Covid-19 : Un plan de relance durable pour le secteur de l’énergie

Global Shift Institute Ltd > Bulletins > 2020 > Covid-19 : Un plan de relance durable pour le secteur de l’énergie

Bulletin GSI d’août 2020

Covid-19 : Un plan de relance durable pour le secteur de l’énergie

  1. Introduction

La Covid-19 continue ses ravages dans le monde. Le seuil des 800 000 décès a été franchi courant août 2020. La crainte d’une deuxième vague agite les états-majors des agences et des services gouvernementaux en charge de la pandémie.

La restauration des activités économiques mises à mal par les décisions prises pour combattre cette pandémie préoccupe tout autant. Elle est en sourdine dans l’édition 2020 du rapport sur le développement durable présenté dans le numéro précédent de ce bulletin[1]. Elle est aujourd’hui au centre des réflexions et des décisions des principaux acteurs de la scène économique tant mondiale que nationale, et aussi sectorielle.

Les gouvernements sont les premiers de cordée, et c’est à coup de centaines, voire de milliers de milliards de dollars qu’ils interviennent pour juguler une des pires crises économiques que le monde ait connue en temps de paix, selon le FMI, depuis la grande dépression des années 30.

Les premières mesures, de court terme, ont surtout été des aides économiques et financières à vocation sociale mais destinées aussi à limiter la profondeur de la crise. Celles de ces mesures qui se discutent et se précisent actuellement concernent le plus long terme et s’inscrivent dans des plans de relance dont beaucoup estiment qu’ils peuvent et doivent servir à poser les bases d’un monde différent de celui d’avant la crise, un monde plus résilient, plus inclusif et plus soucieux de la santé de la planète.

C’est dans cette dernière perspective que s’inscrivent les plans de relance du secteur de l’énergie que proposent deux grandes agences de la scène énergétique mondiale, l’IRENA et l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE). Il s’agit :

  • pour la première, de The Post-Covid Recovery : An Agenda for resilience, development and quality (La reprise post-covid : un agenda pour la résilience, le développement et la qualité)[2], et
  • pour la seconde, d’un rapport spécial de prospective énergétique mondiale intitulé Sustainable Recovery Plan (Plan de reprise durable)[3].

Ce numéro du bulletin donne un aperçu des contenus de ces deux plans dont la principale vocation est de montrer aux gouvernements ce qu’ils peuvent et devraient faire pour que les importantes décisions qu’ils prennent en ce moment, le plus souvent dans l’urgence, permettent que la reprise soit aussi durable et aussi résiliente que possible.

Il s’appuiera pour l’essentiel sur le rapport spécial de l’AIE et puisera en tant que de besoin des éléments d’illustration ou de recommandation de celui de l’IRENA.

  1. Le rapport de l’AIE

Le rapport de l’AIE revient longuement sur la pandémie, son ampleur, ses impacts sur l’économie et sur l’amplitude des mesures prises par les gouvernements pour la juguler. Il souligne le rôle critique joué par l’énergie dans la gestion de la pandémie. « Des approvisionnements énergétiques ininterrompus ont permis aux hôpitaux de fournir des soins, de la nourriture et d’autres produits essentiels, et à des millions de personnes de travailler et d’étudier à domicile tout en maintenant un contact social en ligne. Sans accès à une électricité fiable et abordable, les mesures de confinement prises par les gouvernements pour lutter contre la pandémie auraient entraîné des dommages économiques bien plus importants ». La crise aura ainsi montré, hors de tout doute, l’importance de systèmes énergétiques plus résilients et durables, capables de résister aux chocs futurs et d’améliorer la santé et le bien-être des citoyens. Elle aura aussi montré, en quelque sorte, que c’est autour de tels systèmes énergétiques que doit être bâtie la reprise économique si l’on veut rencontrer les objectifs d’un monde plus résilient et plus durable.

Le rapport examine par la suite et évalue différentes mesures susceptibles d’être prises dans le secteur de l’énergie pour rencontrer de tels objectifs. Leur potentiel de création d’emplois et de stimulation de la croissance et leur impact probable sur la sécurité énergétique, les émissions de gaz à effet de serre et la pollution atmosphérique sont ainsi passés en revue au niveau de six secteurs clés où ces mesures sont envisagées, l’électricité, le transport, l’industrie, les bâtiments, les combustible et les technologies à bas carbone émergentes relatives à l’hydrogène, aux batteries, aux petits réacteurs nucléaires modulaires et à la capture du CO2.

