Le Rapport Mondial sur le Développement durable

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Le Rapport Mondial sur le Développement durable

Bulletin GSI d’octobre 2019

 Le Rapport Mondial sur le Développement durable (RMDD – GSDR)[1] a été publié à l’occasion du Sommet ODD 2019, la 1ère édition du Forum Politique de Haut Niveau (FPHN) placée sous les auspices de l’Assemblée Générale de Nations Unies (AGNU) qu’il a été convenu de tenir tous les 4 ans au niveau des Chefs d’État et de gouvernement.

Nous revenons ici sur ce rapport comme annoncé dans le numéro de septembre 2019[2] du Bulletin consacré à ce Sommet pour en donner les grandes lignes et les principales recommandations.

La production du GSDR a été recommandée dès 2012 dans l’Avenir que nous voulons[3], la Déclaration du Sommet Rio+20. Cette recommandation a été reprise en 2015 dans Transformer notre monde : l’Agenda 2030 pour le Développement Durable[4], la Déclaration du Sommet des Nations Unies sur le Développement Durable, celui qui adopta les ODD. C’est cependant la Déclaration ministérielle issue de l’édition 2016 du FPHN, celle placée sous l’égide de l’ECOSOC, qui lança effectivement cette production.

Le GSDR aurait pour vocation d’évaluer la mise en œuvre de l’Agenda 2030 et des ODD. Il serait produit tous les 4 ans par un groupe indépendant de scientifiques désignés par le Secrétaire Général des Nations. Ce groupe comprendrait 15 experts représentant toute la variété des parcours professionnels, des disciplines scientifiques et des institutions, compte bien tenu des équilibres régionaux et de genre.

L’édition 2019, la toute première de la future série, est intitulé Le Futur c’est Maintenant : la Science au Service du Développement Durable.

L’équipe de production co-présidée par un suisse et un indonésien, comprend 13 membres provenant du Cameroun, du Ghana, de la Finlande, les États-Unis, du Mexique, de la Corée (sud), d’Australie, de la France, du Danemark, de la Jordanie, de la Jamaïque, de la Lituanie

Pour le Secrétaire Général des Nations Unies, Mr Antonio Guterres, cette première édition du GSDR « présente une évaluation objective de nos lacunes et des mesures à prendre pour les combler ». Pour les auteurs « Il met en évidence les connaissances de pointe concernant les transformations nécessaires vers le développement durable et identifie des domaines concrets où un changement transformationnel rapide est possible ».

Il tire avantage pour cela de l’immense base de connaissance disponible, construite par différents acteurs de développement comme le PNUE avec son GEO-6 (Global Environment Outlook – 6), le GIEC avec son rapport spécial de 2018, l’IPBES avec son rapport d’évaluation mondiale sur la biodiversité et les services écosystémiques. Les rapports du Secrétaire Général des Nations Unies sur les ODD, de l’OCDE ou de l’Organisation Mondiale du Travail (OMT) ont été autant de sources. Les articles de recherche publiés dans des revues scientifiques reconnues ont constitué les matériaux de base. Cinq consultations régionales, avec les communautés scientifiques, les gens d’affaire, les décideurs politiques et la société civile et des contributions en ligne, ont nourri la réflexion. Le rapport a fait l’objet i) d’une revue par une centaine d’experts coordonnés par des organismes comme l’ISC, l’IAP ou le WFEO et ii) de commentaires provenant des pays membres des nations et de parties prenantes accréditées. Des représentants du système des Nations Unies et notamment de l’UNESCO, du PNUE, du PNUD et de la CNUCD ainsi que de la Banque Mondiale ont apporté leur appui au travail de préparation du rapport.

Fort de cet ensemble de contributions, « Le rapport se sert des dernières évaluations scientifiques, des bases factuelles sur les bonnes pratiques et des scénarios reliant les trajectoires futures aux actions en cours pour identifier les appels à l’action lancés par différentes parties prenantes et pouvant accélérer les progrès vers la réalisation des objectifs de développement durable ».

