Le refroidissement à l’état solide, une alternative prometteuse…

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Bulletin GSI de juin 2025

Sibi Bonfils, GSI

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  1. Introduction

Dans son étude publiée en mai 2018 sous le titre The Future of Cooling (L’avenir du refroidissement), l’Agence internationale de l’Énergie (AIE) attirait l’attention sur la « crise du froid » qui menaçait. Au cours des trois prochaines décennies, indiquait-elle, « l’utilisation des climatiseurs est appelée à monter en flèche, devenant l’un des principaux moteurs de la demande mondiale d’électricité ». 37% de la croissance de cette demande d’ici 2050, lui serait imputable, précisait-elle. Selon l’étude, les pays chauds dont « la plupart des foyers n’avaient pas encore acheté leur premier climatiseur » seraient à la base de cette « montée en flèche » alimentée par l’augmentation des niveaux de revenus, la croissance démographique, l’urbanisation et l’élévation des températures mondiales.

Pour juguler la crise annoncée, l’étude recommandait d’investir dans le refroidissement efficace, et notamment dans des climatiseurs plus performants qui permettraient, indiquait-elle, de réduire de moitié la demande d’énergie et les émissions de CO2.

Dans cette quête soutenue de technologies de refroidissement efficaces et respectueuses de l’environnement, une classe de technologies « sur le point de révolutionner le paysage du refroidissement » selon Lindsay Rasmussen et sa collègue Yulin Lou (LR, June 2025), sort du lot. Dans l’édition 2025 de sa publication phare, The State of Energy Innovation, l’AIE affirme que les systèmes de refroidissement à l’état solide basés sur ces technologies utilisant les propriétés des matériaux caloriques, constituent « une alternative prometteuse à la climatisation, au chauffage et à la réfrigération à compression de vapeur conventionnels, une alternative capable d’éliminer le besoin de réfrigérants hydrofluorocarbonés », de puissants gaz à effet de serre.

Ce numéro du bulletin porte sur les systèmes de refroidissement à l’état solide. Il s’appuie sur 3 articles récents et l’étude de l’AIE (AIE,2018) pour traiter de certains aspects de ces systèmes, le contexte général dans lequel ils se développent, les technologies en jeu ainsi que leurs perspectives d’évolution et de déploiement.

  1. Le contexte

Comme brièvement évoqué dans l’introduction, le contexte général dans lequel les systèmes de refroidissement à l’état solide se développent aujourd’hui est celui de la lutte contre les changements climatiques. Ce contexte est marqué par une élévation soutenue de la température moyenne à la surface de la planète. Le seuil de 1,5° C fixé par l’Accord de Paris aurait été atteint en 2024, année présentée comme la plus chaude jamais enregistrée, selon une publication récente de Earth System Science Data qui affirme que ce seuil pourrait même être dépassé d’ici 5 ans.

La « montée en flèche » de la demande de climatisation ou de réfrigération projetée par l’étude de l’AIE susvisée s’inscrit dans ce contexte marqué par ailleurs par une part importante de la population mondiale, 60% selon Rasmussen, « confrontée à des conditions de chaleur mortelles ». Peu de ces personnes ont accès à des solutions de refroidissement, lesquelles sont aujourd’hui concentrées, dans le cas de la climatisation, dans une poignée de pays, comme le montre le graphique ci-dessous.

Selon les projections de l’AIE, le stock de climatiseurs connaitrait une croissance exponentielle d’ici 2050, date à laquelle environ 2/3 des ménages dans le monde pourraient en disposer.

Le stock d’environ 1,6 milliards d’unités aujourd’hui, dépasserait les 5 milliards en 2050. Avec les systèmes de climatisation ou de réfrigération actuels utilisant principalement la compression de vapeur (95% des cas selon Rasmussen et coll.), « la demande d’énergie pour le refroidissement des locaux fera plus que tripler d’ici 2050, consommant autant d’électricité que l’ensemble Chine-Inde aujourd’hui », précise l’AIE. Ce qui pourrait hypothéquer à la fois les politiques i) de réduction des émissions de gaz à effet de serre et ii) d’accès universel aux services énergétiques modernes.

La recherche de solutions de refroidissement efficaces tire sa logique de cet état des faits.

