Transition énergétique : une trajectoire sous-estimée?

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Transition énergétique : une trajectoire sous-estimée?

Bulletin GSI octobre 2024

Sibi Bonfils, GSI

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  1. Introduction

Courant octobre 2023, Rock Mountain Institute (RMI)[1] a publié, sous la plume de Sam Butler-Stress et Kingsmill Bond, un article intitulé The Eight Deadly Sins of Analyzing the Energy Transition[2]. Dans cet article de la série Perspectives énergétiques[3] de RMI, les auteurs se demandent « pourquoi tant de gens intelligents sous-estiment le rythme et le dynamisme » de la transition énergétique en cours. Ils recensent huit erreurs générales de perspective qui freinent la compréhension de ce qu’ils appellent la révolution renouvelable dont l’objectif majeur est l’élimination du carbone fossile de l’approvisionnement énergétique mondial (VS, 2022). Ces erreurs, ajoutent-ils, « gaspillent du temps et du capital et alimentent un pessimisme climatique improductif »

Ce numéro du bulletin présente ces erreurs de perspective et les idées avancées par les auteurs pour les expliquer et… les corriger. Un bref rappel quant à la nature et au contenu de la transition énergétique en cours est proposé pour mieux situer ces propos dans les débats que cette transition suscite.

  • Transitions énergétiques, quelques rappels

Différents numéros de ce bulletin ont été consacrés aux transitions énergétiques[4] et notamment à celle qui est en cours. Les rappels proposés ici puisent à ces sources.

Plusieurs transitions ont jalonné la longue histoire de l’énergie. Elles se caractérisent par les sources d’énergie, les forces motrices et les convertisseurs mis à contribution pour répondre aux besoins de nourriture, de confort domestique, de déplacement ou de production de biens et services.

De la biomasse aux sources d’énergie fossiles (charbon, pétrole, gaz) et fissiles (uranium, plutonium, thorium) en passant par les forces du vent et des cours d’eau; des muscles humains et animaux aux moteurs électriques, en passant par les moulins à vent et à eau, la machine à vapeur, les moteurs à combustion interne et les turboréacteurs, une série de découvertes et d’innovations majeures ont permis de réaliser les transitions successives qui ont totalement bouleversé notre rapport au monde et fini par faire de nous une force de la nature en train de précipiter la Terre, si l’on en croit certains scientifiques, dans une nouvelle ère géologique, l’Anthropocène.

La consommation mondiale d’énergie, dominée aujourd’hui à plus de 80% par les combustibles fossiles, participe des dynamiques en œuvre dans ce processus de changement d’ère géologique. Ces combustibles, principales sources des émissions de gaz à effet de serre responsables des changements climatiques, ont été les principaux marqueurs des dernières transitions énergétiques. Ils sont au cœur de la transition en cours moins comme moteurs que comme freins à sa réussite.

Voici, comme résumées dans un des numéros du bulletin[5] consacré à la transition énergétique, quelques-unes des spécificités de ces transitions.

Les transitions sont des processus graduels, multi-décennaux et intergénérationnels avec cependant des voies et des rythmes de progrès nationaux différents et divergents. A l’échelle mondiale, le charbon minéral a mis 35 ans pour passer de 5% (1840) de l’approvisionnement mondial en énergie primaire, à 25%, et 60 ans pour atteindre 50%. Dans le cas du pétrole, il a fallu 40 ans pour passer de 5% à 25%. Soixante (60) années ont été nécessaires pour le gaz naturel. A contrario, dans un pays comme le Japon, la part du pétrole dans l’approvisionnement en énergie primaire est passée de 6% à 72% en seulement 20 ans, entre 1950 en 1970.

Les transitions énergétiques passent non seulement par l’évolution des combustibles, mais aussi par la mise en place de nouveaux convertisseurs et de nouvelles forces motrices. Sans les turbines à gaz ou les moteurs à réaction, le kérosène issu du raffinage du pétrole n’aurait servi que pour l’éclairage. Il n’aurait pas révolutionné le transport avec l’aviation.

