Bulletin GSI de novembre 2024
Révolution des technologies propres et transition
Sibi Bonfils, GSI
- Introduction
Longtemps considérées comme une lubie des écologistes par la plupart des énergéticiens, les technologies propres sont aujourd’hui « l’objet d’investissements croissants de la part des leaders de l’industrie ». C’est ce qu’affirmaient déjà Ron Pernick et son collègue Clint Wilder dans leur livre publié en juin 2007 sous le titre The Clean tech revolution. The next big growth and investment opportunity[1].
Cette tendance s’est confirmée et même renforcée au fil du temps et devrait se maintenir dans le futur.
Les technologies propres
Les technologies propres, également appelées cleantech, désignent tout processus, produit ou service qui réduit les impacts environnementaux négatifs grâce à des améliorations significatives de l’efficacité énergétique, à l’utilisation durable des ressources ou à des activités de protection de l’environnement. Les technologies propres comprennent un large éventail de technologies liées au recyclage, aux énergies renouvelables, aux technologies de l’information, aux transports écologiques, aux moteurs électriques, à la chimie verte, à l’éclairage, aux eaux grises, etc.
Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Cleantech
Dans ses Perspectives 2024 des technologies de l’énergie, Energy Technology Perspectives 2024[2], l’Agence Internationale de l’énergie (AIE – IEA) l’atteste. Le commerce mondial des technologies propres « a plus que triplé en l’espace d’une décennie pour atteindre 575 milliards de dollars, soit plus de 50 % de plus que le commerce mondial de gaz naturel aujourd’hui », indique-t-elle, ajoutant que le marché mondial de ces technologies « devrait [encore] tripler pour atteindre plus de 2 000 milliards de dollars au cours de la prochaine décennie à mesure que les transitions énergétiques progressent »
La révolution des technologies propres fait ainsi désormais partie des dynamiques qui sont en train de refaçonner le système énergétique mondial. « Elle est exponentielle, disruptive et actuelle » nous disent Kingsmill Bond et ses collègues dans un article original publié en juin 2024[3]. L’article, intitulé The Clean Tech Revolution, regroupe une série de graphiques et d’infographies caractéristiques de cette révolution. Ces graphiques illustrent les forces en œuvre et les transformations en cours dans le secteur de l’énergie ainsi que leurs impacts sur ce secteur et sur la nouvelle transition énergétique. L’article ressort par ailleurs les différences marquées entre le nouveau système énergétique que la révolution mettra au jour et l’ancien.
Ce numéro du bulletin et le prochain portent sur cet article. Ils présentent quelques-uns de ses graphiques et infographies sélectionnés et organisés suivant le narratif proposé par les auteurs pour rendre compte des dynamiques opérant au cœur des transformations en cours dans le système énergétique mondial. Le narratif traite i) des différences marquées entre les deux visions qui s’affrontent en ce qui concerne la transition en cours, ii) de la croissance exponentielle caractéristique des trois moteurs du changement (les renouvelables, l’électrification des usages et l’efficacité), iii) de l’ère des pics de la demande pour les combustibles fossiles, iv) de la dynamique de croissance auto-entretenue et de ses implications tant, v) pour le système énergétique, que vi) pour la transition en cours, concluant vii) sur ce qui doit être fait pour réussir cette transition dans les délais requis.
La première partie de l’article, objet du présent numéro du bulletin, décrit les deux visions de la transition en cours et le système énergétique qui résultera de cette transition marquée par la révolution des technologies propres. Elle donne un aperçu des progrès accomplis en ce qui concerne ces technologies et les trois principaux moteurs des changements en cours dans le secteur de l’énergie. Elle rend compte des conséquences de ces évolutions sur la consommation des combustibles fossiles.
La seconde partie de l’article, objet du prochain numéro du bulletin, est essentiellement prospective. Elle traite i) de la dynamique de croissance auto-entretenue grâce aux fortes interactions entre les trois moteurs de changement et ii) de ses impacts sur le système énergétique et sur la transition en cours. Elle conclut sur les stratégies à déployer pour accompagner les dynamiques en jeu dans le but de réussir la transition en cours dans les délais requis.
- Différences de visions, différences entre systèmes énergétiques.
