Bulletin GSI de janvier 2025
Bilan 2024 et perspectives 2025
Sibi Bonfils, GSI
- Contexte général
Le dernier trimestre de l’année 2024 a été marqué par la tenue, largement médiatisée, des Conférences des Parties (CdP – COP) des trois conventions issues de Rio, la Convention-Cadre des Nations unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC- UNFCC), la Convention des Nations Unies sur la Diversité Biologique (CNUDB – UNCDB) et la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification (CNULD – UNCCD).
Dans ces trois cas, les négociateurs se sont quittés sur des constats d’échec dont la presse internationale s’est faite un écho bruyant. Elle parle de « bilan décevant », « d’accord au goût amer », les plus optimistes « d’impasses sur certains sujets ». Le principal sujet sur lequel les négociations ont achoppé reste cependant celui du financement.
Le niveau des financements qui devraient être mobilisés pour réaliser les objectifs des conventions est en effet au cœur des confrontations, souvent Nord-Sud, qui grippent les négociations. Beaucoup de délégués du Sud ont par exemple estimé que le montant « lamentablement faible et dérisoire »[1] de 300 milliards de dollars par an proposé comme nouvel objectif de financement climatique était une « insulte »[2]. Certains parlent même de « mépris total du monde développé pour les préoccupations du Sud1 ». « L’échec cuisant de la COP16 biodiversité consacre une fracture nord-sud », indique France 24 dans l’édition du samedi 2 novembre de son émission Élément Terre[3].
« L’absence de consensus sur la déclaration ministérielle du Forum Politique de Haut Niveau (FPHN), malgré un long processus de négociation s’étalant sur plus de 20 sessions consultatives avant le FPHN, a mis en évidence la manière dont les conflits et autres crises mondiales érodent encore davantage la capacité des pays à travailler ensemble vers un ensemble d’objectifs communs[4] », indique le Bulletin des négociations de la Terre dans sa brève analyse de l’édition 2024 du FPHN
Les tensions géopolitiques actuelles, alimentées par les crises en Europe de l’Est, au Moyen-Orient et en Afrique, tendent à radicaliser les positions et à réduire les marges de manœuvre dans les recherches de consensus. Ces crises ont occupé le devant de la scène médiatique tout au long de l’année 2024, certaines plus que d’autres comme souvent. C’est en dizaines de milliers que se comptent les morts, en millions les blessés, en dizaine de millions les déplacés.
La Communauté internationale, empêtrée dans ces crises alimentées directement ou en sous-main par certains de ses membres, s’est montrée incapable, jusqu’aux dernières heures de 2024, de les régler ou même de proposer ne serait-ce qu’un début de cadre de résolution. Tout indique qu’elles vont se poursuivre, voire s’étendre en 2025, en ce qui concerne tout particulièrement le Moyen-Orient. D’aucuns en sont réduits à parier sur le changement de garde intervenu à Washington en novembre dernier pour arrêter les massacres.
Les résultats mitigés, voire l’échec de la mise en œuvre des multiples accords signés sur l’environnement et le développement durable, s’agissant notamment de l’Accord de Paris sur le climat et de l’Agenda 2030 pour le Développement durable, tiennent aussi de cet état des faits.
« Dans la dernière ligne droite vers 2030, seulement 17 % des 169 cibles des ODD sont en voie d’être atteintes, près de la moitié affichent des progrès minimes ou modérés, et les progrès sur plus d’un tiers sont au point mort, voire en régression », indique Li Junhua, le Secrétaire général adjoint aux affaires économiques et sociales de l’ONU, à l’ouverture du FPHN de 2024.
En ce qui concerne le climat, l’année 2024 est annoncée comme la plus chaude jamais enregistrée, avec une hausse de la température moyenne du globe de plus de 1,5 °C au-dessus des niveaux préindustriels, selon l’Organisation météorologique mondiale (OMM – WMO) dans son rapport sur l’état du climat en 2024[5].

Les nombreux et sévères évènements extrêmes (inondations, vagues de chaleurs ou de froid, cyclones, sécheresse, …) qui ont jalonné 2024 et que beaucoup ont payé de leur vie, donnent un aperçu tragique des conséquences de l’inaction à laquelle expose ces mauvais fonctionnements du multilatéralisme.
