Le Rapport spécial du GIEC – Octobre 2018

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Le Rapport spécial du GIEC sur les conséquences d’un réchauffement planétaire de 1,5 °C

Le 8 octobre 2018, le Groupe Intergouvernemental d’Experts sur l’Évolution du Climat (GIEC – IPCC) a publié son Rapport spécial sur les conséquences d’un réchauffement planétaire de 1,5 °C, un pavé de 400 pages avec 6 000 références bibliographiques. Plus de  90 scientifiques[1], de 40 nationalités distinctes, ont collaboré à la préparation de ce rapport, tous spécialistes de haut vol de la science du climat et des disciplines connexes centrés notamment sur i) les aspects scientifiques du système climatique (Groupe de travail I), sur ii) les impacts, la vulnérabilité et l’adaptation (Groupe de travail II), et sur iii) les options d’atténuation des émissions (Groupe de travail III). A ces scientifiques, il faut ajouter 133 auteurs collaborateurs. Plus de 42 000 observations ont été reçues et prises en compte aux différentes étapes de production du rapport

Avant toute chose, rendons à ce rapport son titre complet par respect de toute la rigueur scientifique qui a présidé à sa préparation et de toutes ces éminences grises qui l’ont produit. Le voici :« Réchauffement planétaire de 1,5°C, Rapport spécial du GIEC sur les conséquences d’un réchauffement planétaire de 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels et les profils connexes d’évolution des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES), dans le contexte du renforcement de la parade mondiale au changement climatique, du développement durable et de la lutte contre la pauvreté ».

Rappelons-nous les clameurs médiatiques qui ont salué, ce 15 décembre 2015, l’adoption, par les 195 pays membres de l’ONU, de l’Accord de Paris, adoption survenue au terme de la 21e Conférence des Parties (COP21) à la Convention Cadre des Nations Unies sur le Changement climatique. L’une des principales dispositions de cet Accord prévoit de contenir, d’ici à 2100, le réchauffement climatique « bien en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels » et de « poursuivre les efforts pour limiter la hausse des températures à 1,5 °C ». Ce dernier bout de phrase avait été ajoutée sous la pression de l’AOSIS (Alliance Of Small Island States), le lobby vertueux des Petits États Insulaires, de loin les plus exposés à l’une des conséquences les plus redoutables du réchauffement climatique, à savoir l’élévation du niveau des océans. Entre 1,5°C et 2°C, quelles différences en termes d’impacts et de parade? C’est pour répondre à cette question que la COP21 a commandé ce rapport.

Les termes de référence de cette commande sont contenus dans le titre complet du rapport. Il s’agit principalement d’évaluer les conséquences d’un réchauffement de 1,5°C et surtout de proposer des profils d’évolution des émissions mondiales et des parades à cette échelle qui permettraient de ne pas dépasser ce seuil tout en s’inscrivant dans la perspective de l’Agenda 2030 pour le développement durable, celle, notamment, de lutte contre la pauvreté et de préservation de la planète.

Le résumé pour les décideurs[1] dont sont tirés les éléments d’information donnés ci-après présente les résultats du GIEC dans 4 principaux chapitres ; i) Comprendre le réchauffement planétaire de 1,5 ° C? ii) Changements climatiques projetés, impacts potentiels et risques associés, iii) Profils d’émission et transitions du système compatibles avec un réchauffement mondial de 1,5°C, iv) Renforcer la riposte mondiale dans le contexte du développement durable et des efforts pour éliminer la pauvreté[2].

Voici, parmi les principaux messages du rapport, quelques-uns de ceux qui devraient empêcher les décideurs de dormir sur les deux oreilles.

