Bulletin GSI de mars 2025
Sibi Bonfils, GSI
- Introduction
L’accès universel aux services énergétiques modernes est un des principaux enjeux de développement autour duquel se sont développées, au cours des dernières décennies, les initiatives les plus variées. L’Agenda 2030 en a fait l’un de ses Objectifs, l’ODD7, Garantir l’accès de tous à des services énergétiques fiables, durables et modernes, à un coût abordable. Il est le cœur de cible de l’initiative Énergie durable pour tous (SE4AL – Sustainable Energy For All) lancée en 2011 par le Secrétaire Général des Nations Unies[1]. Dans le scénario Zéro Émissions nettes d’ici 2050 (ZEN2050)[2] de l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE – IEA), il est positionné comme l’un des jalons-clés de l’atteinte de la carboneutralité. « Les réductions des émissions doivent aller de pair avec les efforts visant à garantir l’accès à l’énergie pour tous d’ici 2030°», indique l’AIE.
Services énergétiques fiables, durables et modernes à coût abordable
Les services énergétiques fiables, durables et modernes à coût abordable font référence à l’accès à des sources d’énergie qui répondent à plusieurs critères essentiels pour le développement économique, social et environnemental. Ces critères sont souvent associés aux objectifs de développement durable (ODD), en particulier l’ODD 7, qui vise à garantir l’accès de tous à des services énergétiques fiables, durables et modernes, à un coût abordable. Voici une explication détaillée de chaque composante :
1. Fiabilité : Les services énergétiques doivent être disponibles de manière constante et prévisible. Cela signifie que les interruptions de service doivent être minimales, et que l’infrastructure énergétique doit être robuste et capable de résister à des perturbations, qu’elles soient d’origine naturelle ou humaine.
2. Durabilité : Les services énergétiques doivent être fournis de manière à minimiser leur impact sur l’environnement. Cela implique l’utilisation de sources d’énergie renouvelables (comme l’énergie solaire, éolienne, hydraulique, géothermique, etc.) et la réduction des émissions de gaz à effet de serre. La durabilité inclut également la gestion responsable des ressources naturelles pour les générations futures.
3. Modernité : Les services énergétiques modernes impliquent l’utilisation de technologies avancées et efficaces. Cela peut inclure des réseaux électriques intelligents (smart grids), des systèmes de stockage d’énergie, des appareils électroménagers et industriels à haute efficacité énergétique, ainsi que des solutions numériques pour optimiser la production et la consommation d’énergie.
4. Coût abordable : L’énergie doit être accessible à un prix raisonnable pour tous les segments de la population, y compris les ménages à faible revenu. Cela signifie que les coûts de production, de distribution et de consommation de l’énergie doivent être maintenus à un niveau qui ne constitue pas un fardeau disproportionné pour les utilisateurs finaux.
En résumé, les services énergétiques fiables, durables et modernes à coût abordable sont essentiels pour promouvoir le bien-être humain, soutenir le développement économique et protéger l’environnement. Ils jouent un rôle crucial dans la lutte contre la pauvreté, l’amélioration de la santé et de l’éducation, et la réduction des inégalités sociales et économiques.
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Dans l’acception courante, la problématique de l’accès aux services énergétiques modernes se pose en termes d’accès à l’électricité et à la cuisson propre. Et dans ce contexte, les niveaux des défis à relever sont connus et font l’objet d’un suivi scrupuleux de la part de plusieurs agences spécialisées (voir ci-dessous). « 685 millions de personnes vivaient encore sans accès à l’électricité en 2022, tandis que 2,1 milliards dépendent toujours de combustibles de cuisson nocifs », indique la dernière édition de leur rapport, Tracking SDG 7: The Energy Progress Report[3].
C’est l’Afrique Sub-Saharienne (ASS) qui abrite la majeur partie de ces déshérités de l’énergie, soit 83,4% des personnes sans accès à l’électricité et 44,3% des personnes qui dépendent totalement de la biomasse pour répondre à leurs besoins de cuisson et de chauffage.
