Un avenir énergétique à 100 % renouvelable. Quelle faisabilité? Quels défis?

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Un avenir énergétique à 100 % renouvelable.

Quelle faisabilité? Quels défis?

Septembre 2017

1. Introduction

Dans l’édition de juin 2017 [1], nous avions pris l’engagement de revenir sur le dossier Renewables Global Futures Report : Great Debates Towards 100% Renewable Energy [2], présenté par REN21 au 3e Forum de l’Initiative Énergie durable pour tous (SE4AAL) qui s’est tenu en avril dernier à New York.

Le dossier de REN21 examine la faisabilité et les défis pour un avenir énergétique à 100% renouvelable à partir de 2050. Il s’appuie sur les avis de 114 experts patentés du secteur de l’énergie répartis comme suit :

  • 13 des organisations internationales,
  • 22 d’Afrique,
  • 9 d’Australie et Océanie,
  • 10 de Chine,
  • 14 d’Europe,
  • 10 de l’Inde,
  • 14 du Japon,
  • 14 de l’Amérique Latine et des Caraïbes,
  • 8 des États-Unis.

Plusieurs régions et pays comme le Moyen Orient, l’Asie Centrale, la Russie, l’Europe de l’Est ou le Canada ne figurent pas dans l’échantillon.

Les avis ont été recueillis à travers des interviews conduites entre mai et octobre 2016 sur la base d’un questionnaire en ligne utilisé à la fois par les interviewers et les interviewés pour enregistrer les réponses. Il est attendu des experts, non pas de prédire l’avenir, mais de dresser le portrait d’un monde qui recourrait aux seules énergies renouvelables pour répondre à ses besoins de confort domestique, de mobilité des personnes, de transport des marchandises, de force motrice, de chaleur et d’éclairage dans l’industrie, le commerce et l’agriculture, sans parler des usages spécifiques (télécommunication, informatique…).

Les thèmes sur lesquels les avis sont sollicités ont été choisis dans cette perspective. Quelles quantités de renouvelables? Quel secteur électrique? Quoi et comment pour la chaleur et le froid, le transport et les villes? Quelle place pour l’efficacité énergétique et le stockage de l’énergie? Distribution répartie ou centralisée? Et l’accès des plus démunis aux services énergétiques modernes?

Quelle faisabilité? Quels enjeux? Quels défis et aussi quelles opportunités? Quelles barrières il faudra vaincre?

Le rapport de REN21 est relativement disert sur l’ensemble de ces questionnements. Les réponses données sous forme de graphiques et de textes courts mais instructifs, valent le détour. Nous en donnons ici un aperçu.

2. Faisabilité et réalisme d’un avenir énergétique à 100 % renouvelable

En ce qui concerne le potentiel des renouvelables à l’échelle mondiale, la réponse quant à la faisabilité d’un avenir énergétique à 100 % renouvelable est positive, même si l’on part de relativement loin.

La part des renouvelables aujourd’hui dans le bilan énergétique mondial est en effet extrêmement modeste, 19,3% en 2015.

Mais le potentiel est largement au-dessus des besoins, atteignant jusqu’à 200 fois la demande actuelle pour certaines régions du monde (GIEC, SRREN 2017) [3].

Les experts sont d’accord à 71 % en ce qui concerne la faisabilité et le réalisme d’une transition à 100 % renouvelable à l’échelle mondiale. Seulement 17 % ne partagent pas cet avis.

Les divergences régionales sont cependant fortes. Alors que les experts des organisations internationales, d’Europe et d’Australie/Océanie partagent dans l’ensemble l’avis majoritaire, ceux des États-Unis et du Japon estiment que la situation n’est pas mûre au plan économique, anticipant des problèmes au niveau des technologies de stockage et de transport d’énergie. Les experts des pays en développement mettent de l’avant leurs besoins de développement, les difficultés d’accès au financement et la disponibilité des ressources fossiles pour expliquer leur désaccord avec l’avis majoritaire.

Les barrières à la faisabilité du 100 % renouvelable tiennent, pour les experts des pays industrialisés, des intérêts corporatifs, du manque de politique énergétique cohérente et de long terme et de modèles d’affaire inadéquats. Pour les experts des pays en développement les barrières concernent l’accès au financement, aux technologies et au savoir-faire.

