Les Petits Réacteurs Modulaires

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Les Petits Réacteurs Modulaires

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Bulletin GSI, septembre 2022

Sibi Bonfils, GSI

  1. Introduction

Les petits réacteurs modulaires (PRM), mieux connus sous leur sigle anglophone SMR (small modular reactors) suscitent chez les énergéticiens, les politiques et surtout les agences et sociétés d’énergie nucléaire, un intérêt soutenu et croissant. Plus de 4 000 000 de résultats Google dont plus de 45 000 vidéos et webinaires dépassant des durées de plus de 3h pour certains. Mais les idées de projet et les projets de prototypes qui se multiplient ici et là dans les pays industrialisés et dans certains pays en développement comme l’argentine, de même que les soutiens à coup de millions de dollars que ces projets reçoivent des gouvernements et de certaines grosses fortunes, sont bien plus bavards. Ils constituent, de fait, l’un des meilleurs reflets de l’engouement pour les PRM. Les articles de fond et les ouvrages de référence sur ces réacteurs publiés au cours des 3 dernières années par les grandes agences de l’énergie comme l’AIE[1], l’AIEA[2], le NEA[3] ou des organismes nationaux (France, Brande Bretagne, Canada, USA, Chine ou Russie) impliqués dans le développement de l’énergie atomique, soulignent, pour leur part, que cet engouement est partagé par les grands décideurs du secteur, lesquels s’activent déjà autour de modèles commerciaux de PRM à différents stades d’avancement. Ces modèles seraient au nombre de 70[4] dans le monde, selon l’AIEA qui souligne une croissance de 40% depuis 2018.

Les ressorts de cet engouement pour les PRM sont de plusieurs sortes.

Pour l’Agence Internationale de l’énergie (AIE) qui attribue au nucléaire un rôle déterminant dans la réalisation de l’objectif mondial de zéro émissions nettes d’ici 2050, les PRM ou « les réacteurs avancés de plus petite taille, plus abordables, plus faciles à construire et à exploiter, et donc plus faciles à gérer et à financer, sont une alternative ou un complément aux réacteurs à grande échelle »

Pour l’industrie nucléaire et les agences affiliées, les PRM offrent avec de telles caractéristiques, l’occasion de remettre le nucléaire en selle, notamment dans les économies dites avancées où il connaît actuellement de sérieux revers en termes d’acceptabilité sociale, de coûts d’investissement ou de délais de réalisation.

De façon générale, la transition vers des systèmes énergétiques sans combustibles fossiles libère des niches ou en crée de nouvelles que pourraient et viendraient occuper les PRM : les sites des centrales au charbon, au fuel ou au gaz naturel qui devraient être demantelées, la production d’énergie pour les secteurs difficiles à décarboner (chaleur industrielle ou chauffage urbain), la désalinisation de l’eau de mer, la production de l’hydrogène vert, le couplage avec les sources renouvelables d’électricité pour suppléer à leur intermittence et accroitre la manœuvrabilité des réseaux, l’alimentation en chaleur et en électricité de sites isolés (mines ou communautés isolées en arctique).

Les réseaux en développement de faible puissance, en Afrique notamment, constituent aussi de nouvelles niches à occuper et autant de nouveaux marchés à conquérir avec les PRM et une de leur sous-catégorie, les microréacteurs modulaires (MRM), pouvant convenir pour… l’électrification rurale(!). Ils permettent en effet de lever la contrainte de taille de réseau frappant les grands réacteurs. Transportables par camion, train, bateau ou avion, les PRM ouvrent aussi des perspectives intéressantes pour les sites de catastrophes naturelles.