Mission 300, objet de ce numéro du bulletin, participe des initiatives prises à différents niveaux pour réduire, voire éliminer, les déficits d’accès dont pâtit cette Région. Le bulletin la présente à travers son objet, ses objectifs et son contenu et examine comment elle s’inscrit dans les autres dynamiques traitant de l’accès aux services énergétiques modernes dans la Région. S’appuyant sur quelques chiffres et graphiques clés du rapport Tracking SDG7 et d’autres publications, il illustre en amont, de façon succincte, le contexte, les enjeux et défis de l’accès.
- Quelques faits et chiffres clés du défi de l’accès
Le rapport de Suivi de l’ODD7 (Tracking SDG 7: The Energy Progress Report) est à sa 10ème édition. Il est publié chaque année par les 5 agences gardiennes de l’ODD 7 que sont l’Agence internationale de l’énergie (AIE – IEA), l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA), la Division de statistique des Nations Unies (DSNU – UNSD), la Banque mondiale (BM – WB) et l’Organisation mondiale de la santé (OMS – WHO). Il fournit à la communauté internationale un tableau de bord mondial rendant compte des progrès réalisés en matière d’accès à l’énergie, d’efficacité énergétique, d’énergie renouvelable et de coopération internationale sur l’ODD 7.
Voici les principales conclusions de l’édition 2024 de Tracking SDG7 en ce qui concerne l’accès aux services énergétiques modernes :
- Le nombre de personnes vivant sans électricité a augmenté pour la première fois depuis plus d’une décennie, soit 10 millions de plus qu’en 2021. L’Afrique subsaharienne qui concentre plus de 80 % de ces personnes a vu son déficit d’accès se creuser par rapport aux niveaux de 2010.

- Le monde est toujours loin de l’objectif de l’accès universel à des modes de cuisson propres d’ici 2030. La majeur partie des 2,1 milliards de personnes qui continuent d’utiliser des techniques et des combustibles polluants pour cuisiner se retrouve principalement en Afrique subsaharienne et en Asie

Les ménages sans accès à la cuisson propre « consacrent jusqu’à 40 heures par semaine à la collecte de bois et à la préparation des repas, ce qui empêche plus particulièrement les femmes de travailler ou de prendre part aux organes de décision locaux et les enfants d’aller à l’école », indique le rapport, ajoutant que « la pollution de l’air intérieur causée par l’utilisation de techniques et de combustibles polluants pour la cuisson des aliments entraîne 3,2 millions de décès prématurés chaque année ».
- Les politiques actuelles ne permettront pas de changer la donne en ce qui concerne l’accès aux services énergétiques modernes. En 2030, indique le rapport, 660 millions de personnes n’auront toujours pas accès à l’électricité et environ 1,8 milliard à des technologies et des combustibles de cuisson propres, si ces politiques n’évoluent pas.
Pour changer cette donne en ce qui concerne tout particulièrement l’Afrique, l’Agence internationale de l’énergie (AIE – IEA) propose, dans son Scénario Afrique durable mis au point dans le cadre des Perspectives énergétiques pour l’Afrique (Africa Energy outlook) qu’elle a réalisées en 2022[4], des stratégies et des axes novateurs de développement du système énergétique africain. Considérant que « l’énergie abordable pour tous les Africains est la priorité immédiate et absolue », l’AIE préconise des stratégies permettant d’accélérer les rythmes i) de raccordement à l’électricité (90 millions de personnes par an d’ici 2030) et ii) d’abandon des combustibles polluants (130 millions de personnes par an d’ici 2030) pour un investissement de 25 milliards de dollars par an (le coût d’un seul terminal de GNL, précise-t-elle) dans des techniques et technologies appropriées (cf. figure ci-dessous)
.

C’est dans cette perspective générale visant le changement de la donne pour l’accès aux services énergétiques modernes en Afrique en général, et en Afrique subsaharienne en particulier, que s’inscrit Mission 300 présentée ci-après.
