Révolution des technologies propres et transition, 2ème partie
Sibi Bonfils, GSI
Ce numéro du bulletin porte sur la deuxième partie de l’article de Kingsmill et coll. publié en juin 2024 sous le titre The Clean Tech Revolution. It’s exponential, disruptive, and now[1]. La première partie a fait l’objet du bulletin de novembre 2024[2].
Cette première partie de l’article, décrivait les deux visions opposées de la transition en cours et le système énergétique qui résulterait de cette transition marquée par la révolution des technologies propres. Elle donnait un aperçu des progrès accomplis en ce qui concerne ces technologies et les trois principaux moteurs (les renouvelables, l’électrification des usages et l’efficacité) des changements en cours dans le secteur de l’énergie. Elle rendait compte des conséquences de ces évolutions sur la consommation des combustibles fossiles, laquelle a atteint son pic dans plusieurs secteurs (industrie, bâtiments, production d’électricité et chaleur), pays et régions (OCDE, USA et même Chine) et amorce un déclin rapide dans certains cas.
La seconde partie de l’article, objet du présent bulletin, traite de la dynamique de croissance des trois moteurs de ces changements, une croissance auto-entretenue grâce aux fortes interactions entre ces moteurs. Elle fait part des impacts de cette croissance, exponentielle, sur le système énergétique et sur la transition en cours. Elle conclut sur les stratégies à déployer pour accompagner les dynamiques en jeu dans le but de réussir la transition en cours dans les délais requis.
- Le changement rapide continuera grâce à une dynamique de croissance auto-entretenue
Une dynamique de croissance auto-entretenue caractérise l’évolution des trois moteurs de changement – les renouvelables, l’électrification des usages et l’efficacité – lesquels s’autorenforcent grâce à des boucles de rétroaction positive entre eux, ainsi que le montre le schéma ci-dessous.
Plusieurs facteurs concourent à la dynamique de croissance auto-entretenue des 3 moteurs du changement : l’amélioration continue des technologies propres, la baisse continue de leurs coûts, les externalités des combustibles fossiles et leurs faiblesses. Il faut y ajouter les pressions politiques (réaliser l’accord de Paris) et géopolitiques (ne pas laisser le contrôle de ce secteur éminemment géostratégique à la Chine). Les auteurs proposent une série de graphiques illustrant ces faits
5.1 L’amélioration continue des technologies propres est reflétée, indiquent les auteurs, par « plus de brevets, des densités de batterie de plus en plus élevées, plus de production solaire et éolienne par unité, des économies d’échelle, de nouvelles idées, … ». Les graphiques ci-dessous en donnent un aperçu.
5.2 Les coûts des technologies propres ont connu une baisse spectaculaire au cours des dernières décennies. Tout indique que ces coûts vont continuer à baisser plus ou moins rapidement avec la production de masse et l’exploitation des brevets, en ce qui concerne notamment l’éolien, le solaire et les batteries.
5.3 Les externalités, les rentes abusives et les subventions fragilisent le système des combustibles fossiles face aux renouvelables, indiquent le auteurs. Le tableau ci-dessous en donne un aperçu.
L’inefficacité notoire de ce système est un autre de ses handicaps. Deux tiers de l’énergie sont perdus dans la cascade des transformations nécessaires pour arriver à l’énergie utile.
5.4 En face, les technologies propres se révèlent 3 fois plus efficaces dans les principaux usages, la production d’électricité, le chauffage ou le transport, ainsi que le montre la figure ci-dessous.
5.5 Les pressions politiques et géopolitiques sont à l’œuvre dans la dynamique de croissance auto-entretenue des technologies propres
Les renouvelables procurent de la sécurité énergétique. Leur potentiel est 100 fois supérieur à celui des combustibles fossiles et tous les pays en sont pourvus, indiquent les auteurs, comme le graphique ci-dessous en donne un aperçu éclairant
La Chine mène la danse en ce qui concerne les brevets, les capacités de production de batteries, la fabrication et le déploiement des technologies propres… et cela se remarque au niveau géopolitique.
Les pressions politiques pour adopter des mesures de lutte contre le changement climatique favorables aux trois moteurs du changement – renouvelables, électrification et efficacité– continueront d’augmenter parce que les records d’élévation de la température moyenne continueront d’être battus comme au cours de toute la dernière décennie.
