Pour une écologie intégrale?

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Bulletin de février 2022

Pour une écologie intégrale?

Sibi Bonfils

C’est à la 70e session de l’Assemblée Générale des Nations Unies qu’a été adoptée la Résolution A/RES/70/1[1] qui mit en place l’Agenda 2030, le Programme de développement durable à l’horizon 2030 assorti de 17 objectifs consensuels, les ODD. Parmi les nombreuses et remarquables contributions dont ce programme est la résultante, on note celle du Pape François, invité avec d’autres personnalités, à prendre la parole à l’ouverture de la 70e Session, ce 25 septembre 2015.

Le discours inaugural du souverain pontife[2] dont les Nations Unies conservent encore les traces sur son site[3], puise sa substance et son énergie dans sa Lettre Encyclique Laudato Si’[4] publiée quelques mois plus tôt. Il est, dans cette perspective, en parfaite résonance avec l’appel des Nations Unies à « l’action pour changer le monde » et protéger « la planète Terre et ses écosystèmes, notre patrie commune » contenu dans la Résolution susvisée.

Laudato si’, dont le titre complet est Lettre Encyclique sur la Sauvegarde de la Maison Commune est aussi un appel. Thierry Vuylsteke parle d’un appel moral et spirituel à la conscience personnelle et collective en vue d’« un changement presque radical dans le comportement de l’humanité » (LS #4). Ce changement profond, presque radical selon les mots de François, passe par ce qu’il appelle la conversion écologique, laquelle implique un changement de nos imaginaires, de nos comportements et de nos rapports à la nature et aux autres[5], dans l’esprit de ce qu’il définit comme l’écologie intégrale.

Ce numéro du bulletin est centré sur l’écologie intégrale, un des outils que préconise Laudato Si’ pour réussir les changements souhaités. Après un bref rappel sur le concept d’écologie, il s’appuie sur les chapitres 4, 5 et 6 de l’Encyclique pour i) définir l’écologie intégrale et en préciser le contenu, ii) présenter les lignes d’orientation et d’action proposées par François pour la construire et iii) et donner un aperçu des directions dans lesquelles doivent s’opérer les changements et donc ladite conversion écologique.

De l’écologie…

Forgé au milieu du 19e siècle à partir de deux mots grecs, oïkos (maison) et logos (Discours, étude, science), le terme écologie désigne littéralement la science qui étudie la maison, l’habitat[6]. Sa définition et son contenu ont considérablement évolué depuis.

Aujourd’hui, l’écologie se définit comme « l’étude des relations entre les organismes vivants, y compris les humains, et leur environnement physique. Elle cherche à comprendre les liens vitaux entre les plantes et les animaux et le monde qui les entoure. Elle fournit également des informations sur les avantages des écosystèmes et sur la manière dont nous pouvons utiliser les ressources de la Terre de manière à laisser l’environnement sain pour les générations futures[7] ».

Cette définition, empruntée à l’ESA, la Société américaine d’écologie, donne un contenu plus précis à l’objet de l’écologie ainsi qu’à son objectif. Elle ouvre surtout une perspective intéressante sur notre responsabilité à l’égard de notre maison commune et de ceux à qui nous la lèguerons.

Certains auteurs vont plus loin dans cette mise en perspective de notre responsabilité en étoffant le concept d’environnement auquel ils intègrent des enjeux moraux, sociétaux et économiques. C’est dans cette vision que s’inscrivent les sciences sociales qui étendent l’objet de l’écologie aux relations réciproques entre l’homme et son environnement moral, social et économique, cet objet devenant « l’étude du processus complexe qui met en jeu les systèmes technologiques et l’organisation sociale[8] ».

Les divers mouvements de pensée se réclamant de l’écologie politique s’inscrivent aussi et pleinement dans cette perspective avec à la clef la volonté d’agir pour « intégrer les enjeux environnementaux à l’organisation sociale, économique et politique et, à terme, mettre en place un nouveau modèle de développement basé sur une transformation radicale du rapport activité humaine/environnement8».

… à l’écologie intégrale…

L’écologie intégrale, ainsi que définie par le Pape François dans sa Lettre Encyclique Laudato Si’, participe pleinement de ces dynamiques transformatrices. Elle tient pour « inséparables la préoccupation pour la nature, la justice envers les pauvres, l’engagement pour la société et la paix intérieure[9] ». Elle « requiert, indique François, une ouverture à des catégories qui transcendent le langage des mathématiques ou de la biologie, et nous orientent vers l’essence de l’humain ».

Dans la 4ème partie de l’Encyclique entièrement consacrée à l’écologie intégrale, ses différentes composantes sont détaillées. L’interdépendance intrinsèque de ces composantes est soulignée avec l’expression Tout est lié utilisée plusieurs fois dans le texte.