- Mission 300
3.1 Objet et objectifs
Mission 300 est une initiative conjointe de la Banque Africaine de Développement (BAfD) et de la Banque mondiale (WB) dont l’objectif central est de réduire de moitié, d’ici 2030, le nombre actuel d’Africains n’ayant pas accès à l’électricité. Elle met en œuvre, dans cette perspective une combinaison de technologies réseau et hors réseau. Elle vient en complément, précisent les deux partenaires, à d’autres efforts visant à élargir l’accès à l’énergie pour les usages productifs, sociaux, commerciaux et industriels.

Les engagements respectifs des deux partenaires sont de 250 millions de personnes raccordées, pour la WB, et de 50 millions pour la BAfD, d’ici 2030.
3.2 Actions et moyens engagés ou envisagés
Les partenaires mettent à contribution, en les focalisant sur ces axes d’intervention, l’ensemble de leurs instruments et mécanismes internes de développement, de financement et de mise en œuvre de projets. Il s’agit notamment de l’assistance technique, des mécanismes de garantie, des subventions et des financements dédiés au privé.

Ils envisagent plus spécifiquement i) d’accroître la part de leurs dépenses consacrées à l’accès à l’énergie et ii) de mettre à l’échelle de l’ambition de mission 300, leurs portefeuilles de projets régionaux ou nationaux qui permettraient d’accélérer le rythme de l’électrification.
La Banque Mondiale (BM) annonce une bonification des financements du secteur de l’énergie en Afrique entre 2024 et 2030. Ces financement passeraient de 3 milliards par an en moyenne à 5 milliards dont « une part significative serait dédiée à Mission 300 ». Elle cite une série de programmes régionaux et nationaux sur lesquels porteraient ses efforts de rationalisation et de mise à niveau ou d’extension, notamment ASCENT en Afrique de l’EST et en Afrique australe, DARES au Nigéria qui inspirerait un DARES régional, RESPITE en Afrique de l’Ouest[5].
La Banque Africaine de Développement (BAfD) pour sa part, met de l’avant toutes les initiatives dont elle est partie ou qu’elle a prises dans le cadre de la Priorité Éclairer l’Afrique et l’alimenter en énergie de ses 5 Grandes Priorités pour l’Afrique d’ici 2030. « Accélérer l’accès des pays membres régionaux à une énergie moderne, fiable, abordable et universelle, incluant l’électricité et des solutions de cuisson propre, pour leurs populations et secteurs productifs » n’est-il pas le tout premier objectif de ce pilier? On peut notamment citer, comme initiatives, le Fonds pour l’énergie durable (SEFA), l’Initiative Désert-to-Power dans le Sahel (DtP), le Marché Africain de l’énergie, la Facilité pour l’inclusion énergétique, les fonds climat[6].
3.3 Des parties prenantes clés
Pour réussir la Mission 300, les partenaires ont convenu de fédérer les efforts de différentes parties prenantes dont les première sont les gouvernements nationaux. Les partenaires au développement et le secteur privé sont autant d’autres parties appelées à jouer des rôles clés. Le schéma ci-dessous donne un aperçu de ces différents rôles.

Les gouvernements nationaux assurent le leadership politique. Par-dessus tout, ils sont chargés de concevoir et mettre en œuvre des réformes, des politiques et des programmes s’inscrivant dans la dynamique de l’accélération de l’accès aux services énergétiques modernes. Chacun est ainsi tenu de se doter d’un Pacte énergétique national qui fixe des cibles pour renforcer l’accès à l’électricité, accroître la part des énergies renouvelables et attirer des capitaux privés supplémentaires. Les deux graphiques ci-dessous donnent un aperçu des contributions de ces pactes à la mission 300.


3.4 Un sommet qui trace la voie à suivre
Au cours du Sommet africain de l’énergie qui s’est tenu en janvier 2025, 12 pays (Côte d’Ivoire, Libéria, Madagascar, Malawi, Mauritanie, Niger, Nigeria, République démocratique du Congo, Sénégal, Tanzanie, Tchad, Zambie) ont présenté leurs pactes énergétiques nationaux qui sont accessibles sur le site de mission 300[7].