L’entrée en scène des BRICS+ annoncés fin 2023 derrière la bannière « Sud Global » dont ils se veulent l’incarnation, une entrée en scène actée par le Sommet de Kazan (Russie, octobre 2024), n’augure rien de bon au niveau des tensions géopolitiques. La guerre commerciale sur plusieurs fronts proclamée tambour battant par le nouveau locataire de la Maison blanche courant décembre 2024 n’est pas de nature à apaiser ces tensions.
Ces tensions, qui ont plombé les négociations internationales sur plusieurs fronts, ont quelque peu pesé sur la croissance économique mondiale. Celle-ci a cependant été stable selon les experts du FMI et de l’OCDE, grâce à certains facteurs moteurs comme la reprise économique en Chine et la montée des investissements dans l’intelligence artificielle[6][7].
Elles ont eu des impacts notables sur les cours du pétrole, en partie du fait des sanctions et retro-sanctions entre la Russie et l’Union Européenne. La consommation mondiale de l’énergie a cependant continué à croître, dépassant même les niveaux d’avant la pandémie de COVID19. Les énergies fossiles ont représenté plus de 80% du mix énergétique mondial même si la production d’énergie à partir des renouvelables a sensiblement augmenté (de 11% hors hydroélectricité) en 2024. Cela se serait soldé par une augmentation des émissions de CO2 liées à l’énergie qui auraient même battu un nouveau record.
- Activités GSI
C’est dans ce contexte général que Global Shift Institute a conduit ses activités qui se résument cette année à, i) l’exécution de la dernière partie du mandat sur la carboneutralité et ii) la veille assurée à travers le bulletin. Ce numéro du bulletin en rend compte ci-après.
- Mandat sur la carboneutralité
La Banque Ouest-Africaine de Développement (BOAD) a mandaté Global Shift Institute (GSI) en novembre 2022 pour:
- Évaluer son empreinte carbone,
- Fournir des outils d’analyse et de gestion des émissions de gaz à effet de serre (GES),
- Renforcer les compétences des équipes impliquées dans le projet de carboneutralité.
Au cours de cette mission collaborative, GSI a développé et livré à la BOAD un ensemble d’outils et de stratégies comprenant notamment :
- Un calculateur d’émissions de GES,
- Un inventaire de référence,
- Un plan de réduction des émissions,
- Un guide pour l’achat de crédits compensatoires,
- Et un programme de sensibilisation, d’information, de formation et de transfert de compétences
Les activités de sensibilisation, d’information, de formation et de transfert de compétences ont été réalisées courant mars 2024 au siège de la BOAD (Lomé, Togo).
Le public-cible sélectionné d’un commun accord avec la BOAD était constitué de quatre catégories de participants : i) les décideurs et les dirigeants, ii) les cadres ayant un impact sur la gestion des GES, sans pour autant être responsables de celle-ci, iii) les équipes techniques et les gestionnaires du portefeuille qui auront la charge de la gestion des GES, et iv) la Communauté Responsabilité Sociétale de la BOAD.
Au total, une soixante de personnes, dont 18 Directeurs et membres du Comité de Direction, ont participé aux activité qui ont permis de sensibiliser et d’informer un large éventail de participants sur les enjeux du changement climatique et les défis qu’il pose à la BOAD dans « son rôle de Banque de référence pour un impact durable sur l’intégration et la transformation de l’Afrique de l’Ouest ». L’information partagée et les formations données sont en parfaite cohérence avec l’axe Renforcement de la résilience au changement climatique de son Plan stratégique Djoliba 2021-2025.
Ce mandat a été réalisé en étroite collaboration avec la Direction et une équipe dédiée de la BOAD dont l’expertise et la maîtrise des données internes ont été précieuses dans sa conduite et déterminantes dans sa réussite. Que toutes et tous trouvent ici l’expression de notre gratitude.
- Bulletin de liaison
Comme l’année passée, l’énergie et la transition énergétique ont été les sujets centraux du Bulletin[8] avec 8 numéros sur 12 portant notamment sur i) le rôle central des batteries et des technologies propres dans la transition, et ii) la fusion nucléaire et l’intérêt qu’elle suscite chez les professionnels de l’énergie et les gouvernements. Trois numéros traitent du multilatéralisme, des outils de sa mise en œuvre et de mesure des progrès. Le tableau ci-dessous donne les liens vers les différents numéros qui sont résumés ci-après.