Les composantes environnementales, économiques et sociales de l’écologie reconnues de tous y ont été revisitées en rappelant le fait que « nous sommes enchevêtrés avec la nature », en insistant sur la valeur intrinsèque du vivant indépendante de sa valeur d’usage ou économique, et en introduisant la foi au cœur des raisons qui motivent la préservation du vivant, ces organismes bons et admirables, parce que créatures de Dieu, et de leurs écosystèmes, ces ensembles harmonieux qu’ils constituent dans des espaces déterminés.

Les autres composantes de l’écologie intégrale considérées concernent la culture, la vie quotidienne, le bien commun et la justice entre les générations. Voici un aperçu de ce qui en est dit dans la partie IV de l’Encyclique.

L’écologie culturelle tient du patrimoine historique, artistique et culturel, lequel « fait partie de l’identité commune d’un lieu et est une base pour construire une ville habitable ». Il est autant menacé par la crise actuelle que le patrimoine naturel. Voilà pourquoi, « l’écologie suppose aussi la préservation des richesses culturelles de l’humanité au sens le plus large du terme ». C’est, en effet, « à l’intérieur du monde des symboles et des habitudes propres à chaque groupe humain » que se conçoivent des notions spécifiques comme celles de bien-être ou de qualité de vie et que peuvent se repenser la relation entre l’être humain et l’environnement. On conçoit dès lors que la disparition d’une culture peut être aussi grave ou plus grave que la disparition d’une espèce animale ou végétale et autant nuisible que l’altération des écosystèmes.

L’espace où vivent les gens et où se déroule la vie quotidienne influe sur leur manière de voir la vie, de sentir et d’agir. L’espace ou l’environnement ingrat des quartiers pauvres des grandes métropoles peut faciliter l’apparition de comportements inhumains, indique François. C’est tout un défi que d’essayer d’y construire une identité intégrée et heureuse quand il est désordonné, chaotique ou chargé de pollution visuelle et auditive. Pour en compenser les limites et y créer le cadre d’une vie digne il faudrait une vie sociale positive et bénéfique, des relations humaines d’un voisinage convivial, des communautés agissantes construisant par amour des liens d’appartenance et de cohabitation. « Je veux insister sur le fait que l’amour est plus fort », souligne François. Au cœur de ce qu’il appelle l’écologie humaine, il évoque aussi i) l’accès au logement très étroitement lié à la dignité des personnes et au développement des familles, ii) l’accès au transport, un transport public de qualité pour résorber le « traitement indigne infligé aux personnes à cause de l’entassement, des désagréments ou de la faible fréquence des services et de l’insécurité ». En homme de foi, François conclut le volet sur la vie quotidienne en insistant sur le lien profond de « la relation de la vie de l’être humain avec la loi morale inscrite dans sa propre nature », une nature qu’il se doit aussi de respecter et de ne pas manipuler, parce que don de Dieu.

L’air que nous respirons, le climat mais aussi la paix, le système financier mondial ou la santé font partie des biens communs. C’est cependant sur les aspects sociaux de ces biens que François centre sa définition du bien commun : « l’ensemble des conditions sociales qui permettent, tant aux groupes qu’à chacun de leurs membres, d’atteindre leur perfection d’une façon plus totale et plus aisée ». Ainsi, pour lui, le bien commun présuppose le respect de la personne humaine, exige le bien-être social et la paix sociale. Il constitue, indique-t-il, « un appel à la solidarité et une option préférentielle pour les plus pauvres ». Cette option détermine le choix pour la destination des biens de la terre et elle exige, pour le croyant qu’il est, « de considérer avant tout l’immense dignité du pauvre à la lumière des convictions de foi les plus profondes ».

Le choix pour la destination des biens de la terre doit également tenir compte des générations futures avec lesquelles nous partageons le même destin, rappelle-t-il. Ainsi, dans la perspective de l’écologie intégrale, « l’environnement se situe dans la logique de la réception. C’est un prêt que chaque génération reçoit et doit transmettre à la génération suivante ». L’état habitable ou non dans lequel la planète est transmise interpelle notre propre dignité, « surtout si nous pensons à la responsabilité que ceux qui devront supporter les pires conséquences nous attribueront ». Par ailleurs, la nature profonde de ce que nous voulons transmettre est déterminante quant à notre engagement pour la préservation de ce patrimoine commun. Pour François, c’est sur l’orientation générale du monde que nous laissons, son sens et ses valeurs qu’il convient de s’interroger. Ainsi, les questions de fond qu’on doit se poser sont les suivantes pour lui: « pour quoi passons-nous en ce monde, pour quoi venons-nous à cette vie, pour quoi travaillons-nous et luttons-nous, pour quoi cette terre a-t-elle besoin de nous? ».

