L’IDHP, une nouvelle mesure du progrès humain pour mieux cheminer dans l’Anthropocène

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Bulletin GSI de septembre 2024

L’IDHP, une nouvelle mesure du progrès humain pour mieux cheminer dans l’Anthropocène

Sibi Bonfils, GSI

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  1. Introduction

L’édition 2020 du Rapport sur le Développement Humain (RDH2020) du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) s’intitule « La prochaine frontière, le développement humain et l’Anthropocène[1] ». Publiée au cœur de la tourmente de la COVID19, cette édition du RDH a voulu marquer le 30ème anniversaire de ces rapports (les RDH) en offrant au monde un nouvel instrument de mesure du progrès humain, l’indice de développement humain ajusté aux pressions exercées sur la planète (IDHP).

Le RDH2020 établit qu’« aucun pays au monde n’a encore atteint un niveau de développement humain très élevé sans exercer une pression immense sur la planète ». Il rappelle les conséquences dévastatrices de cette pression en citant quelques faits marquants mondialement reconnus, la destruction de la couche d’ozone, la crise climatique, l’effondrement de la biodiversité, l’acidification des océans…

Ces faits, indique le RDH2020, montrent que « l’activité humaine est devenue une force dominante qui influe sur les principaux processus planétaires », une force qui est en train de façonner la planète à une échelle caractéristique d’un changement d’époque géologique. Selon le rapport, de plus en plus de scientifiques considèrent aujourd’hui qu’un tel changement s’est produit et que la terre est entrée dans « une nouvelle ère géologique, celle de l’anthropocène, l’âge des humains ».

Le nouvel instrument de mesure du progrès humain, l’IDHP, que propose le RDH2020, s’inscrit dans cette nouvelle dynamique. Il a été conçu pour « rendre compte à la fois des acquis du développement humain et des pressions exercées sur la planète » dans une perspective visant à doter les acteurs du développement humain d’un outil d’analyse qui devrait leur permettre de « mieux cheminer dans l’anthropocène ».

Ce numéro du bulletin porte sur l’IDHP tel que décrit dans le chapitre 7 du RDH2020. Il en propose une présentation synthétique après une brève introduction au RDH2020 et des rappels motivés sur l’Anthropocène.

  • Introduction au RDH2020

Le Rapport sur le Développement Humain de 2020 (RDH2020) a été publié au cœur de la pandémie de COVID-19. Intitulé La prochaine frontière, le développement humain et l’Anthropocène, ce rapport considère que cette pandémie et les nombreux échecs essuyés dans sa gestion sont les reflets i) des pressions exercées sur la nature et la société, et ii) des déséquilibres que ces pressions créent dans les deux sphères.

Le RDH2020 montre que ces pressions sont inséparables du modèle de développement courant, affirmant qu’«°aucun pays au monde n’a encore atteint un niveau de développement humain très élevé sans exercer une pression immense sur la planète », comme le montre la figure ci-dessous.

Ces pressions, indique le RDH2020, se sont aggravées de façon exponentielle au cours des 100 dernières années, « amenant la terre au bord du gouffre » et la précipitant dans « une nouvelle ère géologique, l’Anthropocène, l’ère des humains ».

Le principal objet du RDH2020 est ainsi, selon les auteurs, d’amener l’humanité i) à reconnaître le grand défi consistant à « faire progresser le développement humain tout en supprimant ces pressions », et ii) à prendre les moyens pour relever ce défi si l’humanité veut bien cheminer dans l’Anthropocène. « Si l’être humain a le pouvoir de créer une ère géologique entièrement nouvelle, c’est qu’il a aussi le pouvoir de choisir le changement », indique le RDH2020 avec un certain optimisme.

Le schéma ci-dessous donne la structure du rapport.