Ce numéro du bulletin tire avantage de l’abondante information disponible sur les PRM pour en donner un premier aperçu, avec l’ambition d’attirer l’attention sur une technologie dont on dit qu’elle est appelée à changer la donne énergétique des prochaines décennies. Après un bref rappel sur ce que sont les PRM, il traite de leurs principaux moteurs économiques et de leur sûreté, lesquels les distingue des grands réacteurs actuels. Un aperçu sur leur marché et sur les projets en cours de réalisation ou de développement permet de montrer que l’engouement pour ces équipements a largement dépassé le cap des idées. Le bulletin conclut sur quelques questions de première importance auxquelles des réponses probantes doivent encore être apportées.

  1. Que sont les petits réacteurs nucléaires?

Les petits réacteurs modulaires (PRM – SMR) sont définis comme des réacteurs nucléaires dont les puissances sont comprises entre 10 et 300 mégawatts électriques (MWe)[5]. Une sous-catégorie de PMR, dans des gammes de puissance inférieures à 10MWe, se développe aussi sous l’appellation MRM (Micro Réacteur Modulaire) pour un fonctionnement semi-autonome sur des sites spécifiques.

Des réacteurs de ces gammes de puissance, les mini réacteurs, ont toujours été dans le décor depuis le début de l’industrie nucléaire. On les trouvait dans les installations de recherche ou les salles de machine des sous-marins ou des navires de guerre où ils continuent toujours de servir. Leurs coûts de production n’ont cependant pas permis leur diffusion à grande échelle. Ce qu’on peut se permettre dans les laboratoires et dans l’armée, on le peut difficilement dans l’industrie. La course aux réacteurs de grande puissance, en quête d’économie d’échelle, a fait le reste.

L’intérêt que suscitent les mini réacteurs aujourd’hui, sous leur appellation Petits Réacteurs Nucléaires (PRM), tient de ce que leur conception tire délibérément avantage de leur petite taille pour apporter des bénéfices nets en termes de sûreté et d’avantages économiques. Sont ainsi mises à contribution, plusieurs idées novatrices permettant aux PRM de rejoindre les réacteurs de grande puissance sur le terrain des coûts unitaires et peut-être de les dépasser en termes de sûreté. Les approches et techniques envisagées permettraient en effet d’améliorer i) la prévisibilité de la construction, conduisant ainsi à des réductions substantielles des coûts de construction et des délais de livraison, et ii) la sûreté et la sécurité de par la faiblesse des puissances en jeu et la mise à contribution de systèmes de protection tirées d’un vécu émaillé d’incidents dont la gravité alimente toujours les débats sur l’acceptabilité sociale du nucléaire.

La figure ci-dessous résume ces caractéristiques

  1. Facteurs clés permettant de compenser les déséconomies d’échelle pour les PRM

La course aux économies d’échelle a été le facteur déterminant dans l’abandon des mini réacteurs. On parle d’économie d’échelle lorsqu’une augmentation des volumes produits conduit à une baisse du coût de production unitaire, une façon subtile de répartir et résorber les coûts fixes. Les économies d’échelle sont à l’œuvre dans l’escalade observée au niveau des puissances unitaires des centrales nucléaires. Les nouvelles générations de réacteurs dépassent le millier de mégawatts. Les réacteurs 1 et 2 de la centrale de Flamanville en France développent des puissances unitaires de 1 300 MWe. Flamanville 3, en cours de construction depuis un certain temps, mettra sur le réseau 1 665 MWe d’un seul tenant.

Les PRM pourraient changer la donne avec des innovations permettant de contrebalancer les déséconomies d’échelle liées à leur taille (puissances unitaires inférieures à 300 MWe). Ces innovations tirent avantage des économies liées à la production en série, lesquelles s’appuient, selon le rapport NEA-OCDE déjà cité, sur les quatre inducteurs de coûts que sont i) la simplification de la conception, ii) la standardisation et la modularisation, soutenues par des gains de productivité et de temps obtenus en iii) maximisant la fabrication en usine et en iv) minimisant la construction sur site.

Le graphique ci-dessous montre comment évolue le coût actualisé de production, exprimée ici en MWh :

  • Grâce aux économies d’échelle, il décroit quand la puissance unitaire du réacteur s’accroît, en ce qui concerne les grands réacteurs (flèche bleue).
  • Grâce aux inducteurs de coûts susvisés, il passe de celui des mini réacteurs traditionnels à celui des grands réacteurs, en ce qui concerne les PRM (flèche rouge).