… à quelques lignes d’orientation et d’action…

Dans la cinquième et avant-dernière partie de l’Encyclique, François propose quelques « grandes lignes de dialogue à même de nous aider à sortir de la spirale d’autodestruction dans laquelle nous nous enfonçons ». Les propositions de dialogue concernent i) l’environnement dans la politique internationale, ii) les nouvelles politiques nationales et locales, iii) la transparence dans la prise de décision, iv) la politique et l’économie dans la perspective de la plénitude humaine, v) les religions et les sciences.

Sur cette cinquième proposition, intitulée plus précisément les religions dans le dialogue avec les sciences, Francois soutient que « la science et la religion, qui proposent des approches différentes de la réalité, peuvent entrer dans un dialogue intense et fécond pour toutes deux ». Dans les frontières méthodologiques limitées des sciences empiriques, avance-t-il, « la sensibilité esthétique, la poésie, et même la capacité de la raison à percevoir le sens et la finalité des choses disparaissent ». De leur côté « les textes religieux classiques peuvent offrir une signification pour toutes les époques, et ont une force de motivation qui ouvre toujours de nouveaux horizons ». Ignorer la force de motivation de ces textes, sous prétexte qu’ils proviennent d’un contexte de croyance religieuse, poursuit-il, c’est quelque part vouloir se passer de l’imaginaire de la majorité des habitants de la planète qui se déclare croyante et de sa pleine contribution à la sauvegarde de la nature, la défense des pauvres, la construction de réseaux de respect et de fraternité. Les brillantes solutions techniques mises au point par les sciences ne peuvent, en effet, résoudre les graves problèmes du monde, souligne François, « si l’humanité perd le cap, si l’on oublie les grandes motivations qui rendent possibles la cohabitation, le sacrifice ou la bonté ». Les croyants sont mis au défi, dans ce contexte, d’être cohérents avec leur propre foi et de ne pas la contredire par leurs actions, par exemple, en acceptant ou en justifiant « le mauvais traitement de la nature, la domination despotique de l’être humain sur la création, ou les guerres, l’injustice et la violence ».

Dans tous les cas, souligne François,« si nous cherchons vraiment à construire une écologie qui nous permette de restaurer tout ce que nous avons détruit, alors aucune branche des sciences et aucune forme de sagesse ne peut être laissée de côté, la sagesse religieuse non plus, avec son langage propre ». Un dialogue ouvert et constructif entre les religions d’une part, et d’autre part entre les religions et les sciences, apparaît ainsi pour lui, le plus sûr gage pour tirer le meilleur avantage de toutes ces sagesses au profit de la maison commune.

… et à la conversion et à la spiritualité écologiques…

Dans la sixième et dernière partie de Laudato Si’, intitulé Éducation et Spiritualité écologiques, François propose au monde et notamment aux chrétiens, ce qu’il appelle une conversion écologique, laquelle est nécessaire, indique-t-il, pour créer une dynamique de changement durable. L’humanité a besoin de changer, soutient-il, et de s’ouvrir pleinement à « la conscience d’une origine commune, d’une appartenance mutuelle et d’un avenir partagé par tous ». C’est cette conscience fondamentale, souligne-t-il, qui « permettrait le développement de nouvelles convictions, attitudes et formes de vie ». L’éducation et la spiritualité écologiques constituent pour lui, la clé de voûte pour relever un tel défi qui est tout à la fois culturel, spirituel et éducatif. Voici un bref aperçu des axes majeurs des changements nécessaires, selon François :

  1. Miser sur un autre style de vie, notamment en sortant du paradigme consumériste,
  2. Développer par l’éducation, l’alliance entre l’humanité et l’environnement, une éducation qui met en débat les mythes de la modernité (individualisme, progrès indéfini, concurrence, consumérisme, marché sans règles) et développe le sens de « l’équilibre écologique (au niveau interne avec soi-même, au niveau solidaire avec les autres, au niveau naturel avec tous les êtres vivants, au niveau spirituel avec Dieu) »;
  • Développer la spiritualité écologique dans une perspective visant la conversion écologique. Il s’agit ici de la mystique qui nous anime et « des mobiles intérieurs qui poussent, motivent, encouragent et donnent sens à l’action personnelle et communautaire », sans lesquels nul ne peut s’engager dans de grandes choses. Pour les chrétiens, François pointe les convictions de leur foi et l’enseignement de l’évangile comme source de cette spiritualité;
  1. Cultiver la joie et la paix intérieure, par la sobriété et le retour à la simplicité en référence à la conviction que « moins est plus» présente, selon François, dans l’enseignement de diverses traditions religieuses. « Ceux qui jouissent plus et vivent mieux chaque moment, sont ceux qui cessent de picorer ici et là en cherchant toujours ce qu’ils n’ont pas », ajoute-t-il;
  2. Revaloriser l’amour civil et politique, l’amour dans la vie sociale (au niveau politique, économique et culturel), en faire la norme constante et suprême de l’action, pour rendre la société plus humaine, plus digne de la personne. François parle de fraternité universelle à la manière du Saint-Patron des Écologistes, Saint-François d’Assisse.