Les activités humaines ont déjà provoqué un réchauffement de la planète d’environ 1,0°C au-dessus des niveaux qu’il avait avant la révolution industrielle. Et les conséquences de ce réchauffement « sont bien réelles, comme l’attestent l’augmentation des extrêmes météorologiques, l’élévation du niveau de la mer et la diminution de la banquise arctique», selon le coprésident du Groupe de travail I du GIEC,  Panmao Zhai[3]. Le réchauffement pourrait atteindre 1,5 ° C entre 2030 et 2052 s’il continue à augmenter au rythme actuel.

Le rapport souligne par ailleurs que les risques liés au climat pour les systèmes naturels et humains sont plus élevés pour un réchauffement planétaire de 1,5 ° C qu’aujourd’hui, mais inférieurs à ce qu’ils seraient pour un réchauffement de 2 ° C. Le niveau de confiance pour cette affirmation est élevé, selon le GIEC. Ces risques varieraient selon l’ampleur et le rythme du réchauffement, la localisation géographique, les niveaux de développement et la vulnérabilité des populations, ainsi que les choix et la mise en œuvre des options d’adaptation et d’atténuation.

En ce qui concerne les changements climatiques projetés, les impacts potentiels et les risques associés

  • les modèles climatiques prévoient de fortes différences dans les caractéristiques climatiques régionales entre le réchauffement actuel et le réchauffement planétaire de 1,5 ° C et entre 1,5 ° C et 2 ° C. Ces différences comprennent des augmentations de température moyenne dans la plupart des régions continentales et océaniques (confiance élevée), des canicules dans la plupart des régions habitées (confiance élevée), de fortes précipitations dans plusieurs régions (confiance moyenne) et des probabilités de sécheresse et de déficit hydrique dans certaines régions (confiance moyenne).

  • L’élévation du niveau de la mer va se poursuivre, l’ampleur et la vitesse dépendant des futurs profils d’émission de GES. En 2100, les projections donnent ainsi un écart d’élévation de 0,1 mètre entre un réchauffement global de 1,5°C et de 2,0°C. Le GIEC souligne qu’« une augmentation plus lente du niveau de la mer offre de meilleures possibilités d’adaptation aux systèmes humains et écologiques des petites îles, des zones côtières basses et des deltas (degré de confiance moyen)».
  • Dans la plupart des cas de figure concernant :
    • la biodiversité et les écosystèmes terrestres ainsi que les services qu’ils rendent (d’approvisionnement, de régulation, socioculturels et de soutien) et,
    • la santé humaine, la sécurité alimentaire, l’accès à l’eau, la sécurité, la croissance économique,

 

les risques reliés au climat vont s’accroître avec un réchauffement à 1,5°C. Ces risques seront encore plus importants avec un réchauffement de 2°C.

En ce qui concerne les profils d’émission et les transitions compatibles avec un réchauffement mondial de 1,5°C,

  • Dans tous les cas, il faudra s’adapter à ces évolutions du climat. Mais, selon le GIEC, « la plupart des besoins d’adaptation seront moins importants pour un réchauffement de la planète de 1,5 ° C que pour un réchauffement de 2 ° C (niveau de confiance élevé).

La solution passe par une baisse des émissions de CO2 dues à l’homme de 45 % en 2030 par rapport aux niveaux de 2010, pour atteindre zéro en 2050 en termes d’émissions nettes (les sources sont en équilibre avec les puits). « Du point de vue des lois de la physique et de la chimie, la limitation du réchauffement planétaire à 1,5 ºC est possible, mais il faudrait, pour la réaliser, des changements sans précédent» selon Jim Skea, coprésident du Groupe de travail III du GIEC.

