Intégration des sources d’Énergie Renouvelables Variables (ERV) aux réseaux électriques

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Bulletin GSI de juin 2021

Intégration des sources d’Énergie Renouvelables Variables (ERV) aux réseaux électriques

Courant 2019, l’Agence Internationale pour les Énergies Renouvelables (IRENA) a publié le rapport « Panorama des innovations pour un avenir alimenté par les énergies renouvelables : solutions pour intégrer les énergies renouvelables variables ». Ce rapport présente et classe des exemples d’innovations déployées et implantées à l’échelon mondial en vue de faciliter l’intégration à grande échelle des énergies renouvelables variables (IREN, 2019)[1]. Ce bulletin en donne un bref aperçu dont la seule ambition est de contribuer à la diffusion d’une information de qualité sur ces solutions qui permettent d’accélérer la transition énergétique dont la nécessité se fait pressante, selon des éléments du 6e Rapport du GIEC qui ont fuité dans la presse courant juin 2021[2].

L’intégration de parts très élevées d’Énergies Renouvelables Variables (ERV), l’électricité solaire et éolienne notamment, dans les systèmes électriques existants est en effet un des principaux enjeux de la transition énergétique permettant de réaliser l’objectif zéro émissions nettes à l’horizon 2050 compatible avec l’Accord de Paris sur le Climat.

Pour la nécessaire décarbonisation des usages et du secteur électrique que requiert cet objectif, les grandes agences du secteur comme l’IRENA ou l’AIE indiquent que la part des renouvelables dans les mix électriques nationaux doit avoisiner d’ici 2050, voire dépasser, les 85% de la production totale d’électricité et celles des ERV atteindre et dépasser les 60%. Les puissances ERV installées devraient dépasser, dans certains cas, les 300%

On sait aujourd’hui mobiliser, dans les pays, des volumes importants d’ERV, en termes de puissance installée et d’énergie produite, qui permettraient d’atteindre cette cible d’ERV. C’est en dizaine de milliers de GW que se chiffrent aujourd’hui les puissances installées d’ERV dans le monde et d’ajouts annuels, selon REN21[3]. C’est aussi en centaines de GWh que s’évalue les productibles à partir des ERV.

On s’attend à une accélération au cours de la prochaine décennie, en ce qui concerne les additions annuelles.

Du côté des coûts, les baisses spectaculaires observées depuis 2010 devraient se poursuivre au cours de la prochaine décennie selon l’IRENA. Entre 2010 et 2018, ces baisses ont été de 90% pour les modules solaires et de 77% pour l’électricité solaire, de 50% pour les éoliennes et de 30% pour l’électricité éolienne (IRENA, 2019).

Le problème de l’intégration massive des ERV aux systèmes électriques existants ne se pose donc pas en termes de volume mobilisable et de coût de production.

C’est surtout en termes de flexibilité définie par IRENA comme « la capacité à répondre à des changements de charge et de production » qu’il se pose vraiment. « Une flexibilité insuffisante pourrait conduire au délestage des charges (si la montée en puissance de la capacité complémentaire du système n’est pas suffisante pendant les périodes de faible production d’ERV) ou à l’effacement des ERV (si le système ne peut pas ralentir sa production pendant les périodes de haute production d’ERV) », indique-t-il.

Les électriciens traditionnels, ceux du siècle dernier encore nombreux dans les processus décisionnels, sont pour le moins dubitatifs sur la capacité des systèmes fortement dominés par les ERV à assurer ces ajustements aux différentes échelles de temps. Les grands réseaux nationaux, régionaux, voire continentaux d’aujourd’hui font en effet face à une multitude d’aléas d’exploitation concernant la demande, l’offre, les réseaux de transport, de répartition et de distribution dont la maîtrise aux différentes échelles de temps est une exigence incontournable pour la qualité de service.