La domination d’une source d’énergie, d’un convertisseur ou d’une force motrice ne signe pas la disparition des autres. Le plus souvent, tous coexistent. La biomasse est toujours dans le décor. Le charbon n’est pas près de disparaître. Le muscle animal comme force motrice côtoie aujourd’hui les turboréacteurs et les moteurs électriques.

En ce qui concerne la transition en cours deux spécificités la distinguent radicalement des précédentes :

  • Son principal moteur est une volonté politique portée par l’ensemble de la communauté internationale. Toutes celles qui l’ont précédée étaient le fait des agents économiques et s’expliquaient pour l’essentiel par des avantages économiques et technologiques qu’elles apportaient (DY, 2022)[6]. Par exemple le passage du charbon minéral au pétrole comme combustible dominant tient de ce que le pétrole a rendu possibles des forces motrices d’un type nouveau ayant permis des gains considérables de puissances unitaires et une baisse sans précédent du ratio poids/puissance ayant rendu l’aviation possible.

La transition en cours n’est pas due à des pénuries de ressources et à des prix excessifs, ni à la nécessité d’améliorer les rendements et d’accroître la fiabilité de l’approvisionnement. Les sources d’énergie qui alimentent aujourd’hui le secteur sont abondantes, abordables et fiables. Les forces motrices sont performantes. La principale motivation de la transition en cours reste ainsi l’élimination du carbone fossile de l’approvisionnement énergétique mondial (VS, 2020)[7].

  • Mais son objectif ne se résume pas à remplacer les sources d’énergie carbonées par « de nouvelles sources d’énergie. Il est aussi de repenser entièrement le socle énergétique d’une économie mondiale qui pèse aujourd’hui 100 000 milliards de dollars et d’y parvenir en juste un peu plus d’un quart de siècle ». (DY, 2022)

D’autres spécificités tiennent :

  • De l’ampleur de la nouvelle transition. Une ampleur décourageante (VS, 2020) i) parce que, notre dépendance aux combustibles fossiles est énorme (80 à 90 % selon les taux de conversion), ii) que la majeure partie de l’humanité, dans les pays en développement, en Asie du Sud-Est et en Afrique notamment, a besoin de plus d’énergie et iii) que cette dernière exigence ne peut être satisfaite par une expansion, même rapide, des énergies renouvelables.
  • Des caractéristiques (intermittence et faiblesse des densités d’énergie et de puissance) des sources d’énergie sur lesquelles cette transition doit se construire (VS, 2020). Les technologies éoliennes et photovoltaïques sur lesquelles s’appuient la transition en cours sont aujourd’hui maîtrisées. C’est au niveau de l’intermittence de l’énergie qu’elles fournissent que se posent de sérieux problèmes de sûreté et de stabilité à partir de certains seuils dans les mix de production des réseaux qu’elles alimentent. Le stockage de l’énergie mis à contribution pour palier l’intermittence doit encore progresser en termes de volume. En outre, ses densités d’énergie comparativement plus faibles (300Wh/kg pour les batteries contre 12 000Wh/kg pour les combustibles liquides) mettent hors de portée le transport aérien et le transport maritime intercontinentaux. A ces insuffisances s’ajoutent le manque d’alternatives commerciales non carbonées à la hauteur des besoins pour les secteurs difficiles à décarboner comme le chauffage urbain et les industries lourdes (Aciérie, cimenterie, …) »

Les erreurs de perspective présentées ci-après alimentent ce débat ouvert sur la nouvelle transition. Elles concernent surtout l’appréciation jugée erronée du rythme de son déploiement. Les idées avancées par les auteurs pour les expliquer et les corriger sont riches d’enseignement quant à la façon générale dont devraient s’évaluer les efforts déployés pour la réussir.

  • Les 8 erreurs de perspective

Sam Butler-Sloss et son collègue Kingsmill Bond considèrent que la nouvelle transition énergétique est en bonne voie. « La révolution des énergies renouvelables avance à une vitesse remarquable » affirment-ils, considérant que ceux qui contestent cela souffrent de ce que « les statisticiens appellent un biais systématique », une erreur qui n’est pas due au hasard et qui biaise constamment les résultats d’une évaluation.