Il présente ensuite dans une troisième section le Plan de reprise durable pour le secteur de l’énergie à travers ses trois principaux objectifs, les 30 mesures préconisées et les 6 politiques à mettre en œuvre. Il donne un aperçu de ce que ce plan devrait être pour les pays en développement et décrit dans une partie conclusive les impacts du plan sur l’économie, le secteur de l’énergie et l’environnement.

La série de graphiques donnés ci-dessous illustre les principaux éléments du rapport depuis le contexte jusqu’aux impacts du plan.

 

 

  1. Éléments de contexte

Les mesures destinées à contenir la propagation de la pandémie ont commencé à la fin du mois de janvier. À la mi-mai, environ un tiers de la population mondiale était sous confinement total ou partiel.

La demande totale d’énergie primaire connaît une baisse sensible qui devrait être de 6% pour l’ensemble de l’année 2020. Ce serait la plus forte baisse relative en 70 ans et la plus forte baisse jamais enregistrée en termes absolus, selon le rapport.

Les niveaux d’investissement ont chuté dans tous les domaines, en particulier dans ceux du pétrole et du gaz. Les investissements totaux dans le secteur de l’énergie sont à la moitié des niveaux attendus en 2020 dans le scénario développement durable de l’AIE.

Les gouvernements interviennent à coup de milliards de dollars pour juguler la crise provoquée par le confinement général. Dans les pays du G20, les mesures budgétaires d’urgence varient entre -3% et 21% du PIB selon le rapport, ce qui est similaire à la grande variété des plans de relance définitifs après la crise financière de 2008-09.

Voici un aperçu des mesures de soutien financier et économique d’urgence prises dans certains pays et régions au 4 juin 2020, selon le rapport.

Le secteur de l’énergie figure bien dans un certain nombre de plans d’urgence, mais pas comme cible principale. Les mesures retenues peuvent être regroupées suivant 3 principaux axes :

 

Le rapport a étendu l’analyse du contexte à l’examen des leçons tirées de la crise financière de 2008 en ce qui concerne les dépenses engagées, pour stimuler le développement de l’énergie propre. De ces leçons, on retiendra que i) le passage à une plus grande échelle des politiques existantes qui ont réussi produit généralement les meilleurs rendements économiques et de l’emploi, ii) des technologies mâtures prêtes à servir sont essentielles, iii) les grands projets d’infrastructure nécessitent une évaluation et une gestion minutieuses pour répondre aux attentes, iv) les dépenses de stimulation pour l’énergie propre sont plus efficaces lorsqu’elles sont synchronisées avec la formation, v) le financement de la stimulation est plus efficace lorsqu’il est aligné sur les signaux de prix à long terme.

  1. L’évaluation des mesures de reprise possibles

Une trentaine de mesures, liées à l’énergie dans quelques secteurs d’activités clés, ont fait l’objet d’une évaluation visant à déterminer leur potentiel en termes de stimulation de la croissance économique, de création de nouveaux emplois et de contribution à la construction d’un secteur de l’énergie plus durable et plus résilient. L’objectif de cette évaluation est de déterminer les éléments constitutifs d’un plan de rétablissement intégré. Le tableau ci-dessous donne un aperçu des mesures évaluées dans les différents secteurs considérés.

Sur le front de l’emploi, l’efficacité énergétique, l’énergie solaire photovoltaïque et les réseaux en créent de très grands nombres par unité d’investissement, parallèlement aux dépenses relatives au recyclage et aux biocarburants.

En ce qui concerne la réduction des émissions de GES, plusieurs des mesures fonctionnent et permettent d’économiser de l’argent. Les coûts de réduction varient cependant notablement, suivant les régions et les technologies.

La suite du rapport expose de façon détaillée les résultats de l’évaluation pour chacun des six secteurs considérés pour dégager les mesures devant être retenues pour le plan de reprise

  1. Le plan de reprise durable pour le secteur de l’énergie

Le plan, d’une durée totale de 3 ans, allant de 2021 à 2023, se nourrit des leçons tirées de l’analyse de contexte et des résultats de l’évaluation des mesures de reprise possibles. Le bref exposé qui en est fait ici en rappelle, sous forme de graphiques tirés du rapport, les principaux objectifs, les mesures et les politiques envisagées, de même que les impacts sur l’économie, le secteur de l’énergie et l’environnement.