Dans les réseaux électriques conventionnels, dont ces électriciens ont la pratique, c’est l’offre qui apportait toute la flexibilité en adaptant de façon dynamique la production à la demande. La demande ne fournissait qu’une très faible flexibilité, souvent organisée avec des contrats d’effacement à la pointe et de mise en service au creux de la demande

Ce doute profond est palpable dans « les conditions et exigences pour un mix électrique dominé par les ENR variables » posées dans l’Étude AIE/RTE (AIE/RTE, 2020[4]) présentée dans le numéro de mars 2021 de ce bulletin (GSI, 2021)[5]. Les quatre ensembles de conditions strictes qui devraient être remplies en vue d’une intégration techniquement sûre de parts très élevées d’énergies renouvelables variables dans un grand réseau électrique comme celui de la France sont parlantes de ce point de vue: i) Maintenir la stabilité du réseau; ii) Garantir la sécurité d’approvisionnement; iii) Assurer les équilibres à court terme et la régulation de fréquence; iv) Développer et adapter les réseaux électriques. (AIE/RTE, 2020).

Les innovations que recense l’IRENA dans son étude Panorama des innovations pour un avenir alimenté par les énergies renouvelables : solutions pour intégrer les énergies renouvelables variables, apportent les réponses idoines pour ces conditions et ces exigences, en augmentant la flexibilité du côté de l’Offre tout en l’introduisant au niveau de tous les autres segments du réseau.

Comme on peut le voir sur ce schéma, les systèmes de stockage à grande échelle dans les segments des réseaux et la mise à contribution des ressources énergétiques distribuées participent des solutions pour la fourniture de la flexibilité dans les futurs réseaux.

Voici les 5 chapitres du Guide d’IRENA sur les innovations émergentes appelées à révolutionner le fonctionnement des réseaux et les pratiques d’exploitation et même de conception, de planification et de régulation des systèmes, pour intégrer les ERV de façon réussie.

Le schéma ci-dessous en donne la structure générale qui est détaillé ci-après.

 

Le premier chapitre du Guide donne les raisons de la nécessaire transition vers un système énergétique sobre en carbone, fiable, abordable et sûr et explique le rôle déterminant d’une production à base d’énergies renouvelables, les ERV notamment, dans ce processus. Les défis que cette transition pose sont soulignés tout en ressortant les innovations qui contribuent à les surmonter. L’apparition de nouveaux acteurs dans le secteur électrique et le changement profond des rôles et responsabilités des acteurs traditionnels ne sont pas les moindres de ces défis.

Les 3 schémas ci-dessous donnent un aperçu des mutations en cours en ce qui concerne notamment les chaînes de valeurs, les tendances fortes en matière d’innovation et les ressources énergétiques distribuées appelées à contribuer au renforcement de la flexibilité des systèmes.

Comme on peut le voir sur cette figure, les flux d’énergie et d’argent sont dans les deux sens contrairement aux systèmes traditionnels dans lesquels ces deux flux sont unidirectionnels, le premier de la production vers la consommation et le second dans le sens opposé.

Les deux figures suivantes indiquent pour la première les tendances en matière d’innovation et pour la seconde, le détail des ressources dites distribuées

Le second chapitre donne une vue d’ensemble des 30 types d’innovations identifiées. Certaines sont mises en œuvre sur le terrain, dans plusieurs pays. D’autres sont en phase de test. Elles sont décrites avec l’intention « d’aider les lecteurs à évaluer les bénéfices, les risques et la pertinence de chaque innovation dans chaque contexte spécifique ». Elles ont été classées dans le Guide autour des 4 dimensions suivantes : technologie générique, modèle économique, organisation du marché et exploitation du système. La figure ci-dessous synthétise les innovations au niveau de ces dimensions.

Le troisième chapitre répertorie les synergies entre les différentes innovations au niveau de tous les composants du réseau pour construire des innovations systémiques. Il dégage ainsi 11 solutions permettant de construire et de renforcer la flexibilité du système électrique

Les deux schémas ci-dessous donnent, pour les 4 groupes de solutions, les différentes combinaisons d’innovations permettant de construire la flexibilité.