Ils ont identifié huit erreurs de ce type qui, selon eux, « freinent la compréhension, gaspillent du temps et du capital, et alimentent un pessimisme climatique improductif » et qui, de ces faits, doivent être débusquées et corrigées.

  • La 1ère erreur courante est de penser que le changement technologique est linéaire.

Plusieurs exemples du passé, tirés de l’évolution des technologies, montrent que ce n’est pas le cas. Les auteurs citent les cas du chemin de fer, d’Internet et du téléphone portable dont le processus d’implantation a suivi le profil des courbes en S. Il est lent au début, puis augmente rapidement avant de se stabiliser à nouveau lorsqu’il atteint la saturation du marché[8].

Les dynamiques d’autorenforcement en jeu (le changement engendre du changement) sont à l’origine, en phase ascendante, d’une croissance exponentielle sans commune mesure avec l’évolution lente des phases de démarrage. La baisse soutenue des coûts, l’augmentation des capacités de production, la sensibilisation des consommateurs, l’augmentation du pouvoir de lobbying et des technologies plus complémentaires, renforcent de telles dynamiques.

Les nouvelles technologies énergétiques de base que sont le solaire, l’éolien, les batteries, les pompes à chaleur et l’hydrogène vert ont bénéficié, ces dernières années, du rendement d’échelle croissant caractéristique des courbes en S. Cela est passé inaperçu pour la plupart des observateur qui continuent à sous-estimer le rythme et le dynamisme de déploiement de ces technologies.

Attention, alertent les auteurs, « Les courbes en S comme d’habitude mais pas le business comme d’habitude ».

  • La 2e erreur tient de l’importance accordée aux stocks au détriment des flux.

Les stocks sont la mesure des accumulations réalisées au fil du temps. Ils résultent du cumul des flux passés. Le parc automobile (le stock d’automobiles) est le résultat des ventes passées qui se sont faites par flux successifs.

En mettant l’accent sur les stocks, on perd totalement de vue les dynamiques de changements portées par les flux, indiquent les auteurs. La part des combustibles fossiles dans la consommation mondiale d’énergie (plus de 80% depuis plusieurs décennies) obnubile. C’était le cas dans les années 1900, affirment-ils, avec le nombre de chevaux et de véhicules hippomobiles face aux premiers véhicules automobiles. On n’a pas vu les flux d’automobiles entrant massivement chaque année sur le marché de la mobilité.

De même, aujourd’hui, beaucoup d’observateurs préoccupés par la taille des infrastructures dédiées aux combustibles fossiles et par la place qu’ils occupent dans le mix énergétique mondial, ne se rendent pas compte que « le solaire et l’éolien représentent déjà plus de 80 % des ajouts annuels de capacité en électricité, et que d’ici 2030, les véhicules électriques représenteront plus des deux tiers des ventes de voitures ».

Ces technologies (solaire et éolien) et d’autres technologies d’énergies propres devraient dominer les ventes d’ici la fin de la décennie, suggèrent les auteurs. Ce ne sera alors plus qu’une question de temps et de dépréciation de l’ancien système pour qu’il soit supplanté, concluent-ils.

On retiendra que « Les stocks célèbrent le passé et que les flux ouvrent une fenêtre sur le futur »

  • La 3e erreur vient de la sous-estimation du moment et de l’impact du Pic de la demande dans l’ancien système

Les débats sans fin et les spéculations sur le Pic de la demande ou de la production, s’agissant notamment du pétrole, sont le reflet des appréhensions que suscite la fin de la croissance de l’offre ou de la demande dans ce secteur.

On doit le concept de Peak oïl (Pic pétrolier) au géologue américain Hubert qui fit, en 1956, la prédiction que la production globale de pétrole aux États-Unis atteindrait son maximum aux alentours de 1970, avant de commencer à décroître. Cela s’observa jusqu’à ce que de nouvelles techniques d’exploration et d’extraction permettent de repousser la date fatidique. « Le concept de Pic pétrolier désigne aujourd’hui le sommet de la courbe de production d’un bassin pétrolier ou d’une zone pétrolifère. Par extension, ce terme fait référence au moment où la production mondiale plafonne en volume avant de commencer à décliner[9] ».