A – L’énergie et la transition énergétique ont été couvertes par les numéros de février, mars, avril, mai, juin, octobre, novembre et décembre.
A1– Le numéro de février intituléPour réaliser l’objectif zéro émissions nettes d’ici 2050, quelle devrait être notre empreinte CO2?, est inspiré de l’article publié courant février 2022 par Laura Cozzi et col. sous le titre What would net zero by 2050 mean for the emissions footprints of younger people versus their parents ? (Que signifierait la neutralité carbone d’ici 2050 pour l’empreinte carbone des jeunes par rapport à celle de leurs parents?)
Dans cet article, Laura Cozzi de l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE) et ses collègues Olivia Chen et Hyeji Kim montrent que, pour atteindre la carboneutralité d’ici 2050 comme décrit par le Scénario Zéro Emissions Nettes d’ici 2050 (NZE 2050) de l’AIE, « les bébés nés aujourd’hui doivent avoir une empreinte CO2 dix fois plus faible au cours de leur vie que celle de leurs parents et grands-parents ». L’article présente l’empreinte CO2 moyenne au cours d’une vie par année de naissance, calculée pour une économie mondiale carboneutre (cf. figure ci-dessous).
Il compare les niveaux d’effort requis entre pays développés et pays en développement pour s’inscrire dans la réalité d’une telle économie. Il attire l’attention sur les transformations à faire dans la façon dont nous produisons et consommons l’énergie et dans nos comportements. Il souligne, comme un point positif, l’engagement plus déterminé des jeunes générations dans les politiques de lutte contre les changements climatiques. Il propose aux gouvernements et aux entreprises d’ouvrir un dialogue intergénérationnel pour mieux cerner les besoins de ces jeunes générations et mieux les prendre en compte dans les choix de développement d’aujourd’hui. Inclure leurs voix dans les processus décisionnels actuels permettrait de s’assurer que les politiques d’aujourd’hui répondent adéquatement à leurs besoins.

A2&3 – Les numéros de mars et d’avril intitulés Batteries : des effets dominos qui boostent la transition énergétique portent tous les deux sur l’article de Dan Walter et coll. publié en décembre 2023 sous le titre « X-Change : Batteries, The Battery Domino Effect (Changements-X : Batterie, l’effet Domino) »
L’article recense, dans un premier temps, les changements importants, exponentiels indique-t-il, intervenus dans le domaine des batteries au cours des dernières décennies. Dans un second temps, il passe en revue les dynamiques, allant se renforçant, qui sont en jeu dans ces changements. Il montre, en dernier lieu, les implications d’une croissance soutenue de l’industrie des batteries telles qu’elles résulteraient de ces dynamiques.
Voici comment les auteurs de l’article décrivent les changements majeurs à l’origine de la croissance remarquable (33%/an en moyenne) qu’a connue la demande de batteries au cours des dernières décennies : la densité énergétique a augmenté, les coûts ont chuté, et la demande s’est accrue, l’offre a suivi, l’innovation s’est accélérée, le tout créant un cycle vertueux de progrès auto-entretenu et un effet domino ayant permis l’entrée des batteries sur de nouveaux marchés tant aux niveaux sectoriels que nationaux.
Grâce à ces évolutions, les batteries sont sorties des niches où les experts croyaient pouvoir les confiner, conquérant des parts de plus en plus importantes du marché mondial des combustibles fossiles et aussi de l’électricité avec comme premiers trophées, l’électronique grand public et spécialisée, puis les cyclomoteurs, les véhicules légers et les autobus. Elles sont aujourd’hui à l’assaut des voitures particulières et de l’alimentation des grands réseaux de distribution de l’électricité.
Elles sont ainsi en train de devenir un élément essentiel de la transition énergétique et donc de l’avenir et de la sécurité énergétiques des nations, entrant de la sorte dans le jeu de la concurrence géopolitique, un jeu moins vertueux certes, mais susceptible d’en accélérer encore l’évolution et la mise à l’échelle.