5.5 Le processus d’adoption et de diffusion des technologies propres rappelle celui de l’adoption d’internet comme le montrent les graphiques ci-dessous.
C’est le cas pour diverses autres technologies (radio, réfrigérateurs, télévision couleur ou internet) et infrastructures (Télégraphes, chemins de fer ou route) du passé, indiquent les auteurs, ajoutant que c’est le même profil de croissance en S de type exponentiel qui est en œuvre dans tous ces cas.
5.6 Le changement rapide continuera donc, et le relèvement du plafond des possibles ne fera que renforcer cette tendance, indiquent les auteurs qui rappellent que « les pays et les entreprises leaders ne cessent d’ouvrir de nouvelles opportunités au reste du monde », assurant ainsi le nécessaire relèvement du plafond des possibles.
- Les implications pour le système énergétique de changements qui s’auto-renforcent
Si les profils de croissance en S observés pour les 3 moteurs (les renouvelables, l’électrification des usages et l’efficacité) des transformations en cours dans le secteur de l’énergie se maintiennent dans le temps, ce secteur connaîtrait des changements profonds.
6.1 Avant d’en arriver à ces changements, les auteurs présentent une série de graphiques prospectifs montrant l’évolution, d’ici 2050, des facteurs qui concourent à la dynamique de croissance auto-entretenue dans le secteur : une croissance super-rapide de la vente des dispositifs solaires et des batteries, une croissance exponentielle de la production solaire et éolienne, de la capacité de stockage des batteries et de la vente des véhicules électriques, une accélération de l’électrification. Le graphique ci-dessous en donne un aperçu.
D’ici 2030, la production solaire et éolienne triplerait, les véhicules électriques représenteraient les 2/3 des ventes, le taux d’électrification doublerait jusqu’à 0,5% par an, les gains annuels d’efficacité doubleraient passant de la moyenne de 1,5% pour le deux dernières décennies à au moins 3%, précisent les auteurs.
6.2 Le mix énergétique du nouveau système énergétique qui résulterait de ces transformations ferait la part belle aux solaires et à l’éolien.
6.3 Dans le nouveau système énergétique, on assisterait à une série de basculements, indiquent les auteurs, le solaire et l’éolien vaincraient l’électricité issue des fossiles, les électrons vaincraient les molécules fossiles, et l’énergie utile dépasserait l’énergie perdue, ainsi qu’illustré ci-dessous.
6.4 Ce type de profils d’évolution en X, indiquent les auteurs, reproduisent des profils déjà observés dans les transitions technologique passées (chevaux/voitures, acier/fonte…)
Cela indique que les projections faites pour la transition en cours s’inscrivent bien dans des dynamiques d’évolution déjà expérimentées et documentées. Ce qui suggère qu’elles sont réalistes.
6.5 La croissance exponentielle des technologies propres menace jusqu’à 75% de la demande de combustibles fossiles comme schématisé dans le graphique ci-dessous.
Les secteurs touchés et les technologies propres en œuvre sont indiqués : la production d’électricité avec le solaire et l’éolien, le transport routier avec les véhicules électriques, les bâtiments et l’industrie avec les pompes à chaleur pour le chauffage à basse température. Les réductions indirectes liées à la mise hors services d’installations d’extraction et de raffinage de combustibles fossiles ne sont pas oubliées.
6.6 Il en résulte une compression tendancielle de la demande de combustibles fossiles telle qu’illustrée dans le schéma ci-dessous…
… et un déclin rapide de leur demande précédé par un plateau dont la durée ne devrait pas dépasser la fin de cette décennie
- Les implications pour la transition en cours de changements qui s’auto-renforcent
Pour la transition en cours, les implications de tous ces changements seraient considérables, indiquent les auteurs. L’Accord de Paris serait dans la poche. La compétition entre les grandes nations risque d’être féroce. Elle devrait agir comme accélérateur des changements. Au sud, les sauts technologiques (leapfrog) deviendraient courants, à l’image de ce qui s’est produit pour le téléphone cellulaire. On se dirige vers la fin du gaspillage des ressources, et donc vers un répit pour la nature. On assisterait à une redistribution des capitaux, des secteurs en déclin (les fossiles) vers les secteurs en croissance (technologies propres). Les actifs « échoués » s’accroitraient dans le système fossile avec d’importantes implications dans le secteur financier. La Chine est positionnée pour mener cette transition et pour être la référence. La transition, elle, serait la référence en 2030 dans les marchés.