L’encadré ci-dessous donne un aperçu de appréhensions[10] que suscite ce concept et situe les enjeux d’une évaluation inexacte du moment où il se produit et de de son impact.

Pourquoi les pics sont importants?

Les pics sont importants parce qu’ils séparent le monde de la croissance et des opportunités de celui du déclin et du risque. Ils marquent un tournant.

Les volumes diminuent. Après le pic, les volumes diminuent. Il faudra peut-être du temps pour que cela devienne clair, et il y aura de la cyclicité, mais la longue période de croissance de la demande de combustibles fossiles est révolue.
Les prix baissent. À mesure que les volumes diminuent face à un concurrent moins cher, les prix auront tendance à baisser. Le choc d’offre actuel, dû aux sanctions contre la Russie, obscurcit cette dynamique.
Les profits s’effondrent. Et à mesure que les prix baissent, les bénéfices du secteur des combustibles fossiles à faible marge et à forte intensité capitalistique diminueront plus rapidement en raison de l’endettement.
Les actifs sont bloqués. À mesure que les volumes et les prix baissent, les actifs situés à l’extrémité supérieure de la courbe des coûts sont rapidement bloqués.
Les entreprises font faillite. Les entreprises qui croient en leur propre propagande et ne se préparent pas au changement ne seront pas préparées au nouvel environnement et échoueront.
Les marchés financiers s’écroulent. Par exemple, l’électricité fossile européenne, le charbon américain ou les services pétroliers mondiaux ont tous connu un pic de leurs cours boursiers au moment du pic de la demande.
Le coût du capital augmente. Au plus fort de la croissance, le coût du capital augmente, ce qui rend plus difficile la croissance ou même la survie des entreprises en place. Les investisseurs privent les industries mourantes de capitaux.

Le pic déclenche ainsi une série de cercles vicieux, des coûts aux technologies, et du social au politique. Le secteur des combustibles fossiles à faible croissance et à faible marge est très vulnérable aux pics. Et lorsque le choc de l’offre dû à la guerre en Ukraine s’estompera, les parties les plus faibles du système des combustibles fossiles seront une cible facile pour les fonds spéculatifs qui cherchent à vendre à découvert les perdants de la transition.

Source: Kingsmill Bond et coll., 2022

services pétroliers mondiaux ont tous connu un pic de leurs cours boursiers au moment du pic de la demande.

Beaucoup d’observateurs continuent à considérer que la transition en cours a peu d’impact sur le secteur pétrolier, puisque tout indique que la demande de pétrole sera encore très élevée après 2030. Ils ne tiennent tout simplement pas compte du fait qu’à cette date le pic pétrolier sera derrière nous, indiquent les auteurs, et qu’on sera déjà rentré dans le cercle vicieux du déclin décrit dans l’encadré.

Il faut se faire à l’idée que « Les pics séparent le monde de la croissance et des opportunités de celui du déclin et du désespoir ».

  • La 4e erreur vient de ce que l’on pense que les secteurs difficiles à décarboner freineront « la marée montante des changements »

Devant cette marée montante, les secteurs dans lesquels la demande en combustibles fossiles est la plus importante se révèlent les plus vulnérables, indiquent les auteurs. La production d’électricité, le transport routier et le chauffage à basse température qui représentent près de 70 % de la demande en combustibles fossiles sont déjà sous la menace des technologies renouvelables, lesquelles connaissent un succès et une croissance rapides dans ces secteurs.

Avec la baisse des coûts et l’amélioration des performances de ces technologies, d’autres secteurs, d’autres marchés, parmi les plus difficiles à décarboner, succomberont, affirment les auteurs. L’évolution technologique « est séquentielle. Elle se déplace des domaines faciles aux domaines difficiles ; du plus simple au plus complexe ; du léger au lourd ; et des adoptants précoces aux adoptants tardifs », indiquent-ils, citant, à titre d’exemples, les conquêtes successives des batteries, passées des calculatrices portables aux gros appareils électroniques, puis aux voitures, et ensuite aux SUV et aux camions.