Ce Sommet a permis d’autres avancées. Une cinquantaine de dirigeants de gouvernements africains ont adopté laDéclaration de Dar es Salam[8]dans laquelle ils s’engagent à « poursuivre des objectifs ambitieux mais réalisables en matière d’accès à l’électricité et à des solutions de cuisson propres, augmenter la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique et accroître la mobilisation des capitaux privés ». De nouveaux partenaires se sont joints à la Mission et de nouvelles annonces de financement ont été faites. Le communiqué de presse[9] publié à l’issue du Sommet chiffre ces annonces à plus 50 milliards de dollars. Les deux partenaires, la BAfD et le WBG ont lancé Zafiri, une société d’investissement qui soutient les entreprises d’énergie répartie dirigées par le secteur privé. Le schéma ci-dessous résume ces avancées.

Mission 300 séduit de toute évidence. L’afflux de nouveaux partenaires et les sommes déjà mobilisées l’attestent. La Déclaration de Dar es Salam qu’ils est recommandé de soumettre à l’Union Africaine (UA) pour considération et adoption, le confirme tout en actant l’adhésion des plus hautes autorités africaines à la dynamique créée. Cependant, la référence explicite que fait la Déclaration aux « efforts déployés par l’Union africaine dans le cadre de l’Agenda 2063, l’Afrique que nous voulons[10], en faveur de l’accès à l’énergie, de la sécurité énergétique et de l’intégration régionale », sonne comme un rappel quant à la nécessité de prendre en compte, dans la conduite de Mission 300, ce que les africains veulent en matière d’énergie.
- Mission 300 et les initiatives régionales d’accès à l’énergie
Plusieurs initiatives, d’envergure et d’ambitions différenciées, traitent de la problématique de l’accès à l’énergie en Afrique. Certaines sont très ciblées comme Mission 300 centrée sur l’accès à l’électricité, ou Africa Clean Cooking Alliance centrée sur l’accès à la cuisson propre. D’autres bien plus ouvertes, couvrent, en plus du confort domestique et des infrastructures sociales, les activités productives de biens et services en agriculture, dans l’industrie extractive et manufacturière, le transport et le commerce.
4.1 Le pilier Éclairer l’Afrique et l’alimenter en énergie des 5 Grandes Ambitions que la Banque Africaine de Développement nourrit pour l’Afrique d’ici 2030, tient de ces dernières initiatives, comme l’attestent clairement deux de ses principaux objectifs :
- « Accélérer l’accès des pays membres régionaux à des services d’énergie modernes, universels, fiables et abordables – y compris l’électricité et des solutions de cuisson propres – pour leurs populations et leurs secteurs productifs;
- Mettre en place des réseaux électriques intrarégionaux et interrégionaux solides qui appuieront le développement d’un réseau électrique continental interconnecté, lequel reliera les pools énergétiques actuels et facilitera l’établissement d’un marché unique africain de l’électricité »
Ce pilier participe résolument des efforts déployés ici et là sur le continent pour construire le système énergétique que veulent les Africains, au même titre que L’AfSEM (African Single Electricity Market – Marché unique africain de l’électricité), le CMP (African Continental Power System Masterplan – Plan directeur du système électrique continental) et le PIDA[11] ( Program Infrastructure Development for Africa – Programme de développement des infrastructures en Afrique) cités par la Déclaration de Dar es Salam pour illustrer les efforts que l’UA déploie en faveur de l’énergie.