Les graphiques suivants illustrent ces projections.
7.1 L’Accord de paris serait dans la poche. Avec les transformations attendues dans le secteur de l’énergie, le profil des émissions projetées du secteur de l’énergie épouserait celui de la trajectoire SSP1 (Shared Socioeconomic Path – Trajectoire socioéconomique partagée) du 6e Rapport d’évaluation[3] du Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’évolution du Climat (GIECC). Ce qui permettrait de réaliser l’objectif de 1,5°C pour l’élévation de la température moyenne ainsi que le montre la courbe ci-dessous.
7.2 La Chine mène la danse en ce qui concerne le développement des technologies propres. Mais l’Europe et les États-Unis n’ont pas dit leurs derniers mots. La concurrence, avec de forts relents géopolitiques, s’annonce rude. Ce sera l’un des principaux moteurs des changements escomptés.
7.3 Le Sud global, loin d’être largué, resterait dans la course, pointant en tête dans certains de ses pays, grâce à des sauts technologiques qu’il a déjà expérimentés avec le téléphone cellulaire et l’Internet.
7.4 On ferait l’expérience du Pic des pertes tant dans la production que dans l’utilisation de l’énergie. Ce qui devrait permettre de réduire sensiblement les pressions sur la nature.
7.5 On assiste déjà à une réallocation des capitaux. Ils se déplacent des secteurs en déclins vers les secteurs en pleine croissance. Cela se fera notamment au détriment des fossiles. Et cela devrait se poursuivre dans les prochaines années, indiquent les auteurs.
7.6 Le système des fossiles connaitrait des billions d’actifs « échoués ». Il est aujourd’hui le plus important au monde avec des billions d’actifs fixes pouvant être dévalorisés par l’évolution de la législation, des contraintes environnementales (climat) et des technologies, les technologies propres notamment
7.7 La Chine a tous les atouts pour être le référent de la révolution des technologies propres, de l’Âge des renouvelables, comme hier la Grande Bretagne pour l’Âge de la vapeur, et les USA pour l’Âge de l’information. Les autres doivent suivre s’ils ne veulent pas être déclassés, indiquent les auteurs.
7.8 Vus de 2030, les termes du débat sur la transition seraient totalement différents de ce qu’ils sont aujourd’hui. « Quand les faits changent, les avis changent », affirment les auteurs. Le tableau ci-dessous en donne un aperçu.
- Quoi faire à présent
Il faut, avant toutes choses, indiquent les auteurs, reconnaître que nous sommes dans une décennie charnière qui devrait voir la confirmation des tendances observées, une décennie où il faut se concentrer sur ces tendances et leurs signaux, continuer à bâtir l’avenir en misant sur les technologies modulaires et les mesures d’efficacité, revisiter les modèles d’affaire et les schémas de financement. Les graphiques et infographies ci-dessous illustrent quelques-uns de ces propos.
8.1 Une décennie charnière déjà dotée de la capacité idoine de production de batteries, où les technologies propres sont sur la partie ascendante de leur courbe d’évolution en S, où les trop bons prix des renouvelables les rendent irrésistibles et où la demande de combustibles fossiles amorce un déclin définitif.
8.2 Une décennie où il faut rester centrer sur les faits et ne pas se laisser distraire par les bruits de fond souvent aussi défaitistes que décourageants. En voici un extrait.
8.3 Une décennie au cours de laquelle l’OCDE devrait accélérer l’électrification des usages pour rester dans la course avec la Chine qui continue d’évoluer en tête.
8.3 On bâtira l’avenir en misant sur les technologies modulaires, celles qui ont une courbe d’apprentissage abrupte, suggèrent les auteurs, et en évitant celles qui sont chères et difficiles à déployer. Le tableau ci-dessous illustre les choix possibles.