Le tableau ci-dessous, élaboré à partir de différentes références, donne un aperçu des facteurs concourant à la baisse des coûts actualisés des MWh produits par les PRM, au niveau des 4 inducteurs de coût.

Tous ces facteurs et d’autres liés à la petite taille des PRM renforceraient, suggèrent les promoteurs des PRM, leur attractivité en matière d’investissement et réduiraient significativement les risques financiers réels ou perçus[6] . Voici, dans ces perspectives, quelques-unes des caractéristiques marquantes des PRM :

  • Coûts d’investissements réduits du fait i) de coûts unitaires et de financement associé significativement faibles et ii) des gains de temps de construction sur site permettant d’éviter deux années ou plus de frais financiers ;
  • Faible investissement initial rendant le développement de projets plus facile et plus accessible aux promoteurs privés et publics dont les ressources financières sont souvent limitées ;
  • Calendrier de construction plus court et plus sûr grâce au nombre limité et à la taille réduite des structures à implanter sur site. Les PRM n’ont pas besoin des grandes structures de confinement et de refroidissement très gourmandes en infrastructure et en temps d’aménagement de site ;
  • Des risques moindres se traduisant par un financement moins cher. Les coûts en capital réduits, la nature standardisée du SMR, les délais de construction et les délais de livraison plus courts entraînent des risques de fin de chantier réduits, des taux d’intérêt plus faibles, des incertitudes réduites en ce qui concerne les données entrant dans le modèle de flux de trésorerie actualisés. L’investisseur sera disposé à accepter des taux de rendement internes plus faibles sur les capitaux propres et les prêteurs offriront des intérêts sur la dette beaucoup plus faibles.
  1. Des installations d’une plus grande sureté[7][8][9]?

La sureté des installations nucléaires est l’un des principaux enjeux en ce qui concerne leur acceptabilité sociale. Trois incidents majeurs au cours desquels les exploitants ont totalement perdu le contrôle, Three Mile Island en 1979 aux USA, Tchernobyl en 1986 en Ukraine et plus récemment, Fukushima en 2011 au Japon, sont encore dans tous les esprits.

L’un des principaux arguments de promotion des PRM, outre celui de leur rentabilité économique, est celui de leur sûreté. Voici quelques-uns des facteurs qui concourraient à cette sûreté, selon les promoteurs

  • Leur petite taille, autorisant une architecture compacte et simplifiée, limite considérablement les initiateurs d’incidents ;
  • Leur puissance résiduelle limitée permet d’utiliser des systèmes passifs de refroidissement ne dépendant pas de la disponibilité d’une source d’énergie extérieure au système ;
  • La compacité de l’architecture autorise des systèmes de confinement plus petits pouvant être produits en usine avec le soin et les matériaux requis
  • En installant le cœur du réacteur sous terre on limite l’impact des tremblements de terre tout en réduisant par ailleurs le risque de rejet dans l’environnement de matières radioactives en cas d’accident.

De façon générale, indiquent les promoteurs, des caractéristiques de sûreté intrinsèque (comme une puissance et une pression d’utilisation faibles), augmentent les marges de sûreté et, dans certains cas, éliminent pratiquement le risque d’endommagement grave du cœur du réacteur, et donc de rejet important de matières nucléaires en cas d’accident[10].

Sur le front des déchets radioactifs, un PRM pris individuellement en produirait moins. Mais tout indique que leur nombre se multipliera, les quantités de déchets produits aussi. Les mesures traditionnelles d’enfouissement resteraient de mise. Il apparaît cependant que la conception des PRM pourrait permettre de générer moins de déchets de haute activité et à vie longue[11]. Certains sont envisagés dans la catégorie des surgénérateurs qui utiliseraient les déchets radioactifs comme combustibles et en produiraient très peu de ce fait.