Le rapport de 334 pages comprend ainsi trois grandes parties invitant l’humanité à i) Repenser le développement humain sur une planète que des pressions sans précédent exercées par l’être humain (pressions anthropiques) ont précipité dans une nouvelle ère géologique, l’Anthropocène, ii) Agir pour le changement par l’autonomisation des populations, par la transformation des normes sociales, des comportements, de la gouvernance et de la gestion, et par le choix d’une voie de développement fondée sur la nature et non dirigée contre elle, et iii) Mesurer le développement humain et l’Anthropocène en se dotant de nouveaux paramètres de mesure permettant d’avoir une juste appréciation des progrès réalisés et des impacts inhérents, dans le but de mieux ajuster le chemin dans l’Anthropocène. L’Indice de Développement Humain tenant compte des Pressions exercées sur la planète (IDHP), est proposé come le nouvel instrument de mesure.

Une contribution spéciale d’Amartya Sen, intitulé Le développement humain et Mahbub ul Haq, introduit le RDH2020. Elle rappelle dans quelles circonstances sont nés le Rapport sur le Développement Humain (RDH) et le fameux Indice de Développement Humain (IDH) qui a fait la réputation de ce Rapport, rendant de la sorte un hommage mérité à leurs deux initiateurs, Amartya et Mahhub.

  • Rappels sur l’anthropocène

L’Anthropocène traduit l’idée que « l’être humain est désormais une force dominante dans la modification des processus du système terrestre ». Le concept met en cohérence les éléments de preuve qui attestent cela. Le tableau ci-dessous, proposé par le RDH2020, regroupe ces éléments de preuve résultant des observations et des analyses tirées des sciences de la nature, la science du système terrestre, la géologie et l’écologie.

C’est en confrontant les changements ainsi observés avec « les données paléoenvironnementales de l’Holocène » que des scientifiques du système terrestre ont constaté que « la planète fonctionnait dans un état qualifié de « non-analogue », c’est-à-dire sans précédent dans son histoire », et conclu à la sortie de l’Holocène pour une entrée remarquable dans une nouvelle ère géologique façonnée par l’homme.

Le graphique ci-dessous situe l’Anthropocène dans l’échelle des temps géologiques, tout de suite après l’Holocène.

Cette échelle, indique le RDH2020, raconte l’histoire de la planète à travers différentes périodes se comptant en milliers ou millions d’années et se distinguant par diverses caractéristiques comme le climat, l’apparition de la vie et les étapes de son évolution.

L’encadré ci-dessous, issu d’une recherche Internet effectuée avec l’IA Meta, donne des exemples concrets des changements de données paléoenvironnementales qui ne sont pas compatibles avec l’Holocène, mais qui caractérisent bien l’Anthropocène.

Des exemples concrets caractéristiques de l’Anthropocène, un changement d’ère géologique dû à l’être humain

1. Radio isotopes artificiels°: Les retombées radioactives des essais nucléaires ont créé une signature géochimique unique dans les sédiments
2. Métaux lourds dans les sols : L’activité humaine a entraîné une accumulation de métaux lourds tels que le plomb, le mercure et l’arsenic dans les sols
3. Changement de la composition chimique des océans : L’absorption de CO2 par les océans a entraîné une acidification, modifiant la chimie des eaux
4. Déforestation et transformation des paysages : La conversion de forêts en terres agricoles et urbaines a modifié les paysages et les écosystèmes
5. Sédiments anthropiques : Les activités humaines ont généré de nouvelles formes de sédiments, tels que les boues de dragage et les déchets de construction.
6. Changement des cycles biogéochimiques : L’activité humaine a perturbé les cycles naturels du carbone, de l’azote et du phosphore.
7. Perte de biodiversité : L’extinction d’espèces et la modification des communautés biologiques sont des indicateurs clés de l’Anthropocène.
8. Modification des patrons climatiques : Le réchauffement global et les changements des patrons météorologiques sont des preuves de l’influence humaine sur le climat.
9. Nouvelles formes de roches : La création de nouveaux matériaux, tels que le béton et les verres, a généré de nouvelles formes de roches.

Ces exemples illustrent les impacts significatifs de l’activité humaine sur l’environnement, suggérant que nous sommes entrés dans une nouvelle ère géologique, l’Anthropocène.

Source : IA Meta

Le RDH2020 donne d’autres exemples des « changements contemporains induits par l’être humain qui sont significatifs et détectables sur les échelles de temps de l’histoire de la Terre » et caractériseraient de ce fait l’Anthropocène. Au niveau des nouveaux matériaux, il cite l’aluminium élémentaire pur et le plastique qui ont été crées par l’homme et qui vont probablement lui survivre.