Les Batteries et les transitions énergétiques
« Les batteries accomplissent de nombreuses tâches importantes dans les transitions vers les énergies propres. Les véhicules électriques réduisent la demande de pétrole dans les transports – et le stockage par batteries permet aux énergies renouvelables de réduire les besoins en charbon et en gaz naturel dans le secteur de l’électricité. Dans le même temps, les batteries apportent des avantages en matière de sécurité énergétique en rendant les réseaux plus stables et plus fiables, et en offrant la flexibilité nécessaire pour mieux adapter la production éolienne et solaire aux besoins des consommateurs », Fatih Birol, Directeur exécutif de l’AIE[9]
Source : IEA, 2024
Les dynamiques qui continueront d’entretenir ces changements au cours de la prochaine décennie sont i) l’action politique, qui s’intensifiera (lutte contre le changement climatique, forte concurrence géopolitique); ii) les investissements des entreprises, qui augmenteront (guerre des prix); iii) les coûts, qui continueront à baisser, iv) la densité énergétique, qui continuera d’augmenter (intensification de la R&D); ce qui v) fera basculer de nouveaux secteurs dans l’escarcelle des batteries et, en conséquence vi) induira une diminution rapide des nombreuses barrières entravant la croissance dans l’industrie des batteries.
Les auteurs s’attendent, avec toutes ces dynamiques soutenues, à un décuplement de la demande de batteries. Ce qui devrait permettre, au cours de la prochaine décennie, i) aux batteries de couvrir l’ensemble du transport routier tout en renforçant la décarbonation du transport maritime et aérien et ii) aux renouvelables de s’imposer dans les réseaux électriques. Il devrait en résulter, indiquent-ils, la réduction de moitié de la demande de combustibles fossiles. Ce qui mettrait à portée de main les objectifs climatiques de long terme, notamment celui de carboneutralité.
L’industrie des batteries a connu, au cours des dernières décennies, des taux de croissance qui rendent plausibles les perspectives décrites. Certes, le passé n’est pas toujours garant de l’avenir. Mais les dynamiques en jeu ici laissent penser que le chemin tracé sera suivi, qu’il s’agisse i) du cycle vertueux de progrès auto-entretenu décrit dans la première partie du dossier, ii) des enjeux politiques et géopolitiques, et de la concurrence sous-jacente entre les grands blocs économiques, iii) de la guerre des prix que se livrent déjà les entreprises et dont la presse spécialisée se fait régulièrement l’écho
Guerre des prix dans l’industrie des batteries
« Le plus grand fabricant mondial de batteries pour voitures électriques, le chinois CATL, affirme qu’il réduira le coût de ses batteries jusqu’à 50 % cette année, alors qu’une guerre des prix démarre avec le deuxième fabricant chinois, FinDreams, filiale de BYD.
Qu’est-ce qu’il y a derrière ça ? Après avoir connu un énorme essor en 2022, l’industrie des véhicules électriques a été confrontée à des vents contraires. Elle a augmenté plus rapidement que la demande, déclenchant des efforts de réduction des coûts.
Mais les baisses de prix promises sont aussi un signe de progrès. Les chercheurs ont fait de grands progrès dans la découverte de nouvelles chimies pour les batteries. CATL et BYD fabriquent désormais des batteries pour véhicules électriques sans cobalt, un métal rare et coûteux lié au travail des enfants et aux pratiques minières dangereuses en République démocratique du Congo.
Les économies d’échelle et les nouveaux approvisionnements en lithium permettent de vendre les batteries à moindre coût. Et le plus grand constructeur automobile mondial, Toyota, place ses espoirs dans les batteries à semi-conducteurs dans l’espoir que ces batteries à forte densité énergétique, presque ignifuges, permettront de produire des véhicules électriques avec une autonomie de plus de 1 200 km par charge ».
Source : The Conversation, mars 2024[10]
A4&5 – Les numéros de mai et juin intitulés Maîtrise de la Fusion nucléaire ou comment mettre le soleil en bouteille portent tous les deux sur la fusion nucléaire dont ils dressent un état des lieux à partir de différentes publications, dont les dossiers World Fusion Energy Outlook 2023 préparé par l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique (AIEA) et The global fusion industry in 2023 produit par l’Association de l’industrie de fusion (Fusion Industry Association).