Les plafonds des possibles en ce qui concerne la vague des changements devraient continuer à s’élever, s’agissant notamment des énergies renouvelables, de l’électrification et de la rentabilité de la décarnisation. « La créativité ascendante de milliers d’innovateurs qui sondent en permanence l’espace des possibilités », une créativité qui dépasse l’imagination de la plupart d’entre nous, permet de le croire, selon les auteurs.

Il est clair que « Le plafond de notre imagination n’est pas le plafond de la transition énergétique ».

  • La 5e erreur vient de l’idée que les technologies, les politiques, les modèles d’affaires et les perceptions sociétales sont statiques

Cette erreur trouve son explication dans le fait que l’on ignore qu’une révolution technologique est en cours dans le secteur de l’énergie. Or, « lors d’une révolution technologique, il est important de partir du principe que la plupart des facteurs pertinents sont dynamiques et non statiques, ou qu’ils sont variables et non constants », indiquent les auteurs. Ils citent, dans cette perspective, le cas des énergies renouvelables dont i) les coûts diminuent à mesure que le déploiement augmente, ii) le déploiement augmente à mesure que les coûts baissent, avec iii) des mesures politiques qui progressent à mesure que l’urgence climatique s’intensifie. La baisse substantielle des coûts escomptée de ces énergies d’ici 2030, devrait faire tomber dans leur escarcelle les industries à forte intensité énergétique.

L’erreur tient aussi du fait que de nombreux modèles prédictifs actuels figent les situations et les solutions d’aujourd’hui et les appliquent telles quelles aux défis de demain, ignorant que les modèles d’affaire, les modes de consommations et les comportements des consommateurs hautement connectés vont être radicalement différents. Comme l’ironisent si bien les auteurs, cela revient à concevoir le monde du papillon à partir de celui de la chenille.

« N’essayez pas de résoudre les problèmes de demain en utilisant les hypothèse d’aujourd’hui »

  • La 6e erreur tient du biais climat consistant à penser que la seule motivation de la transition énergétique est d’arrêter le changement climatique.

La lutte contre le changement climatique a été le facteur déclenchant de la transition énergétique en cours et un puissant catalyseur des forces en jeu dans les changements escomptés. Ces forces sont cependant plus profondes et les motivations plus diverses qu’on ne le laisse appréhender cette lutte, affirment les auteurs. Elles sont, indiquent-ils, les vecteurs du passage :

  • d’un système fossile coûteux, inefficace, aliéné au feu[11], avec des ressources inégalement réparties basées sur les matières premières, à des technologies moins chères, plus propres et plus économes, dont les coûts sont en baisse constante et qui sont disponibles partout;
  • d’un système énergétique basé sur des molécules fossiles lourdes et sur le feu, à l’exploitation des ressources quasi infinies du soleil et à des électrons légers et dociles.

Elles sont aussi les vecteurs du passage dans un monde où l’efficacité l’emporte sur le gaspillage et où les technologies informées l’emportent sur les matières premières.

Les bénéfices induits par ces passages, sur la santé des populations et des écosystèmes, sur l’économie mondiale et sur la sécurité mondiale (géopolitique), sont suffisamment porteurs pour regarder ailleurs que sous le « lampadaire climat » quand on cherche à évaluer les motivations de la transition en cours et sa dynamique.

« Il s’agit bel et bien d’une révolution technologique, avec une date butoir ».

  • La 7e erreur est de ne pas accorder suffisamment d’attention à l’efficacité énergétique comme moteur de la transition énergétique.

La contribution de l’efficacité énergétique à la réduction de la consommation d’énergies fossiles et donc des émissions de gaz à effet de serre a été négligée et continue de l’être. On n’inaugure pas les TWh ou les GJ économisés grâce à l’efficacité énergétique comme on inaugurerait un barrage, une centrale solaire ou un champ d’éoliens.

Pourtant cette contribution a été, jusqu’à présent, bien plus forte que celle des énergies renouvelables, affirment les auteurs. Par exemple, en 2010, les gains en intensité énergétique de 1,7% en moyenne ont permis d’économiser dix (10) fois plus d’énergie primaire que l’énergie solaire et éolienne, précisent-ils, ajoutant qu’en 2022, l’efficacité énergétique a encore permis d’économiser plus de trois fois plus d’énergie primaire que la croissance de l’énergie solaire et éolienne.