Ces divergences expliquent sans doute pourquoi seulement 8 % des experts situent la part des renouvelables dans le mix énergétique mondial au-dessus de 91 % en 2050. Ils sont néanmoins 72 % à envisager un doublement de cette part en 2050.

Il y a donc consensus sur le fait que les renouvelables vont continuer à se développer. Reste à trouver le bon rythme pour donner une réponse adéquate à l’urgence que représente la décarbonisation du secteur de l’énergie et de l’économie face aux risques de réchauffement climatique.

3. La place de l’efficacité énergétique

L’efficacité énergétique a joué un rôle déterminant dans le maintien de la consommation mondiale d’énergie à un niveau raisonnable. On estime à 6 000 Millions de Tonnes équivalent pétrole (MTep), soit la consommation de la Chine, de l’Inde et de l’Europe réunies, la quantité d’énergie économisée sur les 25 dernières années grâce à la mise en œuvre des mesures d’efficacité énergétique. L’intensité énergétique (la quantité d’énergie nécessaire pour produire une unité de PIB) a baissé de 1,5 % par an sur la même période.

La réalité reste cependant que la demande mondiale a continué de croître (56 % entre 1990 et 2014) du fait de la croissance de l’économie et de la population. À dire d’experts, cette croissance va se poursuivre. Seulement 12 % des experts croient à un recul de la demande mondiale.

D’où la nécessité de déployer tous azimuts des mesures d’efficacité énergétique si l’on veut ramener la demande à un niveau où l’on peut y faire face avec les seules renouvelables. Ces mesures comprennent une large diffusion des technologies éprouvées et des technologies émergentes, les changements de comportement, des changements structurels profonds (passer des véhicules individuels à essence au transport public électrifié), l’abandon d’équipements et d’installations en fin de vie par des plus efficaces (l’abandon des lampes à incandescence au profit des Lampes Basse Consommation (LBC) et surtout des lampes à diode électroluminescente (LED)).

Les dispositifs intelligents et notamment les maisons intelligentes sont au cœur de la stratégie. Sur ces dernières, 70 % des experts considèrent que ces maisons vont dominer en 2050 dans la construction des logements et des bâtiments commerciaux.

Une large diffusion des savoir-faire et de l’information nécessaires pour généraliser la mise en œuvre et l’utilisation des technologies les plus efficaces serait la stratégie gagnante. C’est le gage pour permettre aux pays en développement de faire les nécessaires sauts technologiques qui les mettraient i) à l’abri des erreurs du passé et ii) en capacité de participer efficacement à l’effort mondial de maîtrise de la demande d’énergie. C’est aussi le gage pour que les technologies intelligentes renforcent la participation du tandem efficacité énergétique – énergies renouvelables à la réalisation d’un futur énergétique à 100 % renouvelable.

4. Production et distribution de l’électricité

La part des renouvelables dans la production d’électricité est aujourd’hui de 28 % et se répartit ainsi entre l’hydroélectricité (71 %), la biomasse (8 %), l’éolien (15 %), le solaire (5 %) et la géothermie (1 %)[4]. Les énergies éolienne et solaire ont connu ces dernières années un développement sans précédent les hissant, en termes de coût de production, au niveau des ressources classiques. Le kiloWattheure (kWh) d’origine éolienne est aujourd’hui la moins chère du marché pour les nouveaux ouvrages. Le kWh solaire a atteint la parité.

Mais on est encore très loin du 100 % renouvelable.

Les experts n’en sont pas moins optimistes. Ils sont 88 % à estimer que la part des renouvelables dépassera les 50 % dans la production d’électricité en 2050. Plus de la moitié d’entre eux placent même cette part au-dessus de 80 %.

Sur la façon dont cette énergie va être produites, les avis divergent notablement entre la production centralisée (une ou quelques compagnies nationales de production et de distribution) et décentralisée ou répartie (production sur le lieu-même de la consommation avec, à l’extrême, les prosumeurs, ces consommateurs qui produisent eux-mêmes l’énergie qu’ils consomment). Les experts indiens pensent que la production centralisée continuera de dominer. Les européens, les chinois et les africains considèrent, pour leur part, que la tendance restera en faveur de la production décentralisée.

