement dans cette perspective. Il constitue « la première modélisation détaillée de l’AIE de ce qui serait nécessaire au cours des dix prochaines années pour mettre les émissions mondiales de CO2 sur la voie de l’objectif zéro émissions nettes d’ici 2050 [7]».

En plus des paramètres caractéristiques traditionnellement pris en compte dans ce type de modélisation (la demande, les ressources en présence et leurs coûts respectifs, le comportement des acteurs…) le ZEN2050 tire avantage des résultats du rapport spécial, Sustainable Recovery Plan[8], réalisé par l’AIE en juin dernier en réponse à la COVID-19. Ce rapport présenté dans le numéro d’Aout de ce Bulletin[9], proposait les mesures qui doivent être prises dans le secteur de l’énergie pour que « la reprise économique répare les dégâts infligés par la crise tout en mettant le monde sur des bases plus solides pour l’avenir [10]». Les incertitudes introduites par la COVID dans le secteur sont soigneusement prises en compte dans l’analyse, s’agissant notamment de la durée de la pandémie et de son impact final sur le secteur, de la forme de la reprise économique, lente ou rapide, de la place de l’énergie et des enjeux de la durabilité dans les stratégies de reprise des États.

Les éventuels changements d’orientation des investisseurs et de comportement des consommateurs ont aussi été considérés. La crise a par exemple clairement fait la preuve de la capacité de résilience et de résistance aux chocs des systèmes énergétiques durables. Beaucoup d’économies dépendant du charbon et du pétrole ont fortement souffert de la pandémie, ouvrant, au niveau des investisseurs, des perspectives nouvelles pour les renouvelables et l’efficacité énergétique. De nouvelles habitudes de production de services et de consommation se sont imposés au cours de cette crise. Le télétravail, le téléenseignement, les téléconférences, voire la télémédecine se sont renforcés, créant ainsi de nouvelles relations aux autres et au monde susceptibles de survivre à la crise.

Voici, sous forme de graphiques, quelques éléments de contexte relatifs à la pandémie. Ils ont nourri l’analyse de l’AIE et ont permis de façonner les résultats qui seront brièvement présentés par la suite.

  1. Jusqu’à mi-mars 2020, environ 5% de la demande mondial d’énergie était affectée. Ce chiffre a bondi à 50% après cette date et il n’a sans doute pas favorablement évolué depuis.
  2. La demande mondiale connaît une baisse historique estimée à 6%, un recul 7 fois supérieur à celui dû à la crise financière de 2009, faisant du choc actuel le plus important des 70 dernières années.
  3. Le charbon, le pétrole, le gaz et même le nucléaire ont notablement décroché en 2020. Seules les renouvelables ont constitué les seules sources d’énergie en hausse cette année.
  4. Et la baisse soutenue, selon l’IRENA[11],des coûts des renouvelables sur la décennie écoulée, les a clairement positionnées dans la catégorie des investissements rentables comme cela ressort des résultats des récentes enchères de la figure ci-dessous tirée d’un article de World Economic Forum[12]. King solar se susbtitue progressivement à king coal! Sur la base de ces informations et de beaucoup d’autres, la modélisation et les simulations conduites par l’AIE ont permis d’apporter des réponses opérationnelles quant à ce qui serait nécessaire au cours des dix prochaines années pour réaliser l’objectif zéro émissions nettes d’ici 2050. Les graphiques ci-dessous en donnent un aperçu.
  5. Pour réaliser l’objectif zéro émissions nettes d’ici 2050 (ZEN2050), les émissions de CO2 devraient baisser d’environ 45 % d’ici 2030 par rapport aux niveaux de 2010, soit 6,6 Gt plus bas que dans le Scénario Développement durable (SDS). Le Scénario Politiques Déclarées (SPS- Stated Policies Scénario) du graphique reflète toutes les intentions et tous les objectifs politiques annoncés pour juguler la pandémie, dans la mesure où ils sont étayés par des mesures détaillées pour leur réalisation.
  6. Pour atteindre de tels niveaux de réduction des émissions, des actions de grande envergure doivent être conduites au cours des 10 prochaines années par l’ensemble des acteurs du secteur, les entreprises, les investisseurs, les citoyens et les États dont il est attendu des contributions sans précédent. Le déploiement de l’hydrogène et du solaire, l’électroménager efficace et la rénovation énergétique des maisons, l’investissement dans l’électricité propre et dans l’efficacité énergétique, participent de ces actions d’envergure.
  7. Les chiffres suivants donnent un aperçu du niveau des efforts à consentir entre 2020 et 2030. La production d’hydrogène propre devrait être multiplié par 100 passant de 0,45 tonnes à 40 tonnes, le nombre de voitures électriques en circulation passerait de 2,5 millions à 50 millions et les investissements dans l’électricité propre se monteraient à 1600 milliards de dollars contre 380 milliards en 2020.
  8. Le comportement des usagers est appelé à faire la différence. Le graphique ci-dessous donne un aperçu de ses apports dans les efforts de réduction des émissions. Des comportements écoresponsables au niveau du confort thermique domestique et des déplacements paraissent avoir un important potentiel. Au titre du transport par exemple, le choix i) de la marche ou du vélo plutôt que de la voiture sur 3km et moins, ii) de la voiture plutôt que l’avion sur des trajets d’une heure et moins en avion, ii) de la conduite écoresponsable et de l’autopartage, sont des comportements gagnants.