Ces différences s’entendent dans les récits proposés et les visions de la transition en cours, selon les auteurs. Elles opposent le récit dit du statu quo à celui d’un changement exponentiel et bénéfique; celui d’une sortie lente, couteuse et douloureuse des combustibles fossiles, à celui d’une révolution technologique plus rapide vers un système énergétique moins cher et décentralisé, comme le montre le graphique ci-dessous
Et Les faits observés plaident en faveur d’une vision optimiste de la transition, suggèrent les auteurs.
Les technologies de base (solaire, éolien et batteries) ont connu, au cours des dernières décennies, une baisse soutenue des coûts leur ayant permis de rattraper, et aujourd’hui de dépasser les combustibles fossiles avec des coûts de fourniture plus bas comme le montre la figure ci-dessous.
En ce qui concerne la contribution à la production d’électricité, ces technologies (solaires et éoliennes) battent les matières premières (charbon, pétrole, gaz et matières fissiles) en termes de vitesse de croissance, comme l’atteste le graphique ci-dessous.
Il n’aura fallu au solaire que 8 ans pour produire 1000 TWh d’électricité après avoir atteint 100 TWh. Ce seront respectivement 28 ans, 32 ans et 39 ans pour le gaz, le charbon et l’hydroélectricité.
Le résultat de cette croissance exceptionnelle (exponentielle disent les auteurs) des renouvelables qui sont au cœur de la transition en cours, est une différence marquée entre le système énergétique actuel et le système qui devrait résulter de la transition. Le tableau ci-dessous en donne un aperçu quelque peu polémique, mais assez représentatif des débats qui opposent dans le secteur les « anciens et les modernes »
Dans l’ancien système énergétique, les matières premières (charbon minéral, pétrole, gaz) dominent. Dans le nouveau, les technologies propres (solaire, éolien et batteries) sont reines. Et elles battent, nous disent les auteurs, graphiques à l’appui, les matières premières en termes de coûts et aussi de vitesse de croissance.
Trois principaux leviers de changement, les renouvelables, l’électrification des usages et l’efficacité, sont en œuvre pour réduire la part des combustibles fossiles dans le mix énergétique et, à terme, les en sortir. C’est bien ce qu’illustre le graphique ci-dessous.
- Une croissance exponentielle pour les trois leviers du changement
Des baisses substantielles de coûts pour l’éolien, le solaire et les batteries, et le flux des capitaux déversés dans les technologies propres ont été les moteurs des croissances exponentielles observées au niveau des trois leviers de changement que sont les renouvelables, l’électrification des usages et l’efficacité, indiquent les auteurs.
3.1 Les coûts des technologies propres auront baissé de 20% à chaque doublement de leur déploiement ainsi que le montre la figure ci-dessous.
Du côté des investissements, il a fallu des décennies pour mobiliser le premier billion au niveau des technologies propres, et probablement seulement 4 ans pour le second, indiquent les auteurs.
La courbe ci-dessous montre les évolutions passées et tendancielles des flux de capitaux entrant dans le secteur.
Le premier billion (mille milliards) a été dépassé entre 2020 et 2021. L’année 2023 a enregistré un flux de 1,8 billions. Le second billion pourrait être dépassé en 2024 ou 2025
Grâce à ces flux importants de capitaux et à la baisse substantielle des coûts de fourniture de services au niveau des technologies propres, les trois leviers de changement, à savoir les renouvelables, l’électrification et l’efficacité, ont connu des croissances exponentielles.
3.2 Au niveau des renouvelables, les taux de croissance sur la dernière décennie ont été respectivement de 14%, 28% et 68% pour le solaire, l’éolien et les batteries, comme cela ressort dans la figure ci-après.
On a observé un doublement de l’électricité produite par le solaire tous les 2 à 3 ans et, pour les batteries un doublement des capacités de stockage tous les ans.
Les capacités de production du solaire et de stockage des batteries sont sur le point de battre tous leurs concurrents comme le montre les figures ci-dessous.
Les puissances solaires installées dépassent déjà celles de la bioénergie, du nucléaire, du pétrole et de l’hydroélectricité, indiquent les auteurs. Elles flirtent avec celles du charbon et du gaz qui pourraient être atteintes courant 2025 ou 2026.
Au rythme où elles progressent, les capacités de stockage des batteries pourraient égaler et dépasser celles des STEP (Stations hydraulique de Transfer de l’Énergie par Pompage) en 2025 ou 2026.
