La transition énergétique en cours va transformer le monde

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En janvier 2018, lors de son Assemblée générale, l’Agence Internationale de l’Énergie Renouvelable, l’IRENA, a mis en place une Commission mondiale chargée d’examiner les conséquences géopolitiques de la transition énergétique en cours. Cette commission a déposé son rapport en janvier dernier. Ce rapport, intitulé Un Monde Nouveau, la Géopolitique de la Transformation de l’Énergie [1], constitue, selon les auteurs, « la première analyse détaillée consacrée aux conséquences géopolitiques de la transition énergétique induite par les énergies renouvelables ».

Les faits saillants de ce rapport, tels que rapportés par Stephan Jungcurt sur le site SDG Knowledge Hub de l’IISD [2] , sont les suivants: La transition énergétique en cours, celle induite par les énergies renouvelables, va transformer le monde. Elle créera un monde très différent de celui basé sur les combustibles fossiles. Elle renforcera l’indépendance et la sécurité énergétiques de la plupart des pays, conduisant à terme à une baisse significative des conflits liés à l’énergie. Les pays exportateurs de combustibles fossiles seront confrontés à la baisse de leurs recettes d’exportation et à la diminution de leur influence au plan mondial. Malgré ces défis, la transition énergétique met le monde sur la bonne voie pour lutter contre le changement climatique et la pollution, et pour promouvoir la prospérité et le développement durable.

La transition énergétique est au cœur des dynamiques transformatrices que prône l’Agenda 2030 pour le Développement Durable adopté en septembre 2015 par les 193 États membres de l’ONU, avec l’ambition « de libérer l’humanité de la tyrannie de la pauvreté et du besoin, de guérir, prendre soin de la planète et la protéger ». Elle tient des multiples réponses qu’imagine « un monde en crise, confronté aux limites de son modèle de développement et à l’urgence d’un nouvel engagement collectif à inventer  »[3]. Plus prosaïquement et pour les énergéticiens, elle constitue la solution qui s’impose pour juguler « la croissance continue de la demande en énergie, les risques d’épuisement des ressources ainsi que le réchauffement climatique  »[4]

Plusieurs numéros de ce bulletin[5] , traitant de ses différents aspects, y ont été consacrés. La revue Liaison Énergétique Francophonie (LEF) de l’Institut de la Francophonie pour le Développement durable (IFDD) y a consacré plusieurs numéros dont celui du 1er trimestre 2013, La transition énergétique ou les énergies que nous aurons[6] . Un des articles de ce numéro de LEF, La transition énergétique au crible de l’Histoire [7] , rappelle à juste titre que la transition que nous vivons n’est pas la 1ère. Quatre grandes transitions jalonnent cette histoire depuis la domestication des animaux de trait et la maîtrise du feu, jusqu’à la Fée Électricité, en passant par les premières sources d’énergie extra-somatique (moulins à eau et à vent), et par des machines capables de transformer l’énergie thermique en énergie mécanique, consacrant l’entrée en scène des combustibles fossiles (charbon minéral, pétrole et gaz).

L’emprise industrielle, économique, sociale et civilisationnelle actuelle de ces combustibles est sans précédent. Ils entrent actuellement pour plus de 80% dans la consommation mondiale d’énergie. L’essentiel des infrastructures énergétiques actuelles, les millions de km de gazoducs et d’oléoducs, les milliers de raffineries et de plateformes on et offshore, les tankers et autres méthaniers qui sillonnent les océans, des installations portuaires spécialisées… leur est dédié. Ils paraissent vraiment indéboulonnables. Et pourtant…

Le rapport Un Monde Nouveau, la Géopolitique de la Transformation de l’Énergie soutient que les forces en œuvre dans la nouvelle transition énergétique rendent possible ce changement jugé nécessaire. On connait les principales caractéristiques de cette transition fort justement rappelées par le rapport:  renforcement de l’efficacité énergétique; croissance de la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique; électrification des usages finaux courants de l’énergie dépendant des combustibles fossiles, tels que les transports et le chauffage. Les forces qui portent le changement à travers ces trois dimensions de la transition sont au nombre de six.