Le quatrième chapitre examine l’impact des différentes solutions en termes i) de renforcement de la flexibilité des systèmes, et ii) de coûts d’investissement et d’exploitation. Ce qui permet de suggérer des stratégies permettant de réduire les coûts liés à l’intégration des ERV tout en maximisant les avantages associés.

Le tableau ci-dessous donne une bonne idée des niveaux d’investissement requis et des enjeux liés à la mise en œuvre des innovations selon les 4 dimensions énoncées précédemment.

La combinaison de ces éléments permet de dégager lesdites stratégies gagnantes. Ainsi, selon l’IRENA, « les solutions axées du côté de la demande et basées sur des innovations en termes d’organisation du marché ont un coût inférieur et un impact modéré à fort sur l’intégration des ERV. Elles constituent une option intéressante dans de nombreux pays, et par conséquent un bon point de départ.

Les solutions présentant une utilisation plus intensive des technologies génériques, telles que les innovations en matière de réseau, de stockage ou de « Power-to-X », nécessitent un investissement plus important, mais peuvent aussi avoir un impact plus fort sur l’intégration des ERV. Elles sont donc plus adaptées aux étapes avancées, lorsque les pays atteignent une pénétration significative des ERV au sein de leurs systèmes électriques » (IRENA, 2019).

Les deux figures ci-dessous permettent de construire de telles stratégies. Elles montrent en effet le potentiel d’accroissement de la flexibilité des différentes solutions au regard de l’investissement requis ou des défis de mise en œuvre à relever.

Le cinquième et dernier chapitre du Guide conclut le rapport en proposant un plan d’innovations en huit étapes permettant aux pays qui commencent à intégrer les ERV dans leurs systèmes électriques de se hisser progressivement au niveau de ceux qui sont aujourd’hui à la pointe des transformations nécessaires. Le solaire photovoltaïque et l’éolien sont au cœur de ces transformations. Plusieurs des innovations décrites dans le Guide sont déjà en service, notamment dans ces pays à l’avant-garde dans le domaine. Elles montrent, indique IRENA, que les systèmes électriques peuvent fonctionner avec une grande proportion d’ERV, de manière fiable et rentable.

Le Schéma ci-dessous donne un aperçu des mesures que les gouvernements devraient mettre en œuvre pour maximiser les avantages des énergies renouvelables dans leur économie sur la route qui mène vers sa nécessaire carboneutralité.

Il est ainsi demandé aux gouvernements souhaitant s’inscrire dans la dynamique de carboneutralité qui leur est dictée par l’Accord de Paris, de la lutte contre la pauvreté et de la protection de la planète prônées par l’Agenda 2030, de :

  • De développer des cadres stratégiques clairvoyants qui anticipent les futurs besoins des systèmes électriques, permettant ainsi de privilégier le déploiement des technologies de production d’électricité renouvelable et d’intégrer une proportion élevée d’ERV;
  • D’adopter une approche systémique en réunissant les innovations technologiques, l’organisation du marché, les modèles économiques et l’exploitation du système électrique. Il s’agit d’optimiser les synergies entre les innovations à travers tous les secteurs et composants du système, en impliquant toutes les parties prenantes;
  • D’encourager l’apprentissage par la pratique au travers d’essais et de démonstrations en continu pour réduire les risques au stade de la mise en œuvre en vraie grandeur. La sphère réglementaire devrait permettre ce genre de pratique où l’expérimentation est nécessaire, avec la création de « bancs d’essais réglementaires »;
  • De prendre en compte l’évolution des rôles et responsabilités dans l’exploitation du système électrique. L’émergence de nouveaux acteurs comme les prosommateurs et les consommateurs actifs induite par les différentes innovations, pose au régulateur des défis informationnels et opérationnels nouveaux qu’il doit impérativement apprendre à relever pour tirer avantage des synergies entre nouveaux acteurs et acteurs traditionnels;
  • De faire de l’innovation en matière de réglementation et de l’organisation du marché une priorité, car cela favorise la flexibilité à un coût relativement peu élevé. Il s’agit notamment de faire en sorte que les prix rémunèrent de manière appropriée l’énergie, les services d’équilibrage, et plus généralement, tous les intervenants capables de fournir de la flexibilité.
  • De créer des synergies entre un approvisionnement en électricité renouvelable et le transport, le chauffage et le refroidissement électriques. Il s’agit de tirer avantage des synergies entre les énergies renouvelables et la décarbonisation des secteurs comme celui du transport et de la production de froid et de chaleur;
  • De transformer les innovations en solutions intelligentes à l’aide des technologies numériques. Les innovations numériques telles que l’intelligence artificielle, l’internet des objets ou les blokchain ont le potentiel de procurer aux réseaux une intelligence opérationnelle qu’il s’agit de maîtriser et de mettre à profit comme le font déjà d’autres secteurs industriels;
  • D’adopter une approche ouverte et coopérative en matière d’innovation entre pays développés et en développement, entre secteurs public et privé, entre différentes industries et entre différents acteurs. C’est de la sorte que le savoir et l’expérience pourront être partagés, dupliqués et améliorés.

