Bulletin GSI
Mai 2019
La nature décline globalement à un rythme sans précédent
Selon L’IPBES, le GIEC de la Biodiversité
La Plateforme Intergouvernementale sur la Biodiversité et les Services Écosystémiques (IPBES) a tenu sa 7e session à Paris, France, du 29 avril au 4 mai 2019. Cette session a été marquée par l’adoption du rapport Évaluation mondiale de la biodiversité et des services écosystémiques. Il s’agit du premier rapport intergouvernemental de ce type et, selon ses auteurs, du document le plus exhaustif réalisé à ce jour. Il s’appuie sur l’évaluation historique des écosystèmes pour le millénaire (Millenium Ecosystem Assessment) réalisée 2005. Il introduit cependant de nouveaux moyens pour l’évaluation des preuves.
Le succès médiatique de la 7e session de l’IPBES- les 6 sessions précédentes sont passées sous le radar– est dû à la tonalité et à la force des messages véhiculés par ce rapport. « La nature décline globalement à un rythme sans précédent dans l’histoire humaine – et le taux d’extinction des espèces s’accélère, provoquant dès à présent des effets graves sur les populations humaines du monde entier` [1] » alerte-t-il. Alors que « 1 000 000 d’espèces sont menacées d’extinction », le rapport juge « la réponse mondiale actuelle insuffisante » suggérant des « changements transformateurs… pour restaurer et protéger la nature ».
Ce numéro du bulletin donne un aperçu des messages clés du rapport d’évaluation, après un bref compte rendu de la 7e session de l’IPBES, en s’appuyant sur le volume 31 n°49 du Bulletin des Négociations de la Terre (BNT)[2] et sur le Résumé pour décideurs du rapport.
Mieux connue sous son appellation anglaise IPBES (Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services) la Plateforme est très souvent présentée au public comme le GIEC [3] de la biodiversité. L’IPBES est un organisme intergouvernemental indépendant, mis en place par les États membres des Nations Unies en 2012. Son objectif est de fournir aux décideurs des informations factuelles, objectives et pertinentes pour les politiques, en ce qui concerne la biodiversité, les écosystèmes et les services qu’ils rendent aux populations. Il intervient dans les 4 domaines complémentaires suivants [4] :
- Évaluations, portant i) sur des thèmes spécifiques (pollinisateurs, pollinisation et production alimentaire) et ii) sur des questions méthodologiques (scénarios et modélisation) tant aux niveaux régional que mondial (Évaluation mondiale de la biodiversité et des services écosystémiques).
- Soutien aux politiques visant à i) identifier les outils et méthodologies pertinents pour les politiques, i) en faciliter l’utilisation et iii) en favoriser le développement et le déploiement.
- Renforcement des capacités et des connaissances visant à identifier et répondre aux besoins prioritaires en capacités, en connaissances et en données des États membres, des experts et des parties prenantes.
- Communications et sensibilisation pour assurer la portée et l’impact les plus larges de son travail.
L’organe directeur de l’IPBES est sa Plénière composée des représentants des États membres au nombre de 132 en avril 2019. Les États non-membres, des Agences et conventions des Nations Unies, des organisations de la société civile et d’autres organisations participent à ses travaux en tant qu’observateurs.
La 7e session de l’IPBES a réuni près de 800 participants, représentants des pays membres et non-membres, des Agences et les Conventions des Nations Unies, des organisations gouvernementales et non-gouvernementales, des peuples autochtones et des communautés locales, ainsi des groupes de diverses parties prenantes.