Le renforcement de l’efficacité des systèmes existants est la voie préconisée par l’AIE à court terme. Les améliorations portent à la fois sur les réfrigérants, en privilégiant ceux à faible potentiel de réchauffement global (PRG) et sur les compresseurs.

Des approches moins traditionnelles, révolutionnaires selon les spécialistes, connaissent des développements remarquables. C’est notamment le cas des systèmes à compression de vapeur utilisant des dessiccants pour déshumidifier l’air avant refroidissement et qui permettraient de réduire la consommation d’énergie des systèmes traditionnels de 80% (Rasmussen,2025). C’est surtout le cas des systèmes de refroidissement à l’état solide permettant aussi de réduire notablement la consommation d’énergie tout en se passant des fluides frigorigènes qui restent de puissants gaz à effet de serre.

  1. Les systèmes de refroidissement à l’état solide

Les systèmes de refroidissement à l’état solide utilisent les effets caloriques de certains matériaux spécifiques, les matériaux caloriques. Il s’agit de matériaux dont l’entropie et la température peuvent être modifiées sous l’effet d’une force ou d’un champ externes. Lorsque le champ ou la force externes augmentent dans ces matériaux, leur entropie diminue et leur température augmente. Inversement, quand le champ ou la force externes diminuent, l’entropie augmente et la température diminue. Le schéma ci-dessous propose une illustration de cet effet dans le cas particulier de l’effet dit magnétocalorique.

Un long cheminement et des découvertes successives ont permis de transformer ces phénomènes de laboratoire en produits industriels extrêmement prometteurs pour l’avenir en ce qui concerne la climatisation, la réfrigération ou la production de chaleur. Le tableau ci-dessous, tiré du rapport de Sustainability Directory (SD, 2025), donne une chronologie de ces découvertes.

Ce sont ces processus qui sont mis à contribution pour développer des système de refroidissement ou de chauffage susceptibles de concurrencer, voire de remplacer, les systèmes traditionnels à compression de vapeur. Les quatre (4) principaux effets suivants sont de loin les plus utilisés dans les développements en cours. Le schéma ci-dessous donne un aperçu de ces effets ainsi que des forces et champs en jeu.

  1. Les avantages concurrentiels du refroidissement à l’état solide

Le graphique ci-dessous illustre quelques-uns des avantages attribués au refroidissement à l’état solide ainsi que ses domaines d’application.

Les deux principaux avantages militant en faveur de leur développement et de leur déploiement restent cependant i) leur potentielle plus grande efficacité énergétique, et i) le fait qu’ils n’ont pas besoin de fluides frigorigènes. 

Au niveau de l’efficacité énergétique, les tests en laboratoire et les prototypes mis au point ont permis de montrer, en ce qui concerne les technologies de refroidissement à l’état solide, des potentiels de performance énergétique beaucoup plus élevés que ceux des systèmes traditionnels de refroidissement comme le montre le graphique ci-dessous.

Sur ce graphique, certaines de ces technologies peuvent avoir un coefficient de performance (COP) supérieur à 10, soit près du double du COP des systèmes traditionnels à compression de vapeur, pour lesquels le meilleur score est d’environ 5,5. La généralisation de ces technologies permettrait ainsi de réduire de 20 à 47 % la consommation d’énergie nécessaire pour un même niveau de refroidissement (LR, June 2025). 

Les conséquences d’un tel niveau d’efficacité énergétique dans les systèmes de refroidissement seraient majeures : réduction de la consommation mondiale d’énergie pour le refroidissement et des coûts énergétiques chez les usagers, baisse des pressions sur les réseaux et sur les moyens de production d’électricité. Le DOE (USA) a par exemple estimé que le déploiement à grande échelle de systèmes de refroidissement à l’état solide de type élastocalorique, permettrait d’économiser jusqu’à 46 % de la demande américaine d’énergie pour le refroidissement, soit l’équivalent de 117 600 éoliennes en fonctionnement pendant un an (LR, June 2025).