Il cite aussi des modifications majeures de la biosphère qu’il considère comme « une troisième étape, fondamentalement nouvelle, de l’évolution de la vie sur terre … : i) l’homogénéisation de la faune et de la flore par le transfert accidentel ou délibéré d’espèces à travers le globe, ii) la suprématie d’une espèce (l’être humain) qui consomme 25 à 40 % de la production primaire nette des terres, iii) l’intervention de l’être humain sur l’évolution des plantes et des animaux, qui marginalise les biomes naturels – une influence sans précédent depuis 2,4 milliards d’années, et iv) l’impact croissant des nouvelles technologies à mesure que la biosphère interagit avec la technosphère ».

Dans la biosphère de l’Anthropocène, indique-t-il, « les humains et les animaux élevés pour la consommation humaine dépassent [en nombre et masse] tous les vertébrés réunis (à l’exception des poissons), ajoutant que « près des trois quarts de la biosphère ont été transformés en biomes anthropiques – ou anthromes » avec les terres cultivées, les villes et les différentes infrastructures.

Ainsi, conclut-il, les sociétés humaines ont redéfini la trajectoire évolutive de la biosphère, une trajectoire qui se poursuivra, et qui laissera l’empreinte de ces sociétés sur la planète pendant des centaines de millions d’années.

Mais, indique le RDH2020, l’Anthropocène ne se résume pas à ces preuves physiques, incontestées, de l’impact sans précédent de l’activité humaine sur la Terre. Il « génère d’énormes incertitudes pour les individus et les sociétés » avec « de profondes répercussions sur le développement » dont il menace de renverser le cours (cf. figure ci-dessous), précise-t-il, ajoutant que ces tendances iraient s’intensifiant tout au long du 21e siècle, avec « des coûts humains dont les pays en développement devraient absorber la plus grande partie ».

Le RDH2020 donne par la suite une description ample des mutations planétaires et des chocs induits, comme i) l’affaiblissement des progrès économiques et l’accroissement des inégalités, ii) l’augmentation de la faim dans le monde, iii) les effets croissants des aléas naturels (chaleur extrême, élévation du niveau de la mer, pandémie) avec des risques majeurs de déplacements des populations et de perturbation des activités économiques.

Une radiographie de la pandémie de Covid-19 permet au RDH2020 d’illustrer ces risques et perturbations. Il cite, à titre d’exemple, la chute remarquable des taux d’activité des femmes due à la Covid-19 dans trois pays d’Amérique latine (cf. figure ci-dessous.

Ces brefs rappels sur l’Anthropocène donnent un aperçu de son importance dans la gouvernance du développement humain dont le devenir dépend des approches et des outils mis en œuvre pour en suivre et anticiper l’évolution. L’indice de développement humain revisité, proposé par le RDH2020, participe de ces outils.

  • L’IDHP ou l’Indice de Développement Humain ajusté aux Pressions exercées sur la planète

La troisième et dernière partie du RDH2020, intitulé Mesurer le développement humain et l’Anthropocène, porte essentiellement sur la révision de l’Indice de Développement Humain (IDH). Mis au point en 1990, avec comme paramètres de mesure, le Revenu national brut (RNB), l’Éducation et la Santé, l’IDH a fait l’objet de révisions successives ayant permis de prendre en compte, pour la mesure du développement humain, les inégalités, le genre et la pauvreté multidimensionnelle.

Avec ces révisions, mises en œuvre pour tenir compte de l’évolution du concept de développement humain, l’IDH a pu rester, au fil du temps, « un instrument très efficace pour guider le débat public et politique, et encourager ainsi la réorientation des objectifs et des actions » de développement.

A l’ère de l’Anthropocène, des facteurs et défis nouveaux devraient être considérés dans l’appréhension et la mesure du développement humain et de son devenir, indique le RDH2020, si l’on veut que l’instrument de sa mesure conserve toute son efficacité.