Le Plan Directeur continental africain (PDC – CMP)
Le PDC est le plan directeur de la Vision verte de l’Afrique, Il vise à créer un réseau électrique unique pour le Continent. Il est mis en œuvre par l’AUDA-NEPADSon principal objectif est de réduire le déficit d’accès à l’électricité et à d’assurer un partage équilibré de ressources énergétiques abordables, fiables et propres. Il rassemble plus de 100 acteurs africains chargés de repenser la planification énergétique du continent et de co-créer des solutions pour lutter contre la précarité énergétique
.Le PDC.a déjà franchi plusieurs étapes importantes vers son objectif de réseau électrique unique pour l’Afrique :
+ Évaluation des prévisions de la demande continentale du scénario de référence d’ici 2040
+ Évaluation des ressources disponibles et projections de coûts pour les technologies énergétiques
+ Identification des scénarios de planification pour relever les défis des cinq régions africaines d’une manière propice aux aspirations futures décrites dans l’Agenda 2063 de l’Afrique
+ Démonstration de la capacité des technologies de l’information à soutenir le stockage et la mise à jour des données énergétiques clés
Source : AUDA-NEPAD, https://nepad.org/continental-master-plan
Tous ces programmes contribuent à bâtir le système énergétique idoine pour l’Agenda 2063, l’Afrique que nous voulons, dont les Chefs d’État et de Gouvernement du Continent ont lancé la préparation en 2013 lors du Sommet du Jubilé d’Or marquant le cinquantième anniversaire de la création de l’Organisation de l’Unité Africaine, devenue depuis 2002, l’Union Africaine. L’Afrique que nous voulons est le Cadre stratégique d’action qu’ils se sont donné pour construire au cours des 50 prochaines années une « Afrique intégrée, prospère et pacifique, dirigée par ses propres citoyens, et représentant une force dynamique sur la scène internationale ».
L’énergie tient une place déterminante dans ce Cadre stratégique. Trois des projets phares, quick-win, du premier plan décennal de ce Cadre y sont étroitement liés. Il s’agit i) de la Stratégie africaine des matières premières et ii) du Réseau intégré de train à grande vitesse, qui reposent sur la disponibilité de l’énergie et son abondance en termes de puissance (GW) et d’énergie (TWh); et iii) de la Réalisation du barrage d’Inga qui changerait de fond en comble la donne énergétique continentale.
Trois projets phares, quick-win, du premier plan décennal de l’Agenda 2063
+ Stratégie africaine des matières premières: Permettre aux pays africains d’ajouter de la valeur, de tirer des rentes plus élevées de leurs produits, de s’intégrer dans les chaînes de valeur mondiales et de promouvoir la diversification verticale et horizontale ancrée dans la valeur ajoutée et le développement de contenu local.
+Réseau intégré de trains à grande vitesse: Connecter toutes les capitales et tous les centres commerciaux africains grâce à un système africain de trains à grande vitesse pour faciliter le mouvement des biens, des services et des personnes, réduire les coûts de transport, alléger la congestion des systèmes actuels et futurs.
+ Exécution du projet du Barrage Grand Inga: Le développement optimal du barrage d’Inga va générer 43.200 MW de puissance électrique (PIDA) pour soutenir les pools énergétiques régionaux actuels et leur interconnexion en vue de transformer les sources traditionnelles de l’Afrique en sources modernes d’énergie et faire en sorte que tous les Africains aient accès à une électricité fiable et abordable.
Deux travaux prospectifs de fond menés au cours des dernières années sur le système énergétique africain méritent d’être signalés ici. Ils proposent et décrivent un système énergétique qui répond à la fois aux besoins des populations et aux besoins des secteurs productifs, en conformité avec les aspirations de l’Agenda 2063.
4.2 L’étude Developing Africa Energy Interconnexion (AEI) to promote the Co-development of Electricity, Mining, Metallurgy, Manufacturing and Trade[12][13] a été publiée en novembre 2019. C’est le volet africain de l’ambitieux projet Global Energy Interconnexion (GEI – Interconnexion énergétique mondiale) proposé aux Nations Unies par la Chine pour relever les défis majeurs auxquels est confronté le développement énergétique mondial, en répondant notamment à la demande mondiale d’électricité avec des alternatives propres et vertes.