Les systèmes de refroidissement à l’état solide permettent par ailleurs de se passer des fluides frigorigènes dont dépendent les systèmes de refroidissement à compression de vapeur standard. Les plus usités de ces fluides, aujourd’hui les hydrofluorocarbures, ont un pouvoir de réchauffement global (PRG) sur cent ans jusqu’à 14 800 fois supérieur à celui du CO2. Les fuites de ces fluides sont courantes, notamment pendant l’installation, la maintenance, le fonctionnement de l’équipement et en fin de vie. Elles peuvent aller de 4 à 22%par an. On estime à environ 30 % la contribution de ces fluides aux émissions totales des installations de refroidissement (LR, June 2025). Les risques réglementaires auxquels ces fluides sont aujourd’hui exposés avec la crise climatique, conduisent de plus en plus d’entreprises à chercher à s’en départir au profit de systèmes de refroidissement à l’état solide.

Certaines autres propriétés de ces système, une plus grande précision dans le contrôle des températures, leur modularité, la possibilité de les miniaturiser, un fonctionnement sans pièces mobiles permettant i) une marche silencieuse, ii) des besoins de maintenance réduits et iii) potentiellement une durée de vie prolongée, renforcent l’intérêt qu’ils suscitent et poussent à leur intégration dans les chaines de froid tant de l’électronique, de l’automobile, du médical, du résidentiel, que de l’industrie ou du commerce.

Ils sont aujourd’hui solidement implantés dans des marchés de niche, notamment i) dans le refroidissement des composants électroniques sensibles tels que les microprocesseurs, les lasers et les détecteurs infrarouges, en tirant avantage de leur compacité et de leur précision; ii) dans les réfrigérateurs portables pour le transport médical d’organes, le camping ou les usages personnels, en mettant à contribution leur portabilité, iii) dans les réfrigérateurs médicaux ou à vin, là où le fonctionnement silencieux et le respect de l’environnement sont prioritaires (cf. SD, 2025, pour d’autres applications de niche).

C’est le lieu de rappeler l’annonce faite par l’AIE dans l’édition 2025 de son étude, The State of Energy Innovation, en ce qui concerne le progrès des recherches sur ces systèmes. « En 2024, une start-up britannique, a développé le premier système de refroidissement solide capable d’égaler l’efficacité des systèmes traditionnels à compression de vapeur. Parallèlement, des chercheurs de l’École d’ingénierie de l’Université des sciences et technologies de Hong Kong ont augmenté de 48 % l’efficacité des systèmes de refroidissement élastocaloriques… » (IEA, 2025)

  1. Des obstacles à vaincre, des défis à relever

Malgré ces progrès qui commencent à se remarquer, plusieurs obstacles freinent encore l’adoption généralisée des systèmes de refroidissement à l’état solide. 

L’un des principaux obstacles demeure l’efficacité des dispositifs. De nombreuses technologies du domaine sont encore à la traîne en termes de coefficient de performance (COP), notamment pour les grands écarts de température (SD,2025).

Les matériaux de hautes performances mis à contribution ici utilisent pour certains des terres rares. Ils sont coûteux, rares et peuvent contenir des éléments toxiques, ce qui en limite les quantités disponibles et en entrave la durabilité.

La complexité et les coûts de fabrication des dispositifs sont autant d’autres défis à relever. « La fabrication de modules thermoélectriques multicouches complexes ou l’ingénierie de matériaux calorifiques avancés aux microstructures précises peuvent s’avérer coûteuses et difficiles à déployer en production de masse » (SD,2025).

Les matériaux ou les composants entrant dans la construction des appareils peuvent se dégrader au fil du temps, réduisant par là-même l’efficacité et la durée de vie de l’ensemble. Le maintien des performances dans le temps et sur de longues périodes est essentiel pour leur adoption hors de leurs niches actuelles.

Le refroidissement à l’état solide est une technologie jeune qui doit encore faire ses preuves auprès des utilisateurs finaux et des industriels. Pour une adoption plus large, la sensibilisation du public et des autres acteurs est importante. Il reste cependant « crucial de surmonter ces obstacles multiformes par la recherche continue, l’innovation et des investissements stratégiques si l’on veut exploiter pleinement le potentiel du refroidissement à l’état solide en tant que solution de refroidissement durable » (SD,2025).

Tout le savoir et le savoir-faire développés en physique des semi-conducteurs et en science des matériaux sont mobilisés à ces fins. L’intelligence artificielle (IA) apporte dans ce contexte un plus, notamment dans les simulations des dynamiques moléculaires, lesquelles sont nécessaires pour la conception de nouveaux matériaux ayant les propriétés requises.