Si l’on en croit ce dernier dossier, l’humanité serait sur le point de « décrocher… le soleil » et de le mettre en bouteille.
C’est en tous cas ce qui ressort de l’enquête réalisée par l’Association de l’industrie de fusion (Fusion Industry Association) auprès des entreprises opérant dans ce domaine. Une des entreprises du panel, une start-up, prévoit mettre le premier kWh d’énergie de fusion sur le réseau électrique dès 2025! 26 entreprises sur les 40 ayant répondu à l’enquête situent cette date avant 2035. Elles sont 19 sur 40 à considérer qu’une centrale électrique à fusion commercialement viable est possible avant 2035.
En Amérique, en Asie, en Europe comme en Afrique, les États se dotent de visions audacieuses (USA), de stratégies robustes (Chine, Corée, Japon) et de feuilles de route détaillées (Europe) pour la maîtrise de l’énergie de fusion. Ils mettent au point des cadres règlementaires dédiés (UK, USA, …) pour une exploitation sécuritaire de cette énergie. Des partenariats stratégiques se nouent (Japon-USA-UK), des joint-ventures entre entreprises se construisent par-dessus les frontières. L’appel au « partenariat international dans une nouvelle ère de développement de l’énergie de fusion » lancé à la COP28 (Dubaï) par John Kerry, l’envoyé spécial des États-Unis pour le climat, est sans équivoque. Il est le reflet de l’engouement pour l’énergie de fusion suscité par les récentes percées scientifiques et technologiques concernant sa maîtrise.
Dans les laboratoires publics ou privés, notamment en Chine, au Japon, en Europe et aux États-Unis, on recense en effet des réussites expérimentales remarquables concernant les températures de plasma, les durées de confinement ou le ratio énergie produite sur énergie investie. Le record du plus long fonctionnement de plasma à haute température en régime permanent (1 056 secondes ou 17,6 minutes) est détenu par le Projet EAST de la Chine, selon l’Agence Internationale pour l’Énergie Atomique (AIEA- IAAE) qui a réalisé en 2023 les premières Perspectives mondiales sur l’énergie de fusion (World Fusion Energy Outlook 2023).
Dans cette publication, l’AIEA met en contexte et en perspective l’ensemble de ces informations en prenant cependant le soin de ressortir les énormes défis scientifiques et technologiques qui doivent encore être relevés pour obtenir une énergie de fusion commercialement viable. Ces défis, indique-t-elle, « sont liés à la génération réussie d’un plasma à haute température et à haute densité pendant de longues périodes, à la sécurisation durable du combustible D-T (Deutérium-Tritium), à la minimisation des effets néfastes sur les matériaux par les sous-produits de la réaction de fusion, et finalement à l’exploitation de l’immense énergie libérée ».
Le bulletin de mai 2023 a porté sur i) les bases de la fusion nucléaire, ii) les raisons du regain d’intérêt pour l’énergie de fusion et ii) les défis technologiques qui doivent encore être relevés pour obtenir une énergie de fusion commercialement viable.
Le numéro de juin 2023 a lui, porté i) sur les enjeux et les défis qui doivent être considérés pour construire un cadre règlementaire garantissant une exploitation sécuritaire de l’énergie de fusion sans en gêner le développement, ii) sur les programmes de démonstration et les usines pilotes existants ou en cours de développement et iii) sur le rôle que joue l’AIEA pour stimuler la collaboration internationale sur l’énergie de fusion et, de la sorte, relever « ce grand défi d’ingénierie du 21e siècle », selon le mot de son Directeur exécutif.
Les dynamiques qui se développent ici et là dans le monde et les initiatives qui se prennent à différentes échelles, témoignent de l’intérêt grandissant pour l’énergie de fusion. L’implication croissante du secteur privé dans ces dynamiques est en train de changer la donne et… les délais en ce qui concerne la commercialisation de l’énergie de fusion. Avant 2035 selon Fusion Energy Association!