  1. La forte baisse des coûts des énergies renouvelables et du stockage de l’énergie qui a surpris même les plus optimistes observateurs. Depuis 2010, les coûts moyens de l’électricité solaire photovoltaïque et éolienne ont chuté respectivement de 73% et 22%, celui des batteries utilisées dans les véhicules électriques de 80%;
  2. Le besoin pressant de lutter contre le changement climatique et la pollution de l’air ambiant imputables à l’utilisation des fossiles, et donc de décarboniser l’économie mondiale. Selon l’OMS[8] , la pollution de l’air est responsable de 7 millions de décès prématurés par an, et les changements climatiques constituent, selon le rapport, une menace existentielle pour l’humanité et les écosystèmes de la Terre.
  3. L’adoption par les pays, des collectivités territoriales et des entreprises, de cibles à atteindre en ce qui concerne la part des renouvelables dans leur consommation d’énergie. 179 pays sur les 193 que comptent les Nations Unies se sont donné de telles cibles, 57 d’entre eux disposant de plans pour décarboniser complètement leur secteur électrique. Les pays producteurs de pétrole ne sont pas en reste;
  4. Les innovations technologiques. Elles ont joué un rôle important dans le déploiement accéléré du solaire photovoltaïque et de l’éolien. Elles sont à l’œuvre dans i) la production et l’utilisation de l’hydrogène comme vecteur énergétique pour l’aviation, le transport et l’industrie lourde, ii) dans les réseaux intelligents, les objets connectés, l’intelligence artificielle qui jouent déjà un rôle déterminant pour l’augmentation de l’efficacité des systèmes énergétiques;
  5. Les actions des entreprises et des investisseurs. Certains de ces derniers mettent la pression sur les entreprises pour qu’elles réduisent leurs empreintes écologiques. Beaucoup de grandes entreprises, membres du Pacte mondial [9], sont impliquées dans la mise en œuvre des ODD, et donc dans la révolution des renouvelables et de l’efficacité énergétique. Les banques multilatérales, comme la Banque Mondiale, ne financent plus les investissements concernant le charbon;
  6. Des changements profonds dans les opinions publiques nationales et mondiales. Le choix des consommateurs pour des produits et services ayant les plus faibles empreintes écologiques, et les pressions suivies des sociétés civiles nationales et mondiales participent de ces changements. Le rapport rappelle que le Pape François supporte l’élimination des combustibles fossiles dans sa Lettre encyclique Laudato Si sur la sauvegarde de la maison commune[10] . Des écoliers partout dans le monde, se mettent en grève pour pousser les décideurs à prendre des actions en faveur du climat, comme 15 000 écoliers australiens que cite le rapport ou, plus récemment, lors de la COP 24, la jeune Greta Thunberg de Suède.

Si ces forces en action réussissent à imposer i) les renouvelables dans le nouveau monde résultant de la transition en cours et ii) la limitation ou l’abandon des fossiles, les différences entre ces deux formes d’énergie seront à l’origine de conséquences géopolitiques inédites. Voici quelques-unes de ces différences :

  • Les renouvelables, à l’opposé des fossiles, sont disponibles sous une forme ou une autre dans la plupart des pays. Ce qui réduit notablement l’importance particulièrement marquante des détroits sur les routes de l’énergie;
  • Les renouvelables, le solaire et l’éolien notamment, sont des énergies de flux et non de stock comme les fossiles. Elles sont de ce fait inépuisables;
  • Les renouvelables peuvent être mobilisées et déployées à toutes les échelles et se prêtent mieux à la décentralisation et donc à la démocratisation de l’accès aux services énergétiques

Quand on sait que les caractéristiques propres des combustibles fossiles, et surtout leur concentration géographique, ont façonné la géopolitique mondiale au cours des deux derniers siècles, on mesure les bouleversements que leur repli quantitatif et stratégique vont entrainer dans les relations entre les nations. Selon le rapport : « Les conséquences géopolitiques et socio-économiques associées à l’ère des nouvelles énergies pourraient être aussi profondes que celles engendrées il y a deux siècles par le passage de la biomasse aux énergies fossiles. Nous pourrions notamment assister à des changements dans la position relative des États, à l’émergence de nouveaux leaders énergétiques et à une diversification des acteurs dans le secteur de l’énergie, à une modification des équilibres commerciaux et à l’émergence de nouvelles alliances. »