Pour faire évoluer les paramètres de mesure du développement humaine et les ajuster à l’Anthropocène, le RDH2020 a exploré les facteurs et défis suivants : i) une composante « revenus » révisée prenant en compte d’une part, la richesse totale comprenant le capital naturel et d’autre part les pressions exercées sur la planète (le RNB ne les prend pas en compte), ii) une mesure des inégalités entre et à l’intérieur des pays allant au-delà des moyennes, pour ne laisser personne de côté, iii) une bien meilleure appréhension de la durabilité en regardant au-delà de la préservation des ressources pour mieux prendre en compte les besoins des générations futures, iv) un tableau de bord évolué qui complète les indicateurs individuels.

Le tableau de bord évolué retenu comprend « des indicateurs visant à restituer les interactions complexes entre les êtres humains et les écosystèmes, mais aussi à suivre les progrès de chaque pays en matière de réduction des pressions exercées sur la planète et de rééquilibrage social ». La figure ci-dessous en propose une représentation.

Dans ce tableau de bord, les informations fournies sont organisées suivant quatre dimensions, indique le RHD2020, l’état du développement humain, les systèmes énergétiques, les cycles des matières et la transformation de notre avenir.

En ce qui concerne l’Indice recherché, les révisions sont guidées par la volonté de « repenser la voie du développement humain de sorte que l’expansion des libertés humaines soit également synonyme de réduction des pressions exercées sur la planète ». Mais l’indice retenu doit pouvoir représenter avec simplicité et clarté la « situation des populations et les pressions inédites qu’elles imposent à la planète », précise le RDH2020.

Le choix de l’IDH va de soi, indique le RDH2020, pour décrire la situation des populations. En ce qui concerne leurs pressions sur la planète, les ajustements proposés s’appuieraient sur les processus biophysiques et socioéconomiques à l’origine de ces pressions. Deux indicateurs représentatifs de ces processus ont été retenus pour ajuster l’IDH : les émissions de dioxyde de carbone par habitant et l’empreinte matières par habitant.

L’empreinte matière

L’empreinte matières d’un pays mesure la quantité de matières extraites (biomasse, combustibles fossiles, minerais métalliques et non métalliques) pour satisfaire la demande finale intérieure de biens et services, quel que soit le lieu d’extraction. Elle constitue un indicateur fondé sur la consommation, qui tient compte des échanges internationaux. L’empreinte matières indique en outre les pressions exercées sur la biosphère par les activités socioéconomiques, puisqu’elle inclut la consommation de biomasse ; elle témoigne ainsi indirectement des effets d’actions comme les changements d’affectation des sols sur la perte d’intégrité de la biosphère.

Source : PNUD, RDH2020

D’autres problèmes environnementaux tout aussi importants comme la perte d’intégrité de la biosphère ou comme ceux portés par les ODD, auraient pu être considérés pour construire les indicateurs de pression sur la planète.

Les choix opérés, avec les émissions de gaz à effet de serre et les flux de matières premières déjà bien documentés, ont été dictés par la volonté de respecter les caractéristiques de clarté et de simplicité recherchées pour le nouvel indice. De surcroît, souligne le RDH2020, « la réduction des flux de gaz à effet de serre et une utilisation plus efficiente des matières seraient les résultats d’une transformation économique et sociétale plus générale pour soulager la planète ».

Le nouvel indice, l’Indice de Développement Humain ajusté aux Pressions exercées sur la planète (IDHP) est obtenu en multipliant l’IDH par un coefficient d’ajustement (A). Ce coefficient « correspond à la moyenne arithmétique des indices mesurant les émissions de dioxyde de carbone par habitant (en rapport avec l’enjeu de l’abandon des combustibles fossiles pour l’énergie) et l’empreinte matières par habitant (en rapport avec l’enjeu de la clôture des cycles des matières premières) »

Le graphique ci-dessous propose un représentation visuelle du nouvel indice.

Ce qui ressort de ces définitions et représentations, c’est que L’IDHP et l’IDH d’un pays qui n’exerce aucune pression sur la planète seraient égaux, mais que l’IDHP baisse par rapport à l’IDH à mesure que les pressions augmentent.