Vingt appels à l’action concluent ainsi le rapport. Avant d’en arriver à ces appels, le rapport illustre le pouvoir transformateur du Développement durable tout en relevant qu’il y a encore loin de la coupe aux lèvres. Pour réaliser les transformations souhaitées, à la vitesse et à l’ampleur nécessaires, il identifie 6 points d’entrée et 4 leviers d’action à déployer de façon cohérente suivant ces points d’entrée.

Le pouvoir transformateur du développement durable est illustré par les développements positifs observés dans les pays depuis l’adoption de l’Agenda 2030 pour le Développement durable en septembre 2015. Partout, les pays ont commencé à intégrer les ODD dans leurs politiques, stratégies, programmes et projets de développement et plusieurs ont pris des dispositions institutionnelles et mis en place des structures opérationnelles pour en assurer une mise en œuvre cohérente. Sur les 110 pays ayant fait leur Évaluation Nationale Volontaire, 35 ont explicitement indiqué avoir pris des mesures visant à lier leurs budgets nationaux aux ODD. Le secteur privé s’implique, plusieurs acteurs de ce secteur commençant à se démarquer du cours normal des affaires. La mobilisation de la société civile et des Organisations non gouvernementales va croissant.

Malgré ces avancées notables, « le monde n’est pas en voie d’atteindre la plupart des 169 cibles des ODD ». L’inquiétude vient surtout de ce que les évolutions récentes concernant plusieurs facteurs ayant des incidences transversales sur l’ensemble du Programme 2030 ne vont pas dans la bonne direction. Les inégalités croissantes, le changement climatique, la perte de la biodiversité et les quantités croissantes de déchets issus des activités humaines qui sont en train de dépasser les capacités de traitement, participent de ces facteurs. Si certaines de ces évolutions se maintiennent, « les systèmes biophysiques naturels et sociaux du monde pourraient se révéler incapables de soutenir les aspirations à un bien-être humain universel inscrit dans les objectifs de développement durable », selon des évaluations récentes.

Des raisons d’espérer sont nombreuses, indique le rapport. Les connaissances scientifiques permettent en effet de sortir des modèles actuels de développement liant le bien-être humain à une utilisation intensive des ressources, et au maintien des inégalités et des privations. De nombreux exemples existent dans le monde entier montrant que cette sortie est possible.

Le rapport propose, dans cette perspective, six (6) points d’entrée qui sont autant d’axe d’intervention « offrant les perspectives les plus prometteuses pour réaliser les transformations souhaitées à l’échelle et à la vitesse nécessaires ».

  • Renforcer le bien-être et les capacités humains
  • Passer à des économies justes et durables
  • Bâtir des systèmes alimentaires durables et des modes de nutrition sains
  • Réaliser la décarbonisation de l’énergie avec un accès universel à l’énergie
  • Promouvoir un développement urbain et périurbain durable
  • Sécuriser les biens communs environnementaux mondiaux.

Il identifie quatre (4) leviers d’action pouvant être déployés suivant ces 6 axes d’intervention.

  • Gouvernance
  • Économie et finance
  • Action individuelle et collective
  • Science et technologie

La figure ci-dessous montre les combinaisons constituant les voies de transformation intégrée à la base des 20 appels à l’action identifiés.

Voici les 20 appels à l’action traduits directement à partir du texte du GRSD et classés suivant les points d’entrée ou axes d’intervention identifiés.

En ce qui concerne le bien-être et les capacités humains :

  • Toutes les parties prenantes sont appelées à contribuer à l’élimination des privations et au renforcement de la résilience dans de multiples dimensions grâce à la fourniture universelle de services de base de qualité (santé, éducation, eau, assainissement, énergie, gestion des risques de catastrophe, technologies de l’information et de la communication, logement adéquat et protection sociale), … en ciblant tout particulièrement les personnes susceptibles d’être laissées de côté
  • Les gouvernements devraient garantir un accès égal aux opportunités, mettre fin à la discrimination juridique et sociale et investir dans le renforcement des capacités humaines, de sorte que tous les citoyens soient habilités et outillés pour changer de vie et amener un changement collectif.