Conclusion

Il est tout à fait possible, selon l’AIE, d’atteindre l’objectif Zéro Émissions Nettes d’ici 2050. Des actions d’envergure et des efforts exceptionnels seront cependant nécessaires au cours des 10 prochaines années de la part de l’ensemble des acteurs du secteur, les entreprises, les investisseurs et les usagers. Les États ont un rôle de premier plan à jouer dans ce contexte. C’est à eux que revient la responsabilité de fournir la nécessaire vision stratégique, de coordonner les actions et les efforts en créant par exemple un environnement économique, institutionnel et règlementaire adéquat. Car, pour réussir le pari de l’équilibre des émissions d’ici le milieu du siècle, il faudra:

  • Réaliser une planification minutieuse et intégrée de long terme dans le secteur électrique qui est la clé de voûte pour un système énergétique à zéro émissions nettes;
  • Généraliser l’électrification à partir des renouvelables, l’efficacité énergétique et l’utilisation des carburants à faibles émissions de CO2 tels que l’hydrogène;
  • Stimuler et soutenir l’innovation technologique notamment au niveau du stockage de l’énergie, de la maîtrise de l’énergie et aussi du captage, stockage ou utilisation du carbone. Les électrolyseurs et les petits réacteurs nucléaires modulaires sont à considérer dans l’équation;
  • Gagner l’adhésion des consommateurs aux différentes mesures concernant en particulier les changements de comportement et les habitudes de consommation.

On peut ainsi conclure avec l’AIE, qu’« il n’y a pas de raccourci possible; seuls des changements profonds, guidés par de bonnes politiques, peuvent offrir un meilleur avenir énergétique. C’est un choix pour les citoyens, les investisseurs, les entreprises, mais surtout pour les gouvernements[13] ». C’est aussi le chemin le plus sûr pour limiter l’élévation de la température moyenne de la planète “nettement en dessous de 2°C, d’ici le milieu du siècle avec, chevillée au corps, l’ambition de descendre jusqu’à 1,5°C.

[1] Accord de Paris, article 4 alinéa 1, https://unfccc.int/files/essential_background/convention/application/pdf/french_paris_agreement.pdf
[2] IEA, Achieving Net Zero Emissions by 2050, Achieving net-zero emissions by 2050 – World Energy Outlook 2020 – Analysis – IEA
[3] IEA, World Energy Outlook 2017, November 2017, https://www.iea.org/reports/world-energy-outlook-2017
[4] AfDB, Initiative SE4ALL, https://www.afdb.org/fr/topics-and-sectors/initiatives-partnerships/sustainable-energy-for-all-se4all
[5] IEA, World Energy Outlook 2018, November 2018, https://www.iea.org/reports/world-energy-outlook-2018
[6] AIE, World Energy Outlook 2020, October 2020, https://www.iea.org/reports/world-energy-outlook-2020
[7] AIE, Communiqué de presse WEO 2020, octobre 2020, https://www.iea.org/news/world-energy-outlook-2020-shows-how-the-response-to-the-covid-crisis-can-reshape-the-future-of-energy
[8] IEA, Sustainable Recovery Plan, July 2020, https://webstore.iea.org/download/direct/3008
[9] GSI, Covid-19, un plan de relane durable pour le secteur de l’énergie, août 2020, https://www.globalshift.ca/?p=1407
[10] Dr Fatih Birol, IEA, Sustainable Recovery Plan, juin 20202, https://www.iea.org/reports/sustainable-recovery
[11] IRENA, Costs continue to fall for solar and wind power technologies, juin 2020 https://twitter.com/i/status/1267737389247709185
[12] World Economic Forum, Race to zero: This graphic shows the rapidly falling cost of renewables, 10 november 2020, https://www.weforum.org/agenda/2020/11/cost-renewable-energy-falling-race-to-zero-emissions/
[13] IEA, WEO 2020 Launch presentation, october 2020, https://iea.blob.core.windows.net/assets/fd69e584-f43f-400b-9702-f5a6dc9c3156/WEO2020-Launch-Presentation.pdf

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