Cette contribution est appelée, affirment les auteurs, à se renforcer avec l’innovation matérielle, la conception intégrée et la numérisation qui devraient continuer à rendre les systèmes énergétiques plus intelligents, plus économes en ressources et plus légers.

La conception intégrée

La conception intégrée applique rigoureusement les principes d’ingénierie orthodoxes, mais obtient des résultats radicalement plus économes en énergie et en ressources en posant différentes questions qui modifient la logique de conception.

Des exemples tirés de la construction des bâtiments, de l’industrie et de la production de véhicules montrent que l’optimisation de systèmes complets pour de multiples avantages, et non de composants disjoints pour des avantages uniques, permet souvent de réaliser des gains d’efficacité d’utilisation finale bien plus importants et moins coûteux qu’on ne le suppose traditionnellement.

En effet, la conception intégrée peut souvent produire des rendements croissants (plutôt que les rendements décroissants habituels) sur les investissements dans l’efficacité énergétique, ce qui rend des économies d’énergie très importantes moins coûteuses que les économies faibles ou inexistantes résultant des approches traditionnelles.

Source : A. Lovins, 2010

Par ailleurs, le passage i) des fossiles aux renouvelables dans la production d’électricité et dans le transport, ii) des chaudières thermiques aux pompes à chaleur dans le chauffage et la climatisation, permet d’escompter des réductions de l’ordre de 60 à 75% de la consommation d’énergie primaire, et donc des réductions substantielle des émission de gaz à effet de serre.

L’efficacité est le superpouvoir invisible de la transition énergétique.

  • La 8e erreur provient de la complexité excessive des modélisations

Les modèles mathématiques pullulent dans la science du climat, et notamment dans la conception des politiques énergétiques et l’évaluation des profils d’émission de ces politiques. Ils se complexifient d’année en année, manipulant une masse importante de données de provenances variées, scientifiques, technologiques, socio-économiques, voire culturelles… De tels modèles, avec leurs nombreuses variables et un multiple de données qu’on n’est pas toujours capable de tenir à jour, manquent très souvent de la flexibilité nécessaire dans un contexte de changements systémiques rapides. De surcroît, indiquent les auteurs, « Les révolutions technologiques, comme les risques liés au changement climatique, sont intrinsèquement imprécises et impliquent des réalités importantes qu’il est difficile, voire impossible, de quantifier de manière crédible », suggérant que la réflexion est plus efficace que les modèles mathématiques pour traiter de l’inquantifiable, un meilleur équilibre entre réflexion et modélisation étant le meilleur gage pour ne pas se fourvoyer.

Mieux vaut avoir à peu près raison que parfaitement tort.

  • Penser différemment pour une transition plus rapide

En guise de conclusion, les auteurs résument ici les idées-forces de leur article.

Les erreurs d’appréciation de la vitesse et du dynamisme de la révolution des renouvelables sont contreproductives pour la transition énergétique en cours. Elles conduisent à des pertes inutiles de temps, de capitaux et de compétitivité, ainsi qu’à un pessimisme climatique improductif.

Les révolutions technologiques ne sont jamais linéaires. Leurs moteurs sont profonds et divers. Ce sont des périodes d’instabilité caractérisées par des flux changeants. De telles périodes sont par nature imprécises. Un meilleur équilibre entre réflexion et modélisation y est nécessaire. L’efficacité y est un superpouvoir invisible.

Ces changements de perspective sont d’importance en ce qui concerne l’avenir que nous voulons. Car, indiquent les auteurs, « nous construisons l’avenir que nous espérons. La révolution des énergies renouvelables se produira plus rapidement et surprendra moins de personnes si nous évitons ces erreurs d’appréciation de sa vitesse et de son dynamisme ».