Les quatre derniers axes, Signes sacramentaux et repos pour célébrer, La Trinité et la Relation entre les créatures, La Reine de toute la création et Au-delà du soleil, s’adressent plus spécifiquement aux chrétiens. Ils rappellent les convictions profondes de leur foi sur lesquelles peut et devrait se fonder la spiritualité écologique, comme François s’y est engagé dans les premières lignes de son Encyclique, « Je veux montrer dès le départ comment les convictions de la foi offrent aux chrétiens, et aussi à d’autres croyants, de grandes motivations pour la protection de la nature et des frères et sœurs les plus fragiles » LS#64. Il ajoute, plus spécifiquement pour les chrétiens, dans les premiers mots du chapitre sur la conversion écologique, « Je veux proposer aux chrétiens quelques lignes d’une spiritualité écologique qui trouvent leur origine dans des convictions de notre foi, car ce que nous enseigne l’Évangile a des conséquences sur notre façon de penser, de sentir et de vivre »LS#216.

… ainsi qu’un appel pressant au dialogue

Cette adresse appuyée aux chrétiens et une référence soutenue aux fondements de leur foi comme moteurs de leur nécessaire engagement dans la protection de la maison commune, ne doit pas faire perdre de vue l’appel pressant au dialogue qui me parait être le principal objectif de l’Encyclique. François ne s’en cache pas du reste, en l’indiquant dès le 4eme paragraphe de sa Lettre. « Dans la présente Encyclique, je me propose spécialement d’entrer en dialogue avec tous au sujet de notre maison commune ». Il s’agit, précise-t-il plus loin dans le texte, « d’un nouveau dialogue sur la façon dont nous construisons l’avenir de la planèteun dialogue à même de nous aider à sortir de la spirale d’autodestruction dans laquelle nous nous enfonçons ». Le dialogue proposé doit être pour François, multidisciplinaire, entre les sciences; multiculturel, entre les peuples; multi-cultuel, entre les religions; et transversal, entre les sciences et les religions.

Car, nous indique-t-il, « Si nous prenons en compte la complexité de la crise écologique et ses multiples causes, nous devrons reconnaître que les solutions ne peuvent pas venir d’une manière unique d’interpréter et de transformer la réalité. Il est nécessaire d’avoir aussi recours aux diverses richesses culturelles des peuples, à l’art et à la poésie, à la vie intérieure et à la spiritualité. » LS #63

[1] ONU, Transformer notre monde : le Programme de développement durable à l’horizon 2030, septembre 2015, https://www.un.org/ga/search/view_doc.asp?symbol=A/RES/70/1&Lang=F

[2] Pape François, Discours à l‘ONU, 25 septembre 2015, https://eglise.catholique.fr/actualites/405357-discours-du-pape-francois-a-lonu/

[3] ONU, Au siège de l’ONU, le Pape François appelle à protéger l’environnement et lutter contre l’exclusion, 25 septembre 2015, https://www.un.org/sustainabledevelopment/fr/2015/09/25/au-siege-de-lonu-le-pape-francois-appelle-a-proteger-lenvironnement-et-lutter-contre-lexclusion/

[4] Pape François, Lettre Encyclique Laudato Si’ sur la protection de la maison commune, mai2015, https://www.vatican.va/content/francesco/fr/encyclicals/documents/papa-francesco_20150524_enciclica-laudato-si.html

[5] Thierry Vuylsteke, Laudato Si’ et l’Agenda 2030 des Nations Unies, juillet 2019, https://www.centreavec.be/publication/laudato-si-et-lagenda-2030-des-nations-unies/

[6]  Youmatter, Écologie : définition – Qu’est-ce que l’écologie, https://youmatter.world/fr/definition/ecologie-definition/, Dictionnaire du monde en transition (https://youmatter.world/fr/dictionnaire/)

[7] Ecological Society of America, what is Ecology, https://www.esa.org/about/what-does-ecology-have-to-do-with-me/

[8] CNRTL, Écologie, https://www.cnrtl.fr/lexicographie/écologie

[9] Pape François, Lettre Encyclique Laudato Si’ sur la sauvegarde de la Maison commune, juin 2015

NB : Dans la suite de l’exposé, tous les textes en italique sont tirés de Laudato Si’