L’Agence Internationale de l’Énergie Atomique (AIEA – IAEA), sans doute plus réaliste, se range à l’avis de ceux qui considèrent que 2050 est le bon terme. En attendant, elle crée, à travers ses plateformes de recherche et d’échanges d’information et d’expérience, les conditions d’une coopération internationale fructueuse sur la maîtrise de l’énergie de fusion.
A6– Le numéro d’octobre publié sous le titreTransition énergétique: une trajectoire sous-estimée? porte sur l’article de Sam Butler-Sloss et son collègue Kingsmill Bond intitulé The Eight Deadly Sins of Analyzing the Energy Transition. Sam Butler-Sloss et son collègue considèrent, dans cet article, que beaucoup de spécialistes et d’analystes de la transition énergétique en cours sous-estiment son rythme et son dynamisme. Ils commettraient des erreurs générales de perspectives qui, au mieux, biaisent juste leur appréciation, et au pire « freinent la compréhension, gaspillent du temps et du capital, et alimentent un pessimisme climatique improductif ».
Le Bulletin présente les 8 erreurs de perspective citées par les auteurs ainsi que les idées qu’ils avancent pour les expliquer et… les corriger. Il propose un bref rappel quant à la nature et au contenu de la transition énergétique en cours pour mieux situer cette contribution dans les débats que cette transition suscite.
Pour la plupart des spécialistes, le principal moteur de la transition énergétique en cours est une volonté politique portée par l’ensemble de la communauté internationale. Toutes celles qui l’ont précédée étaient le fait des agents économiques et s’expliquaient pour l’essentiel par des avantages économiques et technologiques qu’elles apportaient (DY, 2022).
Son objectif est l’élimination du carbone fossile de l’approvisionnement énergétique mondial (VS, 2020). Il va cependant bien au-delà. Il est aussi de repenser entièrement le socle énergétique d’une économie mondiale qui pèse aujourd’hui 100 000 milliards de dollars et d’y parvenir en juste un peu plus d’un quart de siècle (DY, 2022)
Son ampleur décourage (VS, 2020) et les caractéristiques (intermittence et faiblesse des densités d’énergie et de puissance) des sources d’énergie sur lesquelles cette transition doit se construire posent de sérieux problèmes (VS, 2020) de sûreté et de capacité à prendre en charge les secteurs difficiles à décarboner comme les industries lourdes ou les transports intercontinentaux.
L’article de De Sam Butler-Sloss vient alimenter ce débat ouvert sur la nouvelle transition. Les 8 erreurs qu’il présente concernent surtout l’appréciation jugée erronée par les auteurs, du rythme de son déploiement.
La 1ère erreur courante est de penser que le changement technologique est linéaire. Elle fait l’impasse sur le fait que les processus d’implantation des nouvelles technologies (i.e. chemin de fer, Internet, téléphone portable) suivent le profil des courbes en S. Il est lent au début, puis augmente rapidement avant de se stabiliser à nouveau lorsqu’il atteint la saturation du marché.
La 2e erreur tient de l’importance accordée aux stocks au détriment des flux. Elle rappelle celle commise dans les années 1900 sur l’implantation des automobiles face au nombre de chevaux et de véhicules hippomobiles qui sillonnaient les rues. La taille actuelle des infrastructures dédiées aux combustibles fossiles et la place qu’ils tiennent dans le mix énergétique mondial (80% de la consommation) face aux renouvelables intermittents et de faible densité énergétique rappellent puissamment la situation de 1900.
La 3e erreur vient de la sous-estimation du moment et de l’impact du Pic de la demande dans l’ancien système. Les pics marquent un tournant. Ils séparent le monde de la croissance et des opportunités de celui du déclin et du risque. Dans ce dernier monde, les volumes diminuent, les prix baissent, les profits s’effondrent et les entreprises font faillite. Tout indique qu’en 2030, le pic de la demande de combustibles fossiles sera derrière nous et que le tournant sera franchi, indiquent les auteurs.
La 4e erreur vient de ce que l’on pense que les secteurs difficiles à décarboner freineront « la marée montante des changements ». Les conquêtes successives des batteries, passées des calculatrices portables aux gros appareils électroniques, puis aux voitures, et ensuite aux SUV et aux camions, sont caractéristiques de cette marée montante alimentée par « la créativité ascendante de milliers d’innovateurs qui sondent en permanence l’espace des possibilités », une créativité qui dépasse l’imagination de la plupart d’entre nous.