Les impacts sur les pays vont être largement déterminés par leur dépendance des importations ou des exportations des combustibles fossiles et par leur habilité à innover. Les États-Unis par exemple sont en meilleure posture, puisque autosuffisants pour leur approvisionnement en combustibles fossiles et de par leurs exceptionnelles capacités dans le développement des nouvelles technologies. La Chine pourra tirer avantage de l’avance prise dans le domaine des renouvelables en termes de coût et de savoir-faire. Les Petits États Insulaires tireront avantage des baisses consécutives des coûts des combustibles fossiles. Certains pays de l’Afrique subsaharienne pourraient sauter l’étape des combustibles fossiles comme beaucoup l’ont fait pour le téléphone filaire au profit des cellulaires. Les pays exportateurs de pétrole comme la Russie ou ceux du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord vont avoir des défis considérables à relever, notamment pour s’adapter à la baisse des revenus pétroliers ou gaziers.

Les pays sont avertis. Le rapport met entre leurs mains les clés pour se préparer aux changements à venir et pour élaborer les stratégies qui permettront à la transition en cours, induite par les énergies renouvelables, de se passer en douceur pour leurs populations.

En guise de conclusion, on peut citer ces lignes du rapport Un Monde Nouveau, la Géopolitique de la Transformation de l’Énergie qui résument relativement bien les enjeux de la future donne énergétique et les nouvelles perspectives qu’elle ouvre pour la géopolitique tant à l’échelle mondiale qu’aux échelles régionales.

« À l’inverse des énergies fossiles, les énergies renouvelables sont disponibles sous une forme ou une autre dans la plupart des zones géographiques. Cette abondance permettra de renforcer la sécurité énergétique et de favoriser une plus grande indépendance énergétique dans la plupart des États. Parallèlement, au fur et à mesure que les pays exploiteront les énergies renouvelables et intégreront leurs réseaux électriques à ceux des pays voisins, de nouveaux rapports d’interdépendance et de modèles commerciaux émergeront. Les conflits liés au pétrole et au gaz diminueront, tout comme l’importance stratégique de certains points chauds maritimes.Les exportateurs d’énergies fossiles pourraient assister à une diminution de leur rayonnement et de leur influence à l’échelle mondiale, sauf s’ils adaptent leur économie à l’aune des nouvelles énergies. »

Références:

[1] IRENA & Global Commission On Geopolitics, Anew World, The Geopolitics of Energy Transformation, janvier 2019, http://geopoliticsofrenewables.org/report
[2] Stefan Jungcurt, Report Outlines, How the energy Transformation will Reshape the World, Content Editor, Germany,  https://sdg.iisd.org/news/report-outlines-how-the-energy-transformation-will-reshape-the-world/
[3] Stéphane Pouffary, La transition énergétique: enjeux, défis et opportunités pour un futur énergétique soutenable et solidaire, Liaison Énergie Francophonie N°93, 1er trimestre 2013
[4] Alexandre Rojey, Réussir la transition énergétique : défis, contraintes et solutions à mettre en œuvre, LEF 93, 1er trimestre 2013, http://www.ifdd.francophonie.org/media/docs/publications/542_LEF93_web.pdf
[5] Bulletins GSI de juin, septembre et novembre 2017, mai et décembre 2018, https://www.globalshift.ca/?page_id=483
[6] IFDD, La transition énergétique ou l’énergie que nous aurons, LEF 93, 1er trimestre 2013
[7] Sibi Bonfils, La transition énergétique au crible de l’Histoire, LEF 93, 1er trimestre 2013
[8] Organisation mondiale de la Santé (OMS), Public health, environmental and social determinants of health (PHE), https://www.who.int/phe/health_topics/outdoorair/databases/en/
[9] UN Global Compact, How your Company can advance each of the SDGs, https://www.unglobalcompact.org/sdgs/17-global-goals
[10] Pape François, Lettre Encyclique sur la sauvegarde de la maison commune, http://m.vatican.va/content/dam/francesco/pdf/encyclicals/documents/papa-francesco_20150524_enciclica-laudato-si_fr.pdf

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