Les chaînes d’approvisionnement seraient déjà en place selon les auteurs, les entreprises des secteurs prévoyant de construire plus de capacité solaire et de batteries d’ici 2030 que nécessaire pour atteindre la neutralité carbone.
3.3 L’électrification des usages est un processus séculaire. On électrifie dans l’industrie et les bâtiments de puis déjà 120 ans. L’électrification du transport est encore à ses débuts.
Le taux d’électrification est de l’ordre de 30% pour l’industrie et les bâtiments. Il est encore en dessous de 5% pour le transport.
Pour l’énergie utile, l’électricité a détrôné King caol dans les années 70, le gaz naturel dans les années 90 et le pétrole avant 2010. Elle est aujourd’hui le Roi du secteur de l’énergie.
La Chine est devenue le premier grand « électro-État » du monde. Elle s’est électrifiée à une vitesse inouïe, à 10 points de pourcentage par décennie, soit 9 fois plus vite que le reste du monde, affirment les auteurs. Elle dépasserait aujourd’hui les 30% de taux d’électrification, soit presque 2 fois plus que le taux mondial.
Tout est en place, indiquent les auteurs, pour électrifier tout le reste, avec les pompes à chaleur pour le chauffage, les voitures électriques, les camions électriques et tout l’appareillage automatisé numérique.
Les stocks mondiaux de voitures électriques et d’appareils numériques ont ainsi doublé tous les deux ans au cours des deux dernières décennies, rapportent les auteurs.
Ici aussi, la Chine mène le jeu du changement avec une croissance que les auteurs qualifient d’ultra-rapide pour toutes ces technologies propres.
En une décennie, la production solaire y a été multipliée par 35, celle de l’éolien par 9. Les véhicules électriques et les batteries ont évolué encore plus rapidement, comme le montrent les graphiques ci-dessus.
3.4 L’efficacité énergétique est la puissante force invisible du changement. Selon les auteurs, les gains d’efficacité réalisés depuis 2010 ont réduit la croissance de la demande d’énergie plus que tout autre facteur.
Les gains d’efficacité énergétique au cours de la dernière décennie ont représenté un cinquième des 632 EJ de demande mondiale d’énergie primaire de 2022, précisent les auteurs.
- L’ère des pics de la demande pour les combustibles fossiles
Les pics de production ou de demande désignent le sommet de la courbe i) de production d’un bassin pétrolier ou d’une zone pétrolifère, ou ii) de demande d’un secteur d’activité ou d’une zone géographique. Les pics, rappelons-le, sont un tournant. « Ils séparent le monde de la croissance et des opportunités de celui du déclin et du risque[4] » (KB, 2022)
Les auteurs ont identifié plusieurs secteurs d’activités ou zones géographiques où les pics de la demande de combustibles fossiles ont déjà été franchis ou sont sur le point de l’être
4.1 C’est le cas pour l’ensemble du système fossile, en ce qui concerne notamment les nouvelles capacités de production d’électricité à partir des combustibles fossiles, les dépenses d’investissement pour le pétrole et le gaz, la vente de voitures thermiques ou la demande de combustibles fossiles par habitant.
4.2 C’est déjà le cas dans l’industrie et les bâtiments, et très prochainement le transport ains que la production d’électricité et de chaleur. Les dates respectives sont 2014, 2018, 2024/2025 et 2023,
Le schéma ci-dessous détaille le cas particulier du secteur électrique où le solaire et l’éolien jouent un rôle clé dans le déclin des fossiles.
En 2023, le solaire et l’éolien ont produit 500 des 600 TWh de croissance moyenne de la demande d’électricité, indiquent les auteurs. Ils devraient produire plus que la croissance moyenne cette année.
La demande de pétrole pour le transport routier stagne en attendant un déclin qui pourrait être rapide. Les auteurs situent le point tournant en 2024 ainsi que le montre le graphique ci-dessous.
Plusieurs autres graphiques proposés par les auteurs montrent que les pics de la demande de combustibles fossiles se sont produits ou sont sur le point de se produire dans divers pays et régions, notamment en Chine et dans des pays sélectionnés du Sud global.