Le RDH2020 recommande cependant de « prendre garde de ne pas fonder l’appréciation [de ce type d’ajustement] sur un jugement moral des pays, car certains n’ont peut-être pas d’autre choix que celui d’épuiser leur capital ». Ce qui lui permet de rappeler fortement le but recherché avec l’IDHP, lequel est de « motiver le changement en donnant aux pays un moyen d’évaluer leurs propres progrès dans le temps, ainsi qu’en faisant ressortir les pays qui avancent dans la bonne direction pour que les autres puissent s’en inspirer ».

Les analyses conduites avec le nouvel indice (l’IDHP) sont extrêmement riches d’enseignements dans cette dernière perspective.

Sur le premier graphique ci-dessous qui compare l’IDHP et l’IDH de 2019 pour 169 pays à différents niveaux de développement, on note que les valeurs de l’IDHP sont très proches des valeurs de l’IDH pour les pays en développement, ceux dont l’IDH est inférieur à 0,7.

Pour les pays dits développés, ceux dont l’IDH est au-dessus de 0,7, on observe des écarts nets entre l’IDH et l’IDHP. Ces écarts, qui augmentent avec le niveau de l’IDH et donc du développement, confirment que le développement tel qu’on l’appréhendait se traduit par des pressions sur la planète qui augmentent avec le niveau de développement.

Les évolutions comparées de l’IDH et de l’IDHP mondiaux entre 1990 et 2020, représentées sur la figure ci-dessous, confirment que les pressions exercées sur la planète augmentent avec la hausse de l’indice de développement humain (IDH).

Cette figure montre aussi que l’IDHP, qui reste Inférieur à l’IDH sur toute la période, progresse également plus lentement. Ce qui se traduit par un écart croissant entre l’évaluation conventionnelle du développement (l’IDH) et la nouvelle évaluation (l’IDHP) proposée pour adapter le progrès humain à l’Anthropocène.

Dans le graphique ci-contre qui représente l’évolution de l’IDHP (courbes de niveau) en fonction de l’IDH de 2019 et différents indices des pressions exercées sur la planète, la flèche bleue figure la dynamique susvisée. La flèche pointe vers la destination idéale (le triangle sombre en bas, à droite de la figure) où les pressions sont proches de zéro et l’IDHP de 1 et où le développement humain serait en harmonie avec l’Anthropocène.
Dans ce graphique, l’indice des pressions exercées sur la planète (IP) est égal à 1 moins le coefficient d’ajustement aux pressions exercées sur la planète (A) défini plus haut, IP=1-A.
Le graphique ci-dessous représente l’évolution de l’IDHP (les courbes de niveau) en fonction de différents indices des pressions exercées sur la planète et de l’IDH 2019 de 60 pays à développement humain très élevé.

Ce graphique montre i) que peu de ces pays, 10 sur 60, sont en-dessous de la courbe de niveau IDHP=0,8 correspondant à la zone de développement humain très élevé, du point de vue de l’IDHP, et ii) que ces 10 champions sont bien loin de la destination idéale (le triangle sombre en bas, à droite de la figure).

L’extrait ci-dessous du tableau qui présente les valeurs et les rangs des pays selon l’IDHP est également riche d’enseignements.

Ce tableau montre que les écarts d’IDHP sont relativement plus faibles (de l’ordre de 33%) que les écarts d’IDH (de l’ordre de 43%) pour les différents groupes de développement et régions du monde. Le RDH2020 indique que des pays comme le Costa Rica affichent une très forte progression entre l’IDH et l’IDHP, tandis que d’autres comme le Luxembourg et Singapour, fortement dépendants des hydrocarbures, affichent plutôt une régression.

Ces résultats, qui ressortent des graphiques et du tableau, confortent l’idée qu’un indice de développement humain qui tient compte des pressions exercées sur la planète peut changer notre perception du développement humain et motiver de nouvelles dynamiques de progrès humain orientées vers la réduction de ces pressions et en phase avec l’Anthropocène.

  • Conclusion

Ce numéro du bulletin porte sur l’Indice de développement humain ajusté aux pressions exercées sur la planète (IDHP), le nouvel indice de développement humain présenté dans le rapport sur le développement humain de 2020 (RDH2020). Il en propose une présentation synthétique après une brève introduction au RDH2020 et des rappels motivés sur l’Anthropocène.