  • En effet, de tels niveaux de baisse des émissions dans les délais impartis requerront des transitions rapides et de grande envergure dans nos systèmes de consommation et de production d’énergie, dans l’utilisation des sols, les changements d’utilisation et la gestion des forêts, dans l’aménagement de nos villes et de nos territoires, dans la conception et la mise en œuvre de nos différentes infrastructures (transport, bâtiments…) et dans nos installations industrielles. Il s’agit, nous dit le GIEC « d’une transition sans précédent en termes d’échelle, mais pas nécessairement en termes de vitesse, impliquant de profondes réductions d’émissions dans tous les secteurs d’activité, un portefeuille étendu d’options d’atténuation et une augmentation significative des investissements dans ces options»

Mais ce renforcement de la réponse mondiale au changement climatique doit se faire dans une perspective de développement durable avec des efforts conséquents pour l’éradication de la pauvreté. Il importe de noter, dans ce contexte, que :

  • Les impacts évités du changement climatique sur le développement durable, sur l’éradication de la pauvreté et sur la réduction des inégalités seraient plus importants si le réchauffement de la planète était limité à 1,5 ° C au lieu de 2 ° C,
  • Si elles sont soigneusement sélectionnées et assorties de conditions propices, les options d’adaptation spécifiques aux contextes nationaux auront des avantages certains pour le développement durable et la réduction de la pauvreté avec un réchauffement planétaire de 1,5 ° C,
  • Le développement durable soutient et rend souvent possible, les transitions et les transformations sociétales et de systèmes pouvant contribuer à limiter le réchauffement climatique à 1,5 ° C.

 

Comme l’indique Priyardarshi Shukla, coprésident du Groupe de travail III, «la limitation du réchauffement planétaire à 1,5 °C et non à 2 °C minimiserait les effets, lourds de conséquence, sur les écosystèmes, la santé et le bien-être des populations, et il serait ainsi plus facile d’atteindre les objectifs de développement durable définis par les Nations Unies ».

Le dernier rapport du GIEC contient ainsi des messages forts dont un aperçu est donné ici, et des informations de première main dont les décideurs et les professionnels ont besoin pour prendre des décisions éclairées et poser dès aujourd’hui des gestes concrets pour répondre aux défis du climat dans une perspective de développement durable et de réduction de la pauvreté. Comme l’indique Debra Roberts, coprésidente du Groupe de travail II « Les décisions que nous prenons aujourd’hui sont indispensables si l’on souhaite assurer à chacun d’entre nous un monde sûr et durable, aujourd’hui comme demain ».

Le Rapport 1,5° C du GIEC n’est pas qu’un AUTRE rapport du GIEC. Ici, les scientifiques se commettent. Ils parlent clairement de notre responsabilité dans la catastrophe annoncée.  Rappelons-nous la principale conclusion du 2e rapport du GIEC[1], celui de 1995. Ils osaient à peine dire qu’un « faisceau d’éléments suggère qu’il y a une influence perceptible de l’homme sur le climat global ». Voilà qu’ils affirment dans le Rapport 1,5 °C que « les activités humaines ont déjà provoqué un réchauffement de la planète d’environ 1,0°C » et que les conséquences de ce réchauffement « sont bien réelles, comme l’attestent l’augmentation des extrêmes météorologiques… »

Peut-on aller plus loin dans l’avertissement en ce qui concerne les risques pesant sur le futur immédiat ? Quels cris pousser désormais, quels ressorts actionner pour que le monde comprenne qu’il est urgent d’agir ?

Comme le crient avec force plusieurs blogs et même un chef d’État, « on ne pourra pas dire qu’on ne savait pas »!

[1] IPCC, http://www.ipcc.ch/report/authors/report.authors.php?q=32&p=

[2] IPCC, Global warming of 1.5°C, 8 octobre 2018, http://report.ipcc.ch/sr15/pdf/sr15_spm_final.pdf

[3] J’ai aussi consulté les SR1,5°CFAQs, http://report.ipcc.ch/sr15/pdf/sr15_faq.pdf

[4] GIEC, Communiqué de presse, 2018/24/PR, https://www.ipcc.ch/pdf/session48/pr_181008_P48_spm_fr.pdf

[5] GIEC, Seconde Évaluation : Changement climatique 1995, https://ipcc.ch/pdf/climate-changes-1995/ipcc-2nd-assessment/2nd-assessment-fr.pdf

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