Les trois principaux objectifs suivants caractérisent le plan de relance: i) créer des emplois, ii) stimuler la croissance économique et iii) améliorer la résilience et la durabilité du secteur de l’énergie

Les mesures à mettre en œuvre dans le plan de recouvrement durable ont été retenues sur la base de ces trois objectifs en utilisant un certain nombre de critères de sélection comme i) leur capacité à produire des résultats immédiats, ii) leurs effets à court terme sur le nombre d’emplois, iii) leur capacité à procurer des emplois aux travailleurs déplacés, iv) leurs bénéfices à long terme et v) le rapport coût-efficacité de la mesure. Le tableau ci-dessous met en relation les mesures et ces critères et note leurs niveaux de concordance, bonne, neutre ou mauvaise.

Pour chacune des trois années du plan de recouvrement, les dépenses envisagées se chiffrent à 1 trillion (1 milliards de milliards) de dollars US, soit l’équivalent de 0,7% du PIB mondial annuel. Ces dépenses consacrées aux technologies d’énergie propre et moderne, viendraient s’ajouter aux dépenses consacrées aux mesures similaires des dernières années. Elles comprennent à la fois les dépenses publiques et les financements privés qui seraient mobilisés par les politiques publiques. Le graphique ci-dessous en donne la répartition par secteur.

Le plan de relance durable repose sur cinq piliers politiques clés qui se déclinent comme suit i) Réaliser des projets d’énergie propre prêts à l’emploi qui renforcent la résilience, ii) Développer un robuste portefeuille de nouveaux projets, iii) Apporter une assistance sur mesure aux industries en difficulté, iv) Mobiliser le financement privé et v) Mettre à contribution la coopération internationale.

A chacun de ces piliers correspond un ensemble de mesures politiques dont des exemples sont donnés dans le tableau ci-dessous.

L’essentiel des dépenses prévues devraient provenir du secteur privé. Selon le rapport, environ 70% des dépenses annuelles de 1 trillion (1 Milliard de milliards) de dollars devraient être de sources privées. Le soutien financier public direct et la conception des politiques, essentiels à la mobilisation de ces fonds, sont de la responsabilité des états. Ils se monteraient à 870 milliards de dollars sur les 3 ans du plan, et ne représenteraient que 10% des dépenses budgétaires annoncées dans les plans de relance à l’échelle mondiale à fin mai 2020.

Les économies en développement sont particulièrement exposées au choc lié à la pandémie de par le faible niveau de leurs capacités de réponse à court et à moyen terme. Les niveaux d’accès limités à l’électricité et la dépendance souvent excessive de la biomasse traditionnelle sont autant pénalisants. Le rapport en appelle à la coopération internationale et notamment aux institutions financières internationales (IFI), les banques multilatérales de développement (BMD) et les donateurs bilatéraux, pour qu’elle appuie le plan de la relance dans le sens d’une pleine prise en compte de ces spécificités.

  1. Impacts du plan

Le plan de relance durable aura, selon le rapport, des impacts positifs sur l’économie, le secteur de l’énergie et l’environnement ainsi qu’escompté. Les graphiques suivants donnent un aperçu synthétique de ces résultats.

Au niveau de l’économie, ce sont près de 9 millions d’emplois nouveaux à temps plein qui seraient créés en moyenne par an dans le secteur de l’énergie, tant dans la construction des ouvrages que dans l’industrie au cours des 3 années du plan. Ce seront ainsi environ 27 millions d’années-emplois qui seraient directement produits dans le monde par le plan.

Un grand nombre de ces emplois sont créés pendant la période de mise en œuvre du plan de relance. Beaucoup d’autre le seront par la suite, notamment dans les transports longue distance et les réseaux électriques.

Sur les 9 millions d’emplois crées en moyenne par an par le plan de reprise durable, 35% le sont en efficacité énergétique dans le bâtiment et l’industrie, 25% dans le secteur électrique et 20% dans le transport. Le bâtiment à lui seul crée 35% des emplois, toutes mesures confondues.

Le plan de relance durable stimulerait la croissance annuelle moyenne du PIB mondial de 1,1% jusqu’en 2023 pour un total de 3,5%, selon une évaluation réalisée par l’AIE en collaboration avec le Fonds monétaire international.

Dans le secteur de l’énergie, le plan de relance durable engagerait le processus de réorientation structurelle des systèmes énergétiques nationaux et mondiaux en accélérant la transition vers l’électricité et en augmentant la part de l’énergie fournie par des sources d’énergie à faible émission de CO2.

Au niveau de l’environnement, les améliorations concernent les émissions de CO2 et des polluants atmosphériques.

Les émissions annuelles de CO2 seraient inférieures de près de 3,5 Gt auxquelles devrait s’ajouter un autre 0,8 Gteq-CO2 qui serait évité en réduisant les fuites de méthane. Mais par-dessus tout, le plan ferait de 2019 l’année du pic définitif des émissions mondiales, les mettant de la sorte sur la voie de la réalisation des objectifs climatiques à long terme, et notamment ceux de l’Accord de Paris.