  • Conclusion

Sam Butler-Sloss et son collègue Kingsmill Bond considèrent, dans leur article intitulé The Eight Deadly Sins of Analyzing the Energy Transition, quebeaucoup de spécialistes et d’analystes de la transition énergétique en cours sous-estiment son rythme et son dynamisme. Ils commettraient des erreurs générales de perspectives qui, au mieux, biaisent juste leur appréciation, et au pire « freinent la compréhension, gaspillent du temps et du capital, et alimentent un pessimisme climatique improductif ».

Ce numéro du bulletin porte sur les 8 erreurs de perspective présentées dans l’article et les idées avancées par les auteurs pour les expliquer et… les corriger. Un bref rappel quant à la nature et au contenu de la transition énergétique en cours est proposé pour mieux situer cette contribution dans les débats que cette transition suscite.

Pour la plupart des spécialistes, le principal moteur de la transition énergétique en cours est une volonté politique portée par l’ensemble de la communauté internationale. Toutes celles qui l’ont précédée étaient le fait des agents économiques et s’expliquaient pour l’essentiel par des avantages économiques et technologiques qu’elles apportaient (DY, 2022).

Son objectif est l’élimination du carbone fossile de l’approvisionnement énergétique mondial (VS, 2020). Il va cependant bien au-delà. Il est aussi de repenser entièrement le socle énergétique d’une économie mondiale qui pèse aujourd’hui 100 000 milliards de dollars et d’y parvenir en juste un peu plus d’un quart de siècle (DY, 2022)

Son ampleur décourage (VS, 2020) et les caractéristiques (intermittence et faiblesse des densités d’énergie et de puissance) des sources d’énergie sur lesquelles cette transition doit se construire posent de sérieux problèmes (VS, 2020) de sûreté et de capacité à prendre en charge les secteurs difficiles à décarboner comme les industries lourdes ou les transport intercontinentaux.

L’article de Sam Butler-Sloss et coll. vient alimenter ce débat ouvert sur la nouvelle transition. Les 8 erreurs qu’il présente concernent surtout l’appréciation jugée erronée par les auteurs, du rythme de son déploiement.

La 1ère erreur courante est de penser que le changement technologique est linéaire. Elle fait l’impasse sur le fait que les processus d’implantation des nouvelles technologies (i.e. chemin de fer, Internet, téléphone portable) suivent le profil des courbes en S. Il est lent au début, puis augmente rapidement avant de se stabiliser à nouveau lorsqu’il atteint la saturation du marché.

La 2e erreur tient de l’importance accordée aux stocks au détriment des flux. Elle rappelle celle commise dans les années 1900 sur l’implantation des automobiles face au nombre de chevaux et de véhicules hippomobiles qui sillonnaient les rues. La taille actuelle des infrastructures dédiées aux combustibles fossiles et la place qu’ils tiennent dans le mix énergétique mondial (80% de la consommation) face aux renouvelables intermittents et de faible densité énergétique rappellent puissamment la situation de 1900.

La 3e erreur vient de la sous-estimation du moment et de l’impact du Pic de la demande dans l’ancien système. Les pics marquent un tournant. Ils séparent le monde de la croissance et des opportunités de celui du déclin et du risque. Dans ce dernier monde, les volumes diminuent, les prix baissent, les profits s’effondrent et les entreprises font faillite. Tout indique qu’en 2030, le pic de la demande de combustibles fossiles sera derrière nous et que le tournant sera franchi, indiquent les auteurs.

La 4e erreur vient de ce que l’on pense que les secteurs difficiles à décarboner freineront « la marée montante des changements ». Les conquêtes successives des batteries, passées des calculatrices portables aux gros appareils électroniques, puis aux voitures, et ensuite aux SUV et aux camions, sont caractéristiques de cette marée, alimentée par « la créativité ascendante de milliers d’innovateurs qui sondent en permanence l’espace des possibilités », une créativité qui dépasse l’imagination de la plupart d’entre nous.

La 5e erreur vient de l’idée que les technologies, les politiques, les modèles d’affaires et les perceptions sociétales sont statiques. Elle est principalement due au fait que les modèles prédictifs actuels s’appuient sur les situations et les solutions d’aujourd’hui pour traiter des défis de demain, ignorant que les modèles d’affaire, les modes de consommations et les comportements des consommateurs hautement connectés vont être radicalement différents demain. Comme l’ironisent les auteurs, cela revient à concevoir le monde du papillon à partir de celui de la chenille.