Pour des économies justes et durables

  • Les gouvernements, les organisations internationales et le secteur privé devraient s’employer à encourager les investissements plus étroitement alignés sur les voies de la durabilité à long terme et à faciliter le désinvestissement au détriment des voies les moins durables.
  • Tous les acteurs devraient travailler ensemble pour parvenir à un découplage global de la croissance du PIB et de la surutilisation des ressources environnementales, avec des points de départ différents nécessitant des approches différenciées selon les pays, riches, à revenus moyens et pauvres.

Pour des systèmes alimentaires durables et des modes de nutrition sains

  • Toutes les parties prenantes devraient œuvrer pour apporter des modifications substantielles aux infrastructures, politiques, réglementations, normes et préférences existantes afin de passer à des systèmes alimentaires et nutritionnels qui favorisent une bonne santé pour tous et éliminent la malnutrition tout en réduisant au minimum l’impact sur l’environnement.
  • Les pays doivent assumer la responsabilité de l’ensemble de la chaîne de valeur liée à leur consommation alimentaire afin d’améliorer la qualité, de renforcer la résilience et de réduire l’impact environnemental, les pays développés soutenant une croissance agricole durable dans les pays en développement.

Pour la décarbonisation de l’énergie avec un accès universel à l’énergie

  • Toutes les parties prenantes doivent garantir un accès universel à des services énergétiques abordables, fiables et modernes grâce à la mise en œuvre accélérée d’une fourniture rentable d’électricité propre, associée à la priorité absolue accordée aux solutions de cuisson propre et à l’abandon de la biomasse traditionnelle pour la cuisine. Elles devraient promouvoir des sources d’énergie propres, fiables et modernes, notamment en exploitant le potentiel des solutions décentralisées utilisant l’énergie renouvelable.
  • Les entités et les acteurs nationaux et internationaux doivent collaborer pour restructurer le système énergétique mondial afin qu’il participe pleinement à la mise en œuvre de l’ODD 7 en passant à zéro émission nette de CO2 d’ici le milieu du siècle, de manière à atteindre les objectifs de l’Accord de Paris, notamment en introduisant la tarification du carbone et en éliminant progressivement les subventions aux combustibles fossiles.

Pour un développement urbain et périurbain durable

  • Les gouvernements nationaux devraient donner aux villes l’autonomie et les ressources nécessaires pour qu’elles construisent des processus de prise de décision participatifs efficaces, fondés sur des données probantes et inclusifs, avec des citoyens engagés et informés.
  • Les gouvernements nationaux et les autorités municipales, en étroite collaboration avec le secteur privé, devraient promouvoir des politiques et des investissements centrés sur les personnes et favorables aux pauvres, afin de créer une ville vivante offrant des emplois décents et durables, ainsi qu’un accès universel durable à des services vitaux, tels que l’eau, les transports, l’énergie et l’assainissement, avec une gestion efficace de tous les déchets et polluants. Les individus et les communautés devraient également renforcer leur engagement pour faire progresser le développement urbain durable.

Pour les biens communs environnementaux mondiaux

  • Les gouvernements, les communautés locales, le secteur privé et les acteurs internationaux doivent réaliser de toute urgence les transformations nécessaires pour conserver, restaurer et utiliser de manière durable les ressources naturelles tout en réalisant les objectifs de développement durable.
  • Les gouvernements doivent évaluer avec précision les externalités environnementales – en particulier celles qui affectent les biens communs environnementaux mondiaux – et modifier les modes d’utilisation à travers la tarification, les transferts, la réglementation et d’autres instruments.

Les autres appels à l’action concernent la Science et la technologie ainsi que la nature des transformations à faire.