Les niveaux des trois polluants atmosphériques SOx, PM.5 et Nox, diminueraient sensiblement, conduisant à des améliorations substantielles de la qualité de l’air, en particulier dans les ménages et les villes.

 

  1. Sécurité énergétique et résilience

Le plan de relance durable améliore la sécurité énergétique et la résilience en stimulant les investissements dans les réseaux électriques et le stockage d’énergie, ce qui réduit le risque de rupture d’approvisionnement; i) en contribuant à la modernisation des réseaux, renforçant ainsi la capacité de résistance aux choc et de récupération; ii) en renforçant l’accès aux services énergétiques à des coûts abordables, iii) en assurant l’intégration de parts croissantes d’électricité renouvelable variable dans les réseaux,  et iv) en améliorant la fiabilité du système.

Ainsi, à la fin du plan de relance durable, près de 270 millions de personnes auront accès à l’électricité et 420 millions à une cuisson propre, principalement en Afrique subsaharienne, en Asie et en Inde.

Les factures de pétrole et d’électricité connaîtraient une baisse sensible grâce au plan de relance durable.

  1. Conclusion

Les décisions prises partout dans le monde pour combattre la pandémie COVID-19 ont eu des impacts délétères sur l’économie mondiale, provoquant une crise sans précédent depuis la dépression des années 30, selon les spécialistes.

C’est à coup de centaines, voire de milliers de milliards de dollars que les gouvernements interviennent pour juguler cette crise. Les plans de relance de l’économie qu’ils adoptent ici et là, souvent dans l’urgence, vont façonner et quelque peu figer les infrastructures, les industries et surtout l’ensemble des modes de production et de consommation au cours des prochaines décennies.

Les choix tant stratégiques qu’opérationnels et notamment ceux concernant les technologies, seront en conséquence déterminants en ce qui concerne la réponse aux défis de ce siècle, dont principalement ceux de la lutte contre le changement climatique portés par l’Accord de Paris, et ceux d’un monde plus résilient, plus inclusif et plus soucieux de la santé de la planète, portés par l’Agenda 2030.

L’idée d’un plan spécifique de relance du secteur de l’énergétique s’inscrit dans cette perspective. Deux grandes agences du secteur de l’énergie, l’IRENA et L’AIE, en proposent chacune un. Ce numéro du bulletin a présenté celui de l’AIE dans ses grandes lignes à travers notamment les mesures et les politiques préconisées, ses impacts positifs sur l’économie, le secteur de l’énergie et l’environnement.

Au cours de cette pandémie qui continue de sévir, des systèmes énergiques résilients et durables ont permis dans un grand nombre de cas, de limiter la profondeur de la crise en permettant à « des millions de personnes de travailler et d’étudier à domicile tout en maintenant un contact social en ligne ».

Ce sont de tels systèmes énergétiques que proposent les deux agences aux gouvernements, dans une perspective visant « une reprise économique qui répare les dégâts infligés par la crise tout en mettant le monde sur des bases plus solides pour l’avenir » selon Dr Fatih Birol, Directeur Exécutif de l’AIE qui ajoute qu’une telle reprise, « une reprise durable est à notre portée ».

Pour son homologue d’IRENA, Francesco La Camera, « le moment est venu d’être stratégique et ambitieux et de faire le pas décisif vers le changement structurel nécessaire pour réaliser le Programme de développement durable à l’horizon 2030 et maintenir le réchauffement climatique à 1,5 ° C

Le changement structurel (IRENA) ou la réorientation structurelle (AIE) que proposent les deux agences dans leurs plans de relance pour le secteur de l’énergie, sont un reflet des transformations profondes dont le monde a besoin pour que demain soit vraiment différent d’hier, hier avant la COVID-19.

[1] GSI, La COVID-19, s’est invitée dans l’édition 2020 du Rapport sur le Développement durable, juillet 2020, https://www.globalshift.ca/?p=1394

[2] IRENA, The Post-Covid Recovery : An Agenda for resilience, development and quality, https://www.irena.org/publications/2020/Jun/Post-COVID-Recovery; https://www.irena.org/-/media/Files/IRENA/Agency/Publication/2020/Jun/IRENA_Post-COVID_Recovery_2020.pdf

[3] IEA (2020), Sustainable Recovery plan, IEA, Paris https://www.iea.org/reports/sustainable-recovery

You must be logged in to post a comment.