Aux États-Unis, le pic de la demande de combustibles fossiles a été atteint dans tous les grands secteurs, ceux de la production d’électricité, du transport, des bâtiments et de l’industrie, ainsi que le montrent les graphiques ci-dessous.
Les graphiques ci-dessous qui présentent la situation dans l’OCDE, la Chine et le Sud Global, suggèrent que la chine est devenue l’état pivot de la transition mondiale . Quand elle atteint son pic, le monde atteint son pic.
- Conclusion
Ce numéro du bulletin porte sur la première partie de l’article de Kingmill et coll.. Il décrit deux visions opposées de la transition en cours et le système énergétique qui devrait résulter de cette transition marquée par la révolution des technologies propres. Il donne un aperçu des progrès accomplis en ce qui concerne ces technologies et les trois principaux moteurs des changements en cours dans le secteur de l’énergie que sont les renouvelables, l’électrification des usages et l’efficacité. Il rend compte des conséquences de ces évolutions sur la consommation des combustibles fossiles.
Une série de graphiques racontent et illustrent les transformations observées dans le secteur de l’énergie au cours des dernières décennies.
Les coûts des technologies de base (solaire, éolien, batteries) en œuvre dans ces transformations ont connu une baisse soutenue et rapide leur ayant permis de rattraper, et aujourd’hui de dépasser les combustibles fossiles avec des coûts de fourniture désormais plus bas.
Ces baisses ont facilité un afflux spectaculaire de capitaux vers les technologies propres avec comme conséquence une croissance exponentielle des trois moteurs des changements.
Les productions solaires et éoliennes ainsi que les capacités de stockage des batteries ont connu des taux de croissance de 14%, 28% et 68% respectivement, soit un doublement tous les 2 ou 3 ans pour le solaire, et tous les ans pour le batteries. Les chaines d’approvisionnement déjà en place suggèrent que ces tendances vont se maintenir.
L’électrification des usages est au-dessus de 30% pour les bâtiments et près de 30%pour l’industrie. Elle progresse vigoureusement dans le transport. L’électricité, aujourd’hui le plus grand fournisseur d’énergie utile, est devenue le roi du secteur, selon Kingsmill et ses collègues qui désignent la Chine comme le premier électro-état du monde avec son rythme d’électrification de 10% par décennie.
L’efficacité énergétique, puissante force invisible des changements en cours dans le secteur, a réduit la croissance de la demande d’énergie plus que tout autre facteur depuis 2010, selon les auteurs. Sur la dernière décennie cette réduction a été de l’ordre de 20% de la demande mondiale d’énergie, précisent-ils.
Ces trois moteurs des changements «°œuvrent de concert » pour réduire la part des combustibles fossiles dans les mix énergétiques, nationaux, régionaux et mondiaux. Les pics et les déclins observés en termes d’ajouts de capacités annuelles d’électricité fossile, d’investissement gazier et pétrolier, de ventes de véhicules thermiques, et de demandes dans différents secteurs d’activités (industrie, bâtiments, transport, production de chaleur) sont symptomatiques de cette réduction.
Ces évolutions sont en train de mettre au jour un système énergétique fondamentalement différent de l’actuel, selon les auteurs qui proposent un tableau comparatif quelque peu polémique pour rendre compte de ces différences.
Le prochain numéro du bulletin, centré sur la deuxième partie de l’article de Kingsmill et coll., traitera i) des implications de cette dynamique de croissance des moteurs des changements sur le système énergétique et sur la transition en cours, et ii) des efforts qui doivent être déployés pour réussir cette transition dans le délais requis.
[1] Ron Pernick and Clint Wilder, Harper Business, June 2007
[2] IEA, Energy Technology Perspectives 2024, 30 octobre 2024, https://www.iea.org/reports/energy-technology-perspectives-2024
[3] Kingsmill Bond, Sam Buyler Sloss and Daan Walte, The Cleantech Revolution: It’s Exponential, disruptive and now, RMI, June 2024, https://rmi.org/wp-content/uploads/dlm_uploads/2024/07/RMI-Cleantech-Revolution-pdf-1.pdf
[4] Kingsmill Bond and Sam Butler-Sloss, Peaking : Peaking: Why Peaks Matter. The Turning Point from Growth to Decline, 2022, https://rmi.org/insight/peaks-why-they-matter/