Pour une science et une technologie dédiées au développement durable

  • Les parties prenantes doivent travailler avec le monde universitaire dans toutes les disciplines pour mobiliser, exploiter et diffuser les connaissances existantes afin d’accélérer la mise en œuvre des objectifs de développement durable.
  • Les gouvernements, les consortiums de recherche, les universités, les bibliothèques et les autres parties prenantes doivent s’employer à améliorer les niveaux actuels d’accès au savoir et aux données ventilées, ainsi qu’au renforcement des capacités scientifiques et à un enseignement supérieur de qualité, dans les pays à revenu faible et intermédiaire et les pays en situations spéciales de développement. Ils doivent également promouvoir activement l’égalité des sexes dans les sciences et l’ingénierie.
  • Les universités, les décideurs politiques et les bailleurs de fonds pour la recherche doivent intensifier leur soutien à la recherche axée sur la mission, guidée par le Programme 2030, dans le domaine de la science de la durabilité et d’autres disciplines, tout en renforçant l’interface entre politique et société.
  • Toutes les parties prenantes devraient faire des efforts délibérés pour faciliter les transferts multidirectionnels (Nord-Sud, Sud-Nord et Sud-Sud) de technologies en vue de la réalisation des objectifs de développement durable.

Pour une véritable transformation et non un changement progressif

  • Les organisations multilatérales, les gouvernements et les autorités publiques devraient adopter explicitement les objectifs de développement durable comme cadre directeur pour leurs procédures de programmation, de planification et de budgétisation. Pour accélérer la mise en œuvre de l’Agenda 2030, ils devraient accorder une attention particulière à l’affectation de ressources aux six points d’entrée, en appliquant les connaissances sur les liens existant entre les objectifs et les cibles. Les ressources ciblées comprennent les finances, l’aide publique au développement à des niveaux conformes aux engagements internationaux, et les technologies. L’ONU et les autres organisations internationales et régionales devraient faciliter l’échange d’informations et la diffusion des enseignements tirés de l’utilisation du cadre des objectifs de développement durable entre les pays.
  • Les quatre leviers du changement – gouvernance, économie et finances, action individuelle et collective, et science et technologie – devraient être déployés de manière cohérente et combinés pour provoquer un changement transformationnel. Tous les acteurs doivent s’efforcer de coordonner leurs efforts et donner la priorité à la cohérence des politiques et à la cohérence entre les secteurs.
  • Tous les pays et toutes les régions devraient concevoir et mettre en œuvre rapidement des stratégies intégrées de développement durable qui correspondent aux besoins et priorités spécifiques et contribuent également à la nécessaire transformation mondiale.

C’est en effet par l’effort de tous, un effort cordonné, qu’adviendront les transformations radicales recherchées pour juguler les risques de basculement dans l’inconnu appréhendés. Le Rapport mondial sur le Développement durable est, selon le mot de Liu Zhenmin, le sous-Secrétaire Général aux Affaires Économiques et sociales, « un rappel poignant des risques auxquels nous pourrons être confrontés si nous n’agissons pas rapidement et avec détermination ». Et il faut agir de concert. D’après le dramaturge norvégien Henrik Ibsen cité par Gro Harlem Brundtland dans le prologue au GSDR, « Une communauté, c’est comme un navire – tout le monde devrait être prêt à prendre la barre». Le temps est justement venu pour cela dit Mme Brundtland. « Notre navire mondial est actuellement en train de rouler et de tanguer à travers des eaux tumultueuses et dangereuses »

[1] Independent Group of Scientists appointed by the Secretary-General, Global Sustainable Development Report 2019: The Future is Now Science for Achieving Sustainable Development, (United Nations, New York, 2019), https://sustainabledevelopment.un.org/content/documents/24797GSDR_report_2019.pdf

[2] Global Shift Institute, Le Sommet ODD 2019, https://www.globalshift.ca/?p=1224

[3] Nations Unie Rio+20, L’avenir que nous voulons,2012, https://rio20.un.org/sites/rio20.un.org/files/a-conf.216-l-1_french.pdf.pdf

[4] Nations Unies, Transformer notre monde : l’Agenda 2030 pour le Développement Durable, 2015, https://unctad.org/meetings/fr/SessionalDocuments/ares70d1_fr.pdf

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