L’AEI propose, pour la production d’électricité en Afrique, d’investir massivement dans l’exploitation des ressources énergétiques propres dont l’Afrique est abondamment pourvue, soit l’hydo, l’éolien et le solaire, représentant respectivement 12%, 32% et 40% des totaux mondiaux. Le Barrage d’Inga est le projet structurant mis de l’avant dans ce cadre
Un vaste réseau d’interconnexion dans les régions, et entre les régions, ainsi qu’avec l’Asie (Moyen-Orient) et l’Europe (voir Annexe) permet i) de répartir et distribuer dans les régions et les pays les colossales ressources électriques ainsi mobilisées et ii) de la sorte accélérer l’accès de tous à de l’énergie durable à un coût rendu abordable grâce aux ressources financières recueillies avec les interconnexions intercontinentales et le modèle de développement suggéré.
Le modèle de développement que l’AEI suggère repose sur le développement concomitant de l’électricité, des mines, de la métallurgie, de l’industrie et du commerce (voir Annexe). C’est un modèle qui vise à créer les conditions pour qu’émerge un cercle vertueux de développement permettant à l’Afrique de transformer ses avantages en ressources en avantages économiques, comme dans la perspective de l’Afrique que nous voulons.
L’investissement total d’ici 2050 se monterait à un total de 3,2 trillions de dollars dont, 2 pour la production, et 1,2 pour les réseaux de transport d’électricité. Cela représenterait en moyenne 2 milliards de contribution par an et par pays africain. C’est bien loin d’être de la mer à boire.

4.3 L’étude Africa Energy Outlook[14][15] (Perspectives énergétiques africaines) a été publiée en 2022 par l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE – IEA). Elle a été réalisée en coopération avec la Commission de l’Union africaine, la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique et plus de 20 experts africains de 15 pays différents, selon l’AIE.
Elle s’est tout particulièrement intéressée à 4 domaines clés pour l’action politique traitant, selon l’AIE, « des préoccupations énergétiques majeures de l’Afrique essentielles pour l’avenir ». Il s’git i) de l’Accès universel à l’électricité et à la cuisson propre, ii) de la Transformation du secteur électrique, iii) du Rôle des ressources énergétique, les fossiles, les minéraux critiques et l’hydrogène vert notamment, et iv) de la Mobilisation des financements.
Dans le Scénario Afrique Durable (Sustainable Africa Scenario – SAS ) que l’AIE recommande pour l’Afrique :
- Une énergie abordable pour tous les Africains est la priorité immédiate et absolue. Cet objectif est atteint avec 25 milliards de dollars d’investissement par an d’ici 2030;
- La demande d’énergie dans l’industrie, le fret et l’agriculture augmente de près de 40 % d’ici 2030 notamment pour la production d’engrais, d’acier et de ciment – ainsi que la fabrication d’appareils électroménagers, de véhicules et de technologies d’énergie propre. Dans ce contexte, l’efficacité énergétique permet de modérer la croissance de la demande et des importations de carburants.
- L’électricité est l’épine dorsale des nouveaux systèmes énergétiques de l’Afrique, alimentés de plus en plus par les énergies renouvelables, le solaire, l’éolien, l’hydroélectricité et la géothermie qui représentent plus de 80% des nouvelles capacités de production d’électricité d’ici 2030.
- La production de gaz et de pétrole vise principalement à répondre à la demande de l’Afrique. L’industrialisation (engrais, métallurgie, ciment, désalinisation) repose sur l’expansion de l’utilisation du gaz naturel.
- L’opportunité économique majeure que représentent les minéraux critiques est pleinement saisie. Mieux gérées, ces ressources dont l’Afrique dispose en abondance (40 % des réserves mondiales de cobalt, de manganèse et de platine) permettent de créer de nouveaux marchés et d’importantes source de revenus et d’emplois rémunérateurs.
Pour atteindre tous ces objectifs, il faudra plus que doubler les investissements dans le secteur de l’énergie d’ici 2030, pour les porter à environ 190 milliards de dollars par an, indique l’AIE, ajoutant que cela « ne représente encore qu’environ 5% du total mondial des investissements énergétiques dans le scénario Zéro émissions nettes d’ici 2050 ». Vu de l’Afrique, cela ne représente que 0,6 milliards de dollars par an et par pays. C’est également loin de la mer à boire.