Le RDH2020 intitulé La prochaine frontière, le développement humain et l’Anthropocène, établit, faits marquants à l’’appui, qu’«°aucun pays au monde n’a encore atteint un niveau de développement humain très élevé sans exercer une pression immense sur la planète ». Il montre que cette pression a fait de l’activité humaine « une force dominante qui influe sur les principaux processus planétaires », une force qui, selon de plus en plus de scientifiques, a précipité la Terre dans « une nouvelle ère géologique, celle de l’anthropocène, l’âge des humains ».

Le principal objet du RDH2020 est ainsi, selon les auteurs, d’amener l’humanité i) à reconnaître le grand défi consistant à « faire progresser le développement humain tout en supprimant cette pression », et ii) à prendre les moyens pour relever ce défi si l’humanité veut bien cheminer dans l’Anthropocène.

L’Anthropocène traduit l’idée que « l’être humain est désormais une force dominante dans la modification des processus du système terrestre ». Le concept met en cohérence les éléments de preuve qui attestent cela. Le RDH2020 cite plusieurs de ces éléments résultant des observations et des analyses tirées des sciences de la nature, et qui sont :

  •  Pour la science du système terrestre, le changement climatique, l’acidification des océans, la perte massive de biodiversité…;
  • Pour la géologie, les nouvelles matières d’origine purement humaine dans le sol et dans l’atmosphère, et qui vont sûrement nous survivre (aluminium, béton, plastique, radionucléides, sous-produits des essais nucléaires…) et;
  • Pour l’écologie, la conversion des écosystèmes en biomes anthropiques ou anthromes urbains et agricoles, les espèces envahissantes, l’harmonisation de la flore et de la faune au niveau mondial…

L’Anthropocène ne se résume cependant pas à ces preuves physiques, incontestées, de l’impact sans précédent de l’activité humaine sur la Terre, indique le RDH2020. Il « génère d’énormes incertitudes pour les individus et les sociétés » avec « de profondes répercussions sur le développement humain » dont il menace de renverser le cours.

L’Indice de développement humain ajusté aux pressions exercées sur la planète (IDHP), le nouvel instrument de mesure du progrès humain que propose le RDH2020, s’inscrit dans cette nouvelle dynamique. Il a été conçu pour « rendre compte à la fois des acquis du développement humain et des pressions exercées sur la planète » dans une perspective visant à doter les acteurs du développement humain d’un outil d’analyse qui leur permettrait de bien appréhender leurs traces dans l’Anthropocène et, de la sorte, d’y pouvoir mieux cheminer.

Des différents facteurs considérés pour ajuster l’ancien instrument de mesure du développement humain (l’IDH), le RDH2020 a retenu les émissions de dioxyde de carbone par habitant et l’empreinte matières par habitant comme indicateurs.

LIDHP a été construit à partir de ces indicateurs. Ilest obtenu en multipliant l’IDH par un coefficient d’ajustement (A). Ce coefficient « correspond à la moyenne arithmétique des indices mesurant les émissions de dioxyde de carbone par habitant (en rapport avec l’enjeu de l’abandon des combustibles fossiles pour l’énergie) et l’empreinte matières par habitant (en rapport avec l’enjeu de la clôture des cycles des matières premières) »

Les résultats des analyses conduites avec le nouvel indice (l’IDHP) et donnés dans le RDH2020 sous forme de graphiques et de tableaux, sont extrêmement riches d’enseignement. Ils confortent l’idée qu’un indice de développement humain qui tient compte des pressions exercées sur la planète peut changer notre perception du développement humain et motiver de nouvelles dynamiques de progrès humain orientées vers la réduction de ces pressions. C’est le meilleur gage pour l’humanité de mieux cheminer dans l’Anthropocène sans risquer d’en être éjectée.


[1] PNUD, Rapport sur le Développement Humain 2020 : La prochaine frontière, le développement humain et l’Anthropocène, 2020, https://hdr.undp.org/system/files/documents/hdr2020fr.pdf