Il est à noter par ailleurs que les agences de règlementation de la sûreté nucléaire s’activent partout dans le monde, avec l’appui de l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique (AIEA), pour que les PMR s’intègrent dans le paysage énergétique des prochaines décennies avec les meilleures garanties, l’objectif ultime étant de « protéger les personnes et l’environnement et de réduire le risque d’accident et de rejet de matières radioactives » (AIEA,2021).

  1. Quel marché pour les PRM

Comme indiqué en introduction, l’un des ressorts de l’engouement que suscitent les PRM, tient de ce qu’ils offrent l’occasion de remettre le nucléaire en selle, en étendant son marché au-delà du cadre traditionnel qui est celui de la fourniture d’électricité de base dans un système électrique centralisé. L’extension se manifeste au niveau stratégique, selon l’AIEA, dans trois opportunités de marché qui se chevauchent (AIEA, 2021) comme le montre la figure ci-dessous :

La décarbonation des systèmes énergétiques est envisagée suivant les 3 principaux axes suivants :

  • Remplacement sur les mêmes sites, des centrales aux combustibles fossiles (charbon, fuel lourd et gaz) qui vont être démantelées. Les puissances et les tailles des PRM sont appropriées. L’AIEA avance, pour les USA, le chiffre de 60 GWe rien que pour les centrales au charbon mises en service avant 1976 ;
  • La décarbonation du chauffage urbain (80 à 200°C) ou des secteurs difficiles à décarboner dans l’industrie (450 à 850°C) avec des PRM calogènes ou en cogénération (électricité et chaleur) ;
  • La désalinisation de l’eau de mer qui intéresse tout particulièrement les pays du Golf comme l’Arabie Saoudite dont l’AIEA indique qu’elle a déjà signé des accords de partenariat avec la Corée pour en évaluer le potentiel.

Comme complément au déploiement des énergies renouvelables variables (ERV), les PRM apporteraient une solution flexible et de pilotabilité aux systèmes électriques à forte pénétration d’ERV (solaire photovoltaïque et éolien). Ils se prêtent avantageusement aussi aux systèmes énergétiques hybrides futurs couplant les PRM à des applications non-électriques comme la production de l’hydrogène ou de carburants de synthèse (ammoniac) et la désalinisation, utilisées pour soutenir l’intégration de l’éolien et du photovoltaïque aux réseaux.

Les PRM faciliteraient l’accès de l’énergie nucléaire à de nouveaux secteurs et/ou régions, ceux et celles auxquels les centrales nucléaires actuelles, conçues pour alimenter les grands systèmes électriques centralisés, ne permettent pas d’accéder. On pense notamment aux zones isolées ou reculées non encore connectées au réseau ainsi qu’aux pays et régions avec des réseaux de faible puissance ou ne disposant pas de sites adéquats pour l’installations de telles centrales. Ce qui ouvre des perspectives à de nouveaux venus, comme tous ces pays, les pays en développement notamment, qui n’utilisent pas couramment l’énergie nucléaire.

La feuille de route du Canada pour les PMR et le plan de déploiement subséquent sont très représentatifs de la série d’opportunités que les PMR peuvent offrir en général et sur le marché canadien de l’énergie en particulier[12].

Le marché mondial des PRM a été évalué en 2016 par le NEA (Nuclear Energy Agency), l’agence de l’énergie nucléaire de l’OCDE, pour la période allant jusqu’en 2035, suivant deux scénarios`

  • Un scénario optimiste supposant un déploiement élevé des PRM grâce au succès des dispositions règlementaires et des innovations susmentionnées.
  • Un scénario conservateur dans lequel seulement un nombre limité de projets serait achevé, des prototypes et des installations sur sites isolés, du fait de coûts d’investissement et d’exploitation élevés.

Le graphique ci-dessous donne le résultat de cette analyse qui avance un déploiement de 21 Gwe (3% de la puissance nucléaire mondiale installée) pour le scénario optimiste, contre 1 GWe pour l’autre scénario.