Le rôle futur des consommateurs ne fait pas non plus consensus. Les expert d’Australie/Océanie, d’Europe et des organisations internationales considèrent qu’il va notablement changer, avec un nombre croissant d’entre eux devenant des prosumeurs. Les États-Unis, le Japon, la Chine et l’Afrique ne partagent pas l’avis sur les prosumeurs, admettant cependant que les consommateurs influenceront les changements à venir dans les sociétés d’électricité et notamment la qualité de leurs produits.

Tous les experts conviennent que le modèle d’affaire des compagnies doit changer pour mieux prendre en compte l’éolien et le solaire qui ne cessent de progresser en termes de coût et de quantité d’énergie disponible. Les avis divergent cependant quant au responsable de ces mutations, l’État pour les pays en développement, les compagnies pour les autres. L’histoire, mais aussi les cultures réglementaires, influencent les perspectives.

 

 

5. Le transport

Le transport, c’est 27 % de la consommation mondiale de l’énergie. En 2013, 92,7 % de la consommation de l’énergie de ce secteur provenaient des combustibles fossiles, 2,5 % des biocarburants et 1 % de l’électricité.

On est pas mal loin du compte, d’autant plus que le débat concernant les renouvelables dans ce secteur a été monopolisé par les biocarburants de 1ère ou de 2ème générations. Le véhicule électrique n’est entré que fort timidement dans le débat. Il se développe rapidement cependant, passant de 200 000 unités en en 2013 à 1,2 million d’unités en 2015.

Les avis des experts sur le futur des renouvelables dans ce secteur divergent fortement. Ceux des pays en développement soutiennent que les fossiles continueront à dominer sur les 30 prochaines années, du fait du manque de visibilité sur les véhicules électriques et d’alternatives crédibles pour l’aviation et le transport maritime.

Enfin, tous les experts s’accordent sur le fait que c’est dans le domaine du transport qu’il sera le plus problématique de se défaire des énergies fossiles.

Pour un transport durable, les efforts doivent en conséquence porter prioritairement sur :

  • la réduction de la demande de transport motorisé,
  • le transfert modal (de la haute à la basse intensité énergétique) et
  • l’amélioration de l’efficacité énergétique via le développement technologique.

6. Les villes

Depuis 2008 plus de 50 % de la population mondiale vit en ville. Ce taux est aujourd’hui supérieur à 54 %. Tout indique qu’il va continuer à croître. Le concept de ville résiliente, qui s’est imposé dans le débat public, traduit la volonté des acteurs de ce milieu de le protéger des chocs extérieurs. Les trois (3) secteurs clefs au cœur de ce débat « transport et mobilité », « bâtiments efficaces » et « alimentation en eau potable et gestion des eaux usées », ont un rapport direct avec l’énergie que la plupart des villes importent massivement. Les renouvelables sont une solution pour réduire cette dépendance et accroître la résilience des villes tout en renforçant sa durabilité.

En ville, l’espace est cependant une contrainte, notamment pour les grandes fermes éoliennes et photovoltaïques. Des innovations en matière d’intégration des équipements solaires dans l’enveloppe des bâtiments ainsi que l’implantation des fermes éoliennes dans les zones industrielles et les ports (ou offshore) apportent des solutions. Le solaire photovoltaïque et thermique sur les toits pour l’électricité et l’eau chaude, et la géothermie pour le chauffage urbain restent cependant particulièrement adaptés. L’électrification du transport individuel et collectif ouvre d’intéressantes perspectives pour le renouvelable en ville. La production décentralisée et l’énergie répartie de même que la prosumation mettant abondamment à contribution les dispositifs intelligents trouvent ici toute leur place.

Les avis des experts divergent sur la place et le rôle de la production décentralisée en ville. 75 % des indiens considèrent que les ressources fossiles continueront de tenir la vedette pour l’approvisionnement des villes. 75 % des experts européens, australiens et américains pensent que les renouvelables vont assumer. Mais 67 % de l’ensemble des experts rejettent l’idée que la production centralisée basée sur les combustibles fossiles continuera d’être la solution pour l’approvisionnement en énergie des grandes villes.

Les solutions à 100 % renouvelable pour les grandes villes existent en effet. Elles sont aujourd’hui expérimentées dans plusieurs villes[5] tant en Europe qu’en Amérique. Il faut faire connaître les technologies et les politiques mises en œuvre et qui fonctionnent, et rechercher les moyens de passer aux échelles adéquates.