Ces deux travaux prospectifs, Africa Energy Interconnexion et Africa Energy Outlook, donnent la pleine mesure de ce que l’Afrique peut réaliser en tirant un juste avantage des ressources énergétiques et minérales dont elle dispose en abondance. Ils montrent qu’elle peut construire un système énergétique qui garantit à la fois i) l’accès universel aux services énergétiques modernes à sa population, et ii) l’accès à l’énergie durable dont ses secteurs productifs (agriculture, industries minières et manufacturières, commerce) ont besoin pour se déployer. Elle peut surtout construire le système énergétique dont elle a besoin pour réaliser l’Agenda 2063, l’Afrique que veulent les Africains, en même temps que l’Agenda 2030 pour le développement durable.
L’investissement requis, une fraction dérisoire (5%) des investissements énergétiques du Scénario ZEN2050, selon l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE), restent largement à la portée de l’Afrique, surtout avec l’appui de ses partenaires au développement.
L’engouement que suscite Mission 300 auprès de ces partenaires et les ressources (financières, techniques, managériales ou de communication) qu’ils sont en train d’y consacrer donnent la mesure de ce qu’il est possible de réussir quand l’objectif poursuivi est clairement défini.
Cela permet d’espérer que Mission 300 ouvrira la porte à Mission Plan directeur continental Africain (CMP) ou plus largement Mission Afrique durable (SAS) dans la droite ligne de l’énergie dont l’Afrique a besoin pour réaliser l’Agenda 2063 en même temps que l’Agenda 2030 pour le Développement durable.
- Conclusion
Ce numéro du bulletin porte sur Mission 300, une initiative conjointe de la Banque Africaine de Développement (BAfD) et de la Banque mondiale (WB) dont l’objectif central est de réduire de moitié, d’ici 2030, le nombre actuel d’Africains n’ayant pas accès à l’électricité.
Le bulletin présente la Mission à travers son objet, ses objectifs et son contenu et le met en perspective avec d’autres initiatives régionales traitant de l’accès à l’énergie durable. S’appuyant sur quelques chiffres et graphiques clés du rapport Tracking SDG7 des Agences gardiennes de l’ODD7, et d’autres publications, il illustre en amont, de façon succincte, le contexte, les enjeux et défis de l’accès.
Voici quelques-uns de ces chiffres qui sont du reste bien connus.
En 2022, près de 700 millions de personne n’ont pas accès à l’électricité dans le monde et plus de 2 milliards dépendent entièrement des techniques et des combustibles polluants pour répondre à leur besoin de cuisson et de chauffage.
La majeur partie de ces déshérités de l’énergie, 83,4% des personnes sans accès à l’électricité et 44,3% des personnes sans accès à la cuisson propre, se recrutent en l’Afrique Sub-Saharienne (ASS).
Selon Tracking SDG7, les politiques actuelles ne sont pas vraiment en mesure de changer la donne en ce qui concerne l’accès universelaux services énergétiques modernes.
Mission 300 participe des initiatives prises à divers niveaux en Afrique subsaharienne pour changer cette donne. En combinant les technologies réseau et hors réseau électrique, elle met en œuvre diverses stratégies visant à « connecter 300 millions d’africains à l’électricité d’ici 2030 ».
Les stratégies sont de nature variée. Elles vont de l’accélération des raccordements, à l’amélioration des performances secteur national d’électricité, en passant par le développement de sources de production à faible coût et par les interconnexions et les échanges commerciaux d’électricité entre pays, sous-régions et régions.
Les stratégies tiennent aussi de la mobilisation de différentes autres parties prenantes sur les cibles de Mission 300, le secteur privé et la société civile, les partenaires au développement et les gouvernements. Ces derniers, qui assurent le leadership politique de Mission 300, sont tous appelés à se doter d’un Pacte énergétique national qui fixe des cibles pour renforcer l’accès à l’électricité, accroître la part des énergies renouvelables et attirer des capitaux privés supplémentaires.