Ces résultats se comparent bien, comme on peut levois sur la figure ci-dessous, avec ceux des études réalisées par ailleurs, notamment par UxC, une compagnie spécialisée dans l’étude et l’analyse de marché pour le nucléaire[13], par le laboratoire national du nucléaire (National Nuclear Laboratory – NNL) du Royaume Uni et par un consortium français cités par l’étude de 2021 de OCDE/NEA.

Les scénarios optimistes des deux dernières études donnent des chiffres plus élevés que ceux de l’étude OCDE/NEA de 2016, dans un rapport de 2 à 3.

Une étude plus récente tirée d’une présentation du prototype du PRM britannique, celui de Rolls Royce[14], donne une perspective plus étendue (jusqu’en 2050) tenant plutôt du scénario optimiste, et même très optimiste. Il projette 374 PRM en 2035 avec un cumul de 1535 en 2050.

  1. Plusieurs initiatives, mais peu de réalisations

Les initiatives de mise au point de PRM continuent de se multiplier dans le monde. Comme déjà indiqué, l’AIEA avance le chiffre de 70 modèles commerciaux de PRM en cours de développement et à différents stades d’avancement. On assiste de fait à une concurrence qui s’annonce féroce entre différentes initiatives nationales. Celui qui mettra le premier sur le marché un modèle de PRM répondant à toutes les caractéristiques souhaitées (économiques, financières et de sûreté) enlève la mise et rafle tout sur un marché mondial qui reste assez limité, somme toute. L’AIEA propose des synthèses et donne des orientations, notamment en matière de réglementation, cherchant ainsi à mettre en place les bases d’une collaboration internationale et d’un véritable marché mondial qui seul serait à même de faire pleinement jouer l’effet de série dont dépendent les coûts des PRM.

La carte ci-dessous, tirée d’une étude de l’AIEA (IAEA, NR-t-18, 2021)[15] donne le panorama des PRM en développement dans le monde.

Cette carte est assortie d’une chronologie de déploiement des PRM d’ici 2030, vue de 2021. On trouvera ce calendrier ci-dessous.

Comme on peut le voir sur cette carte, sur le tableau détaillé des PRM en développement donné en annexe et sur ce calendrier, la Fédération de Russie, la Chine et les États-Unis apparaissent les plus actifs en se fiant au nombre de fois qu’ils sont cités, notamment dans le tableau.

La fédération de Russie aura été la première à mettre en service un modèle de petit réacteur monté sur barge (2x35MWe) pour alimenter ses communautés et installations isolées du grand nord sibérien. Plusieurs autres projets, plus tournés vers le marché des PRM, sont en gestation dans ce pays, à différents stades d’avancement.

La chine devrait être la seconde avec Linglong One, un modèle commercial de PRM terrestre polyvalent de 125 MWe, le premier conçu comme tel à avoir passé l’examen de sécurité de l’AIEA. Sa construction a été lancée en juillet 2021 pour une mise en service prévue en 2026. Plusieurs autres annonces et initiatives de PRM concernant la Chine abondent dans la presse spécialisée et même grand public.

Les USA ont, comme les deux pays précédents, plusieurs fers au feu. L’initiative la plus avancée reste cependant NuScale soutenue à fond par le DOE (Department Of Energy). Il s’agit d’un PRM de 60 MWe développé pour être implanté sur un site qui pourrait accueillir 12 unités partageant un même bassin et la salle de commande. Il a obtenu l’autorisation de la NRC (Nuclear Regulatory Commission) fin août 2020 pour une mise en service prévue à la fin de cette décennie.

L’étendue des initiatives est restreinte en ce qui concerne le Royaume Uni où l’emphase semble se mettre sur le projet UK-SMR de Rolls-Royce qui est de loin le plus avancé dans ce pays en termes de conception et de faisabilité. Sa mise en service interviendrait en 2030. La planche ci-dessous donne un aperçu de ses caractéristiques et surtout du type d’arguments commerciaux que les promoteurs mettent de l’avant pour leurs PRM.