Les travaux ont principalement porté sur :
- Le programme de travail glissant de l’IPBES jusqu’en 2030. Les thèmes retenus pour les nouvelles évaluations mondiales concernent : les liens entre biodiversité et eau, alimentation et santé; les déterminants du changement transformateur; l’impact des entreprises sur– et leur dépendance de– la biodiversité. Il est par ailleurs prévu un rapport technique sur la diversité biologique et les changements climatiques qui devrait être préparé en collaboration avec le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC);
- La finalisation et l’adoption d’une réponse à l’évaluation externe de la Plateforme,
- L’approbation et l’adoption du résumé à l’intention des décideurs (SPM) du rapport Évaluation mondiale de la biodiversité et des services écosystémiques et l’acceptation des différents chapitres,
Comme indiqué plus haut, le Fait marquant de la 7e session est l’adoption et la diffusion du rapport sur l’État de la Biodiversité et des services écosystémiques. Un travail d’une ampleur sans précédent dans ce domaine, rappelant à plusieurs égards le travail colossal que mène le GIEC dans le domaine du climat.
Le rapport a été élaboré par 145 experts issus de 50 pays au cours des trois dernières années. 310 experts de divers horizons géographiques et scientifiques y ont apporté des contributions additionnelles pertinentes. Il s’est appuyé sur une revue systématique d’environ 15 000 références scientifiques et de sources gouvernementales. Il s’est aussi appuyé (et pour la première fois à une telle échelle) sur les savoirs autochtones et locaux, abordant en particulier les questions concernant les peuples autochtones et les communautés locales. L’évaluation faite porte sur les changements au cours des cinq dernières décennies. Elle fournit un aperçu complet de la relation entre les trajectoires de développement économique et leurs impacts sur la nature et propose un éventail de scénarios possibles pour les décennies à venir.
Voici un aperçu des messages clés adressés aux décideurs dans le résumé du rapport d’évaluation qui leur est dédié :
La nature et ses contributions vitales aux Hommes, qui englobent la biodiversité et les fonctions et services écosystémiques, se dégradent dans toutes les parties du monde. « La plupart de ces contributions ne sont pas entièrement remplaçables, et certaines sont irremplaçables », indique le rapport. Par exemple, plus de 75% des types de cultures vivrières dans le monde, y compris les fruits et légumes et certaines des plus importantes cultures de rente telles que le café, le cacao et les amandes, dépendent de la pollinisation par les animaux. Il faut aussi noter, selon le rapport, que « la diversité de la nature maintient la capacité de l’humanité à choisir des alternatives face à un avenir incertain ». Les données statistiques ci-dessous donnent une idée de l’ampleur des dégradations constatées :
- 75 % du milieu terrestre est « sévèrement altéré » à ce jour par les activités humaines. Ce chiffre est de 66% pour le milieu marin;
- Environ 60 milliards de tonnes de ressources renouvelables et non renouvelables sont extraites chaque année dans le monde, en hausse de près de 100 % depuis 1980;
- 87% des zones humides présentes au 18e siècle ont été perdues en 2000 – la perte de zones humides est actuellement trois fois plus rapide, en termes de pourcentage, que la perte de forêts;
- le taux actuel d’extinction des espèces dans le monde est supérieur – des dizaine voire des centaine de fois plus élevé – à la moyenne des 10 derniers millions d’années. Et ce taux va s’augmentant;
- Au moins 680 espèces de vertébrés ont disparu à cause de l’action de l’homme depuis le 14ème siècle.
Les facteurs de changement directs et indirects se sont accélérés au cours des 50 dernières années. Les cinq facteurs directs de changement qui affectent la nature et qui ont les plus forts impacts à l’échelle mondiale ont été, par ordre décroissant, i) les changements dans l’utilisation des terres et des mers; ii) l’exploitation directe de certains organismes; iii) le changement climatique; iv) la pollution et v) les espèces exotiques envahissantes. Les facteurs indirects de changement, sous-tendus par des valeurs et des comportements sociétaux, incluent les modes de production et de consommation, la dynamique et les tendances de la population humaine, le commerce, les innovations technologiques et la gouvernance locale influencée par la gouvernance mondiale. En ce qui concerne les écosystèmes terrestres et d’eau douce par exemple, le changement d’affectation des sols a eu le plus grand impact négatif relatif suivi de l’exploitation directe, voire de la surexploitation d’animaux, de plantes et d’autres organismes, principalement par la récolte, l’exploitation forestière, la chasse et la pêche.