8.4 On bâtira l’avenir en misant sur les mesures d’efficacité, laquelle a déjà largement fait ses preuves. Avec l’innovation matérielle, la conception intégrée et la numérisation, sa contribution va continuer à se renforcer. Le pari ne peut être que gagnant.
8.5 Il faudra revisiter les stratégies de financement avec la sortie des secteurs en déclin (comme celui des combustibles fossiles) et la réallocation des capitaux aux secteurs en croissance (celui des technologies propres).
8.6 On sait où on doit se rendre et comment, mais c’est de nous que dépend la vitesse, indiquent les auteurs. C’est elle qui déterminera l’évolution du mix énergétique et donc la trajectoire d’émissions de CO2, et, partant, le point de basculement vers la carboneutralité.
- Conclusion
Ce numéro du bulletin porte sur la deuxième partie de l’article de Kingsmill et coll. publié en juin 2024 sous le titre The Cleantech Revolution.It’s exponential, disruptive, and now. Il traite de la dynamique de croissance des trois moteurs (les renouvelables, l’électrification des usages et l’efficacité) des changements en cours dans le secteur de l’énergie, une croissance auto-entretenue grâce aux fortes interactions entre ces moteurs. Il fait part des impacts de cette croissance, exponentielle, sur le système énergétique et sur la transition en cours. Il conclut sur les stratégies à déployer pour accompagner les dynamiques en jeu dans le but de réussir cette transition dans les délais requis.
Plusieurs facteurs concourent à la dynamique de croissance auto-entretenue des 3 moteurs du changement : l’amélioration continue des technologies propres, la baisse continue de leurs coûts, les externalités des combustibles fossiles et leurs faiblesses auxquelles il faut ajouter les pressions politiques (réussir l’Accord de Paris) et géopolitiques (la Chine mène le jeu et cela crée des tensions géostratégiques,
Dans une telle dynamique, les productions solaire et éolienne tripleraient d’ici 2030, les véhicules électriques représenteraient les 2/3 des ventes, le taux d’électrification doublerait jusqu’à 0,5% par an, les gains annuels d’efficacité doubleraient passant de la moyenne de 1,5% pour les deux dernières décennies à au moins 3%, précisent les auteurs. On assisterait à des basculements spectaculaires rappelant ceux observés dans le passé lors d’autres transitions technologiques (automobiles/hippomobiles pour le transport, gaz/électricité pour l’éclairage, écrans plats/ écrans cathodiques, téléphone filaire/téléphone portable)
Les impacts de tous ces changements sur la transition en cours seraient considérables, indiquent les auteurs. La compétition entre les grandes nations agirait comme accélérateur pour le développement des technologies propres désormais perçues comme stratégiques. Au Sud, les sauts technologiques (leapfrog) en accéléreraient l’adoption, à l’image de ce qui s’est produit pour le téléphone cellulaire et l’Internet. On assisterait à une redistribution des capitaux, des secteurs en déclin (les fossiles) vers les secteurs en croissance (technologies propres). Les actifs « échoués » s’accroitraient dans le système fossile avec d’importantes implications dans le secteur financier. La nature connaîtrait un répit, avec la fin du gaspillage des ressources. Tout cela mettrait l’Accord de Paris à portée de main.
Pour accompagner ces dynamiques et réussir la transition en cours dans les délais requis, il faut, selon les auteurs, accélérer l’électrification des usages, continuer à bâtir l’avenir en misant sur les technologies modulaires et les mesures d’efficacité, revisiter les modèles d’affaire et les schémas de financement.
Les fruits tiendront-ils les promesses des fleurs? Il faut l’espérer. Et on le souhaite.
Joyeux temps des fêtes et une bonne et heureuse année 2025!
[1] Kingsmill Bond, Sam Buyler Sloss and Daan Walte, The Cleantech Revolution: It’s Exponential, disruptive and now, RMI, June 2024, https://rmi.org/wp-content/uploads/dlm_uploads/2024/07/RMI-Cleantech-Revolution-pdf-1.pdf
[2] GSI, Révolution des technologies propres et transition, 1ère partie, Novembre 2024, https://www.globalshift.ca/revolution-des-technologies-propres-et-transition/
[3] IPCC, AR6 Climate Change 2021 : The Physical Science Basis, August 2021, https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg1/