On peut conclure en rappelant que le Guide d’IRENA dresse le panorama des innovations déployées et implantées, ou testées à l’échelon mondial en vue de faciliter l’intégration à grande échelle des énergies renouvelables variables (ERV). Avec ces innovations pourvoyeuses de la nécessaire flexibilité dont le secteur électrique a besoin pour réussir cette intégration, on est au seuil d’un basculement, un leapfrog ou un saut technologique qui rappelle à bien des égards celui qui bouleversa le secteur des télécommunications et continue de le transformer. Ici encore, c’est le numérique qui est à la manœuvre avec cette fois-ci de puissants et nouveaux outils comme l’Intelligence Artificielle, l‘Internet des objets ou les blokchains.

En introduisant dans les systèmes électriques une sorte d’intelligence opérationnelle capable d’organiser et de gérer des masses considérables de données, ces outils rendent possibles des pratiques révolutionnaires au niveau de l’investissement, de l’exploitation, de la tarification, de la règlementation et de la gestion de l’ensemble des parties prenantes du secteur. On pense ici aux opérateurs traditionnels dont les rôles et les responsabilités vont considérablement évoluer. On pense surtout à de nouveaux acteurs comme les prosommateurs et les consommateurs actifs qui sont autant de pourvoyeurs de flexibilité dont les rôles encore flous iront se renforçant.

C’est donc vers une transformation radicale du secteur électrique que l’on se dirige. Pour réussir cette transformation, il faut, selon l’IRENA, que les innovations « fassent partie d’une panoplie complète de mesures comprenant des politiques liées à l’éducation et à la formation, à l’industrie, à la main-d’œuvre et aux investissements, entre autres. Munis des connaissances relatives aux options disponibles, les planificateurs du système énergétique et les décideurs politiques peuvent, en toute confiance, envisager et poser les bases d’un futur alimenté par les énergies renouvelables » (IRENA, 2019).

[1] IRENA, Panorama des innovations pour un avenir alimenté par les énergies renouvelables : solutions pour intégrer les énergies renouvelables variables , 2019, https://www.irena.org/-/media/Files/IRENA/Agency/Publication/2019/Feb/IRENA_Innovation_Landscape_2019_FR.pdf

[2] Novethic, GIEC, prudence sur le sixième rapport terrifiant sur le réchauffement climatique, https://www.novethic.fr/actualite/environnement/climat/isr-rse/giec-les-premices-d-un-6eme-rapport-terrifiant-sur-le-rechauffement-climatique-149927.html

[3] REN21, Renewable 2021, Global Status Report, https://www.ren21.net/gsr-2020/

[4] AIE/RTE, Conditions and requirements for the technical feasibility of a power system with a high share of renewables in France towards 2050, https://www.iea.org/reports/conditions-and-requirements-for-the-technical-feasibility-of-a-power-system-with-a-high-share-of-renewables-in-france-towards-2050;

[5] GSI , France, un mix électrique à 100% renouvelables à l’horizon 2050?, mars 2021, https://www.globalshift.ca/france-un-mix-electrique-a-100-renouvelable-a-lhorizon-2050/