Les trajectoires actuelles ne permettent pas d’atteindre les objectifs de conservation et d’utilisation durables de la nature, et de durabilité. Des changements en profondeur utilisant les facteurs économiques, sociaux, politiques et technologiques sont nécessaires si l’on veut réaliser les objectifs à l’horizon 2030 (ODD) et au-delà. Si le déclin de la biodiversité et la dégradation des services écosystémiques se poursuivent au rythme actuel, la plupart des objectifs sociétaux et environnementaux internationaux tels que ceux énoncés dans les objectifs d’Aichi pour la biodiversité, le Programme de développement durable à l’horizon 2030 et l’Accord de Paris sur le climat ne seront pas atteints. Les scénarios à privilégier pour se donner des chances d’atteindre ces objectifs, sont ceux qui vont dans le sens d’une croissance démographique faible à modérée, et de changements transformateurs des modes de production et de consommation de l’énergie, des denrées alimentaires, des aliments pour animaux, des fibres et de l’eau...
La nature peut être conservée, restaurée et utilisée de manière durable tout en répondant simultanément aux autres objectifs sociétaux mondiaux, grâce à des efforts urgents et concertés en faveur d’un changement en profondeur. Cinq leviers de commande peuvent être mis à contribution pour générer les changements transformateurs permettant de s’attaquer aux facteurs indirects sous-jacents de la détérioration de la nature: (1) les incitatifs et le renforcement des capacités; (2) la coopération intersectorielle; (3) l’action préventive; (4) la prise de décision dans le contexte de la résilience et de l’incertitude; et (5) la mise en œuvre du droit de l’environnement. Une coopération internationale renforcée et des mesures connexes pertinentes au niveau local constituent des leviers importants, notamment pour la préservation de l’environnement mondial. L’examen et le renouvellement des objectifs internationaux convenus liés à l’environnement, fondés sur les meilleures connaissances scientifiques disponibles sont essentiels à cette préservation. L‘adoption et le financement généralisés d’actions de conservation, de restauration écologique et d’utilisation durable par tous les acteurs, y compris les individus sont aussi essentiels.
Une gouvernance prenant en compte les institutions et les systèmes de gestion coutumiers, ainsi que des régimes de cogestion impliquant les peuples autochtones et les communautés locales, peuvent constituer un moyen efficace de préservation de la nature et de ses contributions aux populations. En incorporant des systèmes de gestion adaptés aux conditions locales et des connaissances autochtones proches des réalités locales, on renforce cette efficacité.
Au-delà de ces messages dont nous donnons ici un bref aperçu, l’IPBES a, à travers son rapport sur l’évaluation mondiale de la biodiversité et des services écosystémiques, mis à la disposition des décideurs aux différentes échelles, « une base scientifique fiable, des connaissances et des options stratégiques [5]» pour faire des choix informés en ce qui concerne la préservation de la biodiversité et de la nature, et des services qu’elles procurent aux populations. La préservation de ce « patrimoine commun … le plus important ’filet de sécurité’ pour la survie de l’humanité [6]» est aujourd’hui de la 1ère urgence. En effet, selon Sir Robert Watson, Président de l’IPBES, « La santé des écosystèmes dont nous dépendons, ainsi que toutes les autres espèces, se dégrade plus vite que jamais. Nous sommes en train d’éroder les fondements mêmes de nos économies, nos moyens de subsistance, la sécurité alimentaire, la santé et la qualité de vie dans le monde entier».
Cependant, poursuit Sir Watson, « Le rapport nous dit qu’il n’est pas trop tard pour agir, mais seulement si nous commençons à le faire maintenant à tous les niveaux, du local au mondial. Grâce au « changement transformateur », la nature peut encore être conservée, restaurée et utilisée de manière durable – ce qui est également essentiel pour répondre à la plupart des autres objectifs mondiaux [7]»