La France n’est pas en reste avec son projet NUWARD pour NUclear ForWARD, une centrale de deux PRM intégrés de 170MWe chacun. NUWARD en est au stade de l’Avant-Projet Sommaire (APS) et devrait être mis sur le marché en 2030. Il bénéficie du soutien du plan de relance du nucléaire du gouvernement français. Le schéma ci-dessous[16] donne une idée de l’architecture d’ensemble du PRM et de la centrale NUWARD.

Plusieurs autres pays comme le Canada ou la Corée du Sud sont engagés dans la mise au point d’un prototype de démonstration avec souvent des plans de déploiement plutôt ambitieux.

  1. Conclusion

Ce panorama, somme toute limité, des projets de Petits Réacteurs Modulaires (PRM) en cours de développement ou de construction dans le monde, montre que l’engouement pour ces équipements a largement dépassé le cap des idées, même si des questions de première importance les concernant n’ont pas encore trouvé de réponse probante.

Ces questions portent sur les coûts d’investissement et de production, sur les délais de réalisation et sur la sûreté des installations. L’opportunité même des efforts intellectuels et financiers mis actuellement dans le déploiement des PRM est questionnée face à l’urgence climatique faisant de la présente décennie celle au cours de laquelle doivent être massivement déployés les projets et programmes (efficacité énergétique, sobriété et renouvelables) qui permettront de consolider la trajectoire conduisant à l’objectif zéro émissions nettes d’ici 2050.

Les tentatives d’estimation théorique des coûts finaux des PRM n’ont pas convaincu. Tout indique que ces coûts doivent être prouvés. Et ce ne sont par les têtes de série réalisées (Russie), en cours de réalisation (Chine, Argentine) ou en cours de développement qui apporteront cette preuve. Ils ne bénéficient pas des économies de série et de modularité sensées réduire les coûts de fabrication et de construction. Les incertitudes sur la réalisation des conditions dans lesquelles ces effets peuvent pleinement agir ont en outre de quoi préoccuper. Le nombre cumulé estimé de PRM d’ici 2050 serait d’environ 1500 unités selon un scénario jugé plutôt optimiste. Ce nombre est-il suffisant pour faire jouer l’effet de série dans le contexte de vive concurrence, déjà perceptible, entre différents projets nationaux ?

Les délais de réalisation, de même que la sûreté des installations doivent être prouvés, eux aussi. Les incertitudes sont ici aussi du même ordre avec, en ce qui concerne la sûreté, de fortes réserves quant à son amélioration face à la multiplication du nombre de sites nucléaires proches des centres urbains pour certains, et dans les pays qui ne disposent pas des expertises requises pour la gestion des installations nucléaires et des déchets. La perspective de règles de sûreté moins exigeantes pour les PRM, au motif qu’ils seraient plus sûrs, interroge aussi.

L’ensemble des PRM en cours de développement, des prototypes, ne seront mis en service que d’ici la fin de cette décennie. La phase industrielle, celle de leur production en série, ne pourrait se concrétiser qu’au cours de la prochaine décennie. Or, selon le 6e rapport d’évaluation du GIEC[17], « c’est maintenant ou jamais, si nous voulons limiter le réchauffement climatique à 1,5° C ». Pour le Scénario Zéro émissions nettes d’ici 2050 de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) qui s’inscrit dans cette perspective, c’est au cours de la présente décennie que des gestes d’envergure concrets doivent être posés pour espérer atteindre cet objectif de 1,5° d’ici 2050. La sobriété et l’efficacité énergétiques ainsi que les énergies renouvelables, technologies déjà mâtures, sont mises de l’avant par l’AIE en ce qui concerne ces gestes. Mais l’Agence encourage aussi la stimulation et le soutien à l’innovation technologique avec en point de mire le stockage de l’énergie, le CSUC (Captage, Stockage et Utilisation du Carbone), les électrolyseurs et les petits réacteurs modulaires (PRM).