  1. Conclusion

Ce numéro du bulletin porte sur les systèmes de refroidissement à l’état solide vus aujourd’hui comme une alternative prometteuse à la climatisation, au chauffage et à la réfrigération à compression de vapeur conventionnels, une alternative révolutionnaire selon certains auteurs. Il s’appuie sur plusieurs articles récents cités en référence.

Les systèmes de refroidissement à l’état solide utilisent les propriétés de matériaux spécifiques, les matériaux dits caloriques dont l’entropie et la température peuvent être modifiées sous l’effet d’une force ou d’un champ externes. Leur entropie diminue et leur température augmente lorsque le champ ou la force externes augmentent. Inversement, leur entropie augmente et la température baisse quand le champ ou la force externes diminuent (LR, 2025 ).

Le bulletin donne un bref aperçu i) de la science derrière les effets caloriques développés par ces matériaux et ii) de la façon dont ces effets sont mis à contribution dans les systèmes de refroidissement à l’état solide.

En amont, il rappelle le contexte général dans lequel ces systèmes sont en train de se développer. Ce contexte, celui de la lutte contre les changements climatiques, est caractérisé par une augmentation persistante de la température moyenne à la surface de la planète et par ce que l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE) appelle « la crise du froid » dont le bulletin expose quelques aspects. Les tendances projetées dans un tel contexte « indiquent une demande mondiale croissante de refroidissement, stimulée par le changement climatique et l’augmentation du niveau de vie, ce qui amplifie l’urgence de technologies de refroidissement économes en énergie et respectueuses de l’environnement » (SD,2025).

Les avantages comparatifs des systèmes de refroidissement à l’état solide sont par la suite présentés en insistant sur les deux principaux avantages qui militent en faveur de leur développement et de leur déploiement, à savoir, i) leur potentielle plus grande efficacité énergétique, et ii) le fait qu’ils n’ont pas besoin, comme les systèmes traditionnels, de liquides frigorigènes qui sont le plus souvent de puissants gaz à effet de serre.

Certaines autres propriétés de ces système, une plus grande précision dans le contrôle des températures, leur modularité, la possibilité de les miniaturiser, un fonctionnement sans pièces mobiles permettant i) une marche silencieuse, ii) des besoins de maintenance réduits et iii) potentiellement une durée de vie prolongée, renforcent l’intérêt qu’ils suscitent et poussent à leur intégration dans les chaines de froid tant de l’électronique, de l’industrie, de l’automobile, du médical, que du commerce ou du résidentiel.

Ils sont aujourd’hui solidement implantés dans des marchés de niche, notamment i) dans le refroidissement des composants électroniques sensibles tels que les microprocesseurs, les lasers et les détecteurs infrarouges, en tirant avantage de leur compacité et de leur précision; ii) dans les réfrigérateurs portables pour le transport médical d’organes, le camping ou les usages personnels, en mettant à contribution leur portabilité, iii) dans les réfrigérateurs médicaux ou à vin, là où le fonctionnement silencieux et le respect de l’environnement sont prioritaires (SD, 2025).

Ils participent en outre des solutions permettant de relever certains « défis émergents, dont i) la garantie d’un accès équitable au refroidissement dans les pays en développement, ii) l’atténuation de l’impact environnemental du refroidissement tout au long de son cycle de vie et iii) le développement de solutions de refroidissement résilientes aux impacts du changement climatique, tels que les températures extrêmes et l’instabilité du réseau électrique » (SD,2025).

Malgré ces atouts et des progrès significatifs, plusieurs obstacles entravent encore leur adoption généralisée, tels les limites d’efficacité non encore surmontées, les coûts des matériaux, la complexité de la fabrication et l’inertie du marché. Pour surmonter ces obstacles, des efforts soutenus de recherche et de développement, associés à des politiques de soutien et à des incitations commerciales visant à promouvoir leur adoption restent encore nécessaires (SD,2025) 

Tout le savoir et le savoir-faire développés en physique des semi-conducteurs et en science des matériaux sont mobilisés à ces fins, en particulier au niveau de la R&D. L’intelligence artificielle (IA) apporte dans ce contexte un plus, notamment dans les simulations des dynamiques moléculaires, lesquelles sont nécessaires pour la conception de nouveaux matériaux ayant les propriétés requises.