La 5e erreur vient de l’idée que les technologies, les politiques, les modèles d’affaires et les perceptions sociétales sont statiques. Elle est principalement due au fait que les modèles prédictifs actuels s’appuient sur les situations et les solutions d’aujourd’hui pour traiter des défis de demain, ignorant que les modèles d’affaire, les modes de consommations et les comportements des consommateurs hautement connectés vont être radicalement différents. Comme l’ironisent les auteurs, cela revient à concevoir le monde du papillon à partir de celui de la chenille.
La 6e erreur tient du biais climat consistant à penser que la seule motivation de la transition énergétique en cours est d’arrêter le changement climatique. La lutte contre le changement climatique a été le facteur déclenchant de la transition énergétique en cours. Elle reste un puissant catalyseur des forces en jeu dans les changements escomptés. Mais les bénéfices qu’induiront ces changements, sur la santé des populations et des écosystèmes, sur l’économie mondiale et sur la sécurité mondiale (géopolitique), sont suffisamment porteurs pour regarder ailleurs que sous le « lampadaire climat » quand on cherche à évaluer les motivations de la transition en cours et sa dynamique.
La 7e erreur est de ne pas accorder suffisamment d’attention à l’efficacité énergétique comme moteur de la transition énergétique. Sa contribution a été, jusqu’à ce jour, de loin supérieure à celle des renouvelables dans la réduction de la part des combustibles fossiles au niveau du mix énergétique mondial. En 2022, elle a été de trois fois supérieure, affirment les auteurs. C’est une contribution qui est appelée à se renforcer avec les innovations attendues au niveau des équipements (pompe à chaleur), des procédés (IA) et de l’exploitation des systèmes (réseaux intelligents), ajoutent-ils.
La 8e erreur provient de la complexité excessive des modélisations. Cette complexification donne l’illusion de cerner la réalité de plus près. Avec la masse des données qu’il faut collecter, traiter et tenir à jour et la multitude de variables qu’elle exige, elle est loin d’être l’approche indiquée dans le cadre d’une révolution technologique où certaines réalités importantes peuvent être difficiles, voire impossibles à quantifier, indiquent les auteurs, ajoutant qu’un meilleur équilibre entre réflexion et modélisation reste le meilleur gage pour ne pas se fourvoyer.
Cette revue des erreurs générales d’appréciation du rythme et du dynamisme de la transition en cours est une sorte d’appel à sortir du pessimisme auto-réalisateur. Ce changement de perspective est important pour l’avenir que nous voulons. Car, indiquent les auteurs, « nous construisons l’avenir que nous attendons. La révolution des énergies renouvelables se produira plus rapidement et surprendra moins de personnes si nous évitons ces erreurs ».
A7&8 – Les numéros de novembre et décembre intitulésRévolution des technologies propres et transition portent tous les deux sur l’article original de 86 pages illustrées publié en juin 2024 par Kingsmill Bond et ses collègues sous le titre The Cleantech Revolution: It’s Exponential, disruptive and now. Dans cet article, les auteurs ont réalisé une synthèse remarquable des faits et des tendances qui montrent que des transformations majeures sont en cours dans le système énergétique mondial grâce à la révolution des technologies propres. Une série de graphiques et d’infographies leur permettent de rendre compte des dynamiques en œuvre dans ces transformations.
Les deux numéros du Bulletin présentent quelques-uns de ces graphiques et infographies sélectionnés et organisés suivant le narratif proposé par les auteurs pour rendre compte des dynamiques qui opèrent au cœur de la transition en cours.
La première partie de l’article, objet du numéro de décembre, décrit deux visions opposées de cette transition et le système énergétique qui résulterait d’une transition marquée par la révolution des technologies propres. Elle donne un aperçu des progrès accomplis en ce qui concerne ces technologies et les trois principaux moteurs des changements en cours dans le secteur de l’énergie, à savoir i) les renouvelables, ii) l’électrification des usages et iii) l’efficacité. Elle rend compte des conséquences de ces évolutions sur la consommation des combustibles fossiles