7. Accès à l’énergie

Dans les pays en développement, 1,5 milliard de personnes n’ont pas aujourd’hui accès à l’électricité et 3 milliards dépendent de combustibles solides sales pour leurs besoins de cuisson. La production décentralisée basée sur le photovoltaïque et l’éolien et les foyers améliorés constituent des solutions viables pour les populations concernées, en zones rurale et périurbaine. Demeure cependant le défi d’approvisionnement énergétique de ces zones pour des fins de développement économique et industriel auxquelles les solutions actuelles n’apportent pas de réponse adéquate.

Pour les experts des pays en développement, ces solutions ne suffiront pas et des systèmes de production centralisée de grande taille resteront nécessaires. Seuls 7 % des européens partagent ce point de vue. Malgré tout, 56 % de tous les experts pensent que les renouvelables suffiront pour réaliser l’objectif de l’accès universel aux services énergétiques durables.

Les renouvelables contribuent déjà largement à accroître l’accès aux services énergétiques des populations hors réseau. Le débat porte sur la façon de changer l’échelle des projets et d’en accélérer le rythme. L’affectation massive des fonds dédiés à la réduction des émissions de gaz à effet de serre et à l’adaptation aux effets des changements climatiques est unanimement recommandée.

8. Conclusions

Un avenir énergétique à 100 % renouvelable fait débat, comme on peut le voir dans cette brève présentation du rapport de REN21. Les avis des experts consultés divergent plus souvent qu’autrement sur l’ensemble des nœuds de ce débat, qu’il s’agisse de l’accès à l’énergie, de la production d’électricité, de l’approvisionnement des villes, de la mobilité des personnes, du transport des marchandises, et même de la faisabilité de cet avenir.

Ce débat reste malgré tout d’une pressante nécessité. Avec l’Accord de Paris sur le climat cherchant à limiter le réchauffement climatique à 2°C et même à 1,5°C, la décarbonisation de l’économie en général (et de l’énergie en particulier) est devenue un enjeu de taille, voire un impératif auquel le monde peut difficilement se soustraire. Et la décarbonisation passe par le renforcement des mesures d’efficacité énergétique, de sorte que la balance de la production puisse être assurée par les renouvelables.

Des organismes comme NégaWatt ont posé ce débat depuis quelques années, avec notamment le scénario NégaWatt [6] affirmant qu’une transition vers le 100 % renouvelable en 2050 pour la France est possible grâce à la sobriété dans les usages, l’efficacité énergétique à tous les niveaux de la production et de la consommation, et un recours prioritaire aux énergies renouvelables.

Une grande institution comme l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie (ADEME) de France vient de jeter un pavé dans la mare des « lobbys du nucléaire » comme on dit là-bas, avec son étude « Vers un mix électrique à 100 % renouvelable en 2050 [7]» en France. « L’étude montre la faisabilité technique et économique d’un approvisionnement électrique fondé uniquement sur des sources renouvelables, sans s’avérer plus onéreux qu’un mix électrique reposant majoritairement sur le nucléaire [8]». Pour un pays où le nucléaire assure 77 % de la production d’électricité (EDF, 2014) [9], cela fait du bruit. Et ce fut le cas…

Il est bon parfois de savoir mettre les pieds dans le plat. Le jeu en vaut la chandelle en l’espèce!

[1] Global Shift Institute, De l’énergie durable pour tous… et aussi des emplois, juin 2017.

[2] REN21, Renewables Global Futures Report : Great Debates Towards 100 % Renewable Energy, 2017

[3] GIEC-IPCC, Special Report on Renewable Energy Sources and Climate Change Mitigation (SRREN), 2012.

[4] IRENA, Rewable Energy highlights, juillet 2017.

[5] Energie cités et coll. Vers des villes 100% énergies renouvelables et maîtrisant les consommations : pistes de réflexion et d’action, septembre 2016.

[6] Négawatt, Scénario NégaWat 2017-2050, 2017.

[7] ADEME, Vers un mix électrique à 100 % renouvelable en 2050

[8] Association NégaWatt, Note d’analyse Étude ADEME « Vers un Mix électrique 100% renouvelable », Avril 2015.

[9] EDF, Part du Nucléaire dans la production française d’électricité en 2014.

 

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