La 6e erreur tient du biais climat consistant à penser que la seule motivation de la transition énergétique en cours est d’arrêter le changement climatique. La lutte contre le changement climatique a été le facteur déclenchant de la transition énergétique en cours. Elle reste un puissant catalyseur des forces en jeu dans les changements escomptés. Mais les bénéfices qu’induiront ces changements, sur la santé des populations et des écosystèmes, sur l’économie mondiale et sur la sécurité mondiale (géopolitique), sont suffisamment porteurs pour regarder ailleurs que sous le « lampadaire climat » quand on cherche à évaluer les motivations de la transition en cours et sa dynamique.

La 7e erreur est de ne pas accorder suffisamment d’attention à l’efficacité énergétique comme moteur de la transition énergétique. Sa contribution a été, jusqu’à ce jour, de loin supérieure à celle des renouvelables dans la réduction de la part des combustibles fossiles au niveau du mix énergétique mondial. En 2022, elle a été de trois fois supérieure à la croissance du solaire et de l’éolien, affirment les auteurs. C’est une contribution qui est appelée à se renforcer avec les innovations attendus au niveau des équipements (pompe à chaleur), des procédés (IA) et de l’exploitation des systèmes (réseaux intelligents), ajoutent-ils.

La 8e erreur provient de la complexité excessive des modélisations. Cette complexification donne l’illusion de cerner la réalité de plus près. Avec la masse des données qu’il faut collecter, traiter et tenir à jour et la multitude de variables qu’elle exige, elle est loin d’être l’approche indiquée dans le cadre d’une révolution technologique où certaines réalités importantes peuvent être difficiles, voire impossible à quantifier, indiquent les auteurs, ajoutant qu’un meilleur équilibre entre réflexion et modélisation reste le meilleur gage pour ne pas se fourvoyer.

Cette revue des erreurs générales d’appréciation du rythme et du dynamisme de la transition en cours est une sorte d’appel à sortir du pessimisme auto-réalisateur. Ce changement de perspective est important pour l’avenir que nous voulons. Car, indiquent les auteurs, « nous construisons l’avenir que nous attendons. La révolution des énergies renouvelables se produira plus rapidement et surprendra moins de personnes si nous évitons ces erreurs ».


[1] RMI, Get to know us, https://rmi.org/about/

[2] Butler-Stress and Kingsmill Bond,  The Eight Deadly Sins of Analyzing the Energy Transition, RMI October 13, 2023, https://rmi.org/the-eight-deadly-sins-of-analyzing-the-energy-transition/

[3] RMI, Strategic Insights, https://rmi.org/category/strategic-insights/

[4] GSI, Bulletins, https://www.globalshift.ca/bulletins/, les numéros de mars et avril 2024, mars et août 2023

[5] GSI, Bulletins, mars 2023, https://www.globalshift.ca/pour-la-transition-energetique-en-cours/

[6] Daniel Yergin, La transition Énergétique ne sera pas de tout repos, décembre 2022, https://www.imf.org/fr/Publications/fandd/issues/2022/12/bumps-in-the-energy-transition-yergin

[7] Vaclav Smil, Energy Transitions: Fundamentals in Six Points, Enero N°8 2020, https://www.funcas.es/wp-content/uploads/Migracion/Articulos/FUNCAS_PE/009art03.pdf

[8] Laurens Speelman et Yuki Numata, Harnessing the Power of S-Curves, How S-Curves Work and What We Can Do to Accelerate Them, 2022, https://rmi.org/insight/harnessing-the-power-of-s-curves/

[9] CONNAISSANCES Des ÉNERGIES, Pic pétrolier, https://www.connaissancedesenergies.org/fiche-pedagogique/pic-petrolier

[10] Kingsmill Bond and Sam Butler-Sloss, Peaking : Peaking: Why Peaks Matter. The Turning Point from Growth to Decline, 2022, https://rmi.org/insight/peaks-why-they-matter/

[11] Daan Walter and cool. Energy after Fire, September 2024, https://rmi.org/energy-after-fire/