Le bulletin met en perspective Mission 300 avec « les efforts déployés par l’Union africaine dans le cadre de l’Agenda 2063, l’Afrique que nous voulons, en faveur de l’accès à l’énergie, de la sécurité énergétique et de l’intégration régionale », efforts rappelés dans la Déclaration faite à Dar es Salam à l’issue du Sommet africain de l’énergie tenu en janvier dernier, dans le cadre des activités de Mission 300.
Ces efforts, ainsi que d’autres initiatives régionales et travaux visant des systèmes énergétiques propices aux aspirations de l’Agenda 2063, ont été brièvement exposés quant à leurs ambitions, leur portée et les niveaux d’investissement requis pour réaliser ces ambitions.
L’investissement requis reste largement à la portée de l’Afrique, surtout avec l’appui de ses partenaires au développement.
L’engouement que suscite Mission 300 auprès de ces partenaires et les ressources (financières, techniques, managériales ou de communication) qu’ils sont en train d’y consacrer donnent la mesure de ce qu’il est possible de réussir quand l’objectif poursuivi est clairement défini.
Puisse Mission 300 ouvrir la porte à une Mission Énergie pour l’Agenda 2063.
Annexes I : les Aspirations de l’Agenda 2063 et le Plan Directeur du Système électrique continental


Annexes II : Africa Energy Interconnexion – Interconnexion Énergétique Africain




[1] SE4ALL, Who we are, https://www.seforall.org/who-we-are
[2] IEA, Net Zero by 2050, https://www.iea.org/reports/net-zero-by-2050
[3] IEA, IRENA, UNSD, WB, WHO, Tracking SDG7, The Energy Progress Report 2024 https://trackingsdg7.esmap.org/downloads
[4] IEA, Africa Energy Outlook 2022, May 2023, https://iea.blob.core.windows.net/assets/220b2862-33a6-47bd-81e9-00e586f4d384/AfricaEnergyOutlook2022.pdf
[5] WBG, Mission 300 is powering Africa, https://www.worldbank.org/en/programs/energizing-africa/overview
[6] AfDB, Accélérer la transition énergétique de l’Afrique, https://www.afdb.org/fr/sommet-sur-lenergie-mission-300/accelerer-la-transition-energetique-de-lafrique
[7] Mission 300, National Energy compacts, https://mission300africa.org/energysummit/fr/pactes/
[8] Africa Energy Summit, Dar es Salam Declaration by the Africa Heads of State Energy Summit on providing access to electricity for 300 million people in Africa by 2030, Janvier 2025, https://www.tralac.org/documents/resources/africa/5777-mission-300-africa-energy-summit-dar-es-salaam-declaration-28-january-2025/file.html
[9] Sommet Africain de l’énergie, Communiqué de presse, https://www.banquemondiale.org/fr/news/press-release/2025/01/28/heads-of-state-commit-to-concrete-plans-to-transform-africa-s-energy-sector-with-strong-backing-from-global-partners
[10] Union Africainr, Agenda 2063 : L’Afrique que nous voulons, https://au.int/agenda2063/overview
[11] African Union, PIDA – Program Infrastructure Development for Africa, https://au.int/fr/node/3707
[12] GEIDCO, Developing Africa Energy Interconnexion (AEI) to promote the Co-development of Electricity, Mining, Metallurgy, Manufacturing and Trade, https://www.wto.org/library/events/event_resources/envir_0506202410/499_1564.pdf
[13] Global Shift Institute, L’AEI, le volet africain de l’Interconnexion Énergétique Mondiale, Mars 2020, https://www.globalshift.ca/laei-le-volet-africain-de-linterconnexion-energetique-mondiale/
[14] IEA, Africa Energy Outlook, WEO, Special Report, June 2022, https://www.iea.org/reports/africa-energy-outlook-2022
[15] Global Shift Institute, Rapport spécial de l’AIE sur les perspectives énergétiques de l’Afrique, février 2023, https://www.globalshift.ca/rapport-special-de-laie-sur-les-perspectives-energetiques-de-lafrique/