Dans ce contexte particulier de l’urgence climatique, on peut comprendre que certains acteurs, ceux de la société civile notamment, se posent des questions quant à la meilleure affectation des ressources disponibles pour réussir la transition vers un système énergétique garantissant l’objectif zéro émissions nettes d’ici 2050.

Mais rien ne garantit que les ressources dont ne bénéficieraient pas les PRM, seraient affectées à l’urgence climatique.

 

Annexes

 

 

[1] International Energy Agency, Nuclear Power and Secure Energy Transitions, From Today’s Challenges to Tomorrow Clean Energy Systems, June 2022 https://iea.blob.core.windows.net/assets/0498c8b8-e17f-4346-9bde-dad2ad4458c4/NuclearPowerandSecureEnergyTransitions.pdf

[2] IAEA, Advances in Small Modular Reactor Technology developments, 2020https://aris.iaea.org/Publications/SMR_Book_2020.pdf

[3] OCEDE/NEA, Small Modular Reactors: Challenges and Opportunities, 2021, https://www.oecd-nea.org/upload/docs/application/pdf/2021-03/7560_smr_report.pdf

[4] AIEA, Que sont les petits réacteurs modulaires, https://www.iaea.org/fr/newscenter/news/que-sont-les-petits-reacteurs-modulaires-prm, ou Advance in Small modular Rector Technology Developments, Édition 2020, https://aris.iaea.org/Publications/SMR_Book_2020.pdf

[5] OECDE et NEA, Small Modular Reactors: Challenges and opportunities, 2021, https://www.oecd-nea.org/upload/docs/application/pdf/2021-03/7560_smr_report.pdf

[6] Jan Bartak Gianni Bruna and Gérard Cognet, Economics of Smal Modular Reactors: Will They make Nuclear Power more Competitive, 2021, https://www.davidpublisher.com/Public/uploads/Contribute/619af4f9dffe4.pdf

[7] https://www.ucsusa.org/resources/small-modular-reactors

[8] https://www.oecd-nea.org/jcms/pl_71126/examining-the-safety-of-small-modular-reactors

[9] https://www.osti.gov/servlets/purl/1640767

[10] AIEA, Une approche technologiquement neutre : Sûreté et autorisation des petits réacteurs modulaires, juin 2021, https://www.iaea.org/fr/newscenter/news/une-approche-technologiquement-neutre-surete-et-autorisation-des-petits-reacteurs-modulaires

[11] Société de Gestion des Déchets Nucléaires (SGDN -NWMO), Petits réacteurs modulaires : la gestion du combustible irradié, 2018, https://www.nwmo.ca/~/media/Site/Files/PDFs/2018/03/28/09/24/EN_Backgrounder_SMRs2018_Feb28.ashx?la=fr

[12] Graphique provenant de Reuter Events, Canadian Utilities build SMR alliances as developers tackle licensing, https://www.reutersevents.com/nuclear/canadian-utilities-build-smr-alliances-developers-tackle-licensing

[13] UxC, Small Modular Reactor Outlook, 2013, https://www.uxc.com/p/products/pdf/UxC-SMO%202013%20TOC.pdf, cité dans NEA 2021

[14] Rolls-Royce, Rolls-Royce SMR, https://www.youtube.com/watch?v=MkP3LeKbPJs

[15] IAEA, NR-T-1-18, Technology Roadmap for Small Modular Reactor Deployment, https://www-pub.iaea.org/MTCD/Publications/PDF/PUB1944_web.pdf

[16] SFEN, Journée technique Virtuelle sur les petits réacteurs Modulaires, décembre 2020, https://www.youtube.com/watch?v=-JNjyi6gFBw

 

[17] IPCC-WGIII, Sixth Assesment Report, Climate Change 2022: Mitigation of Climate change  Https://www.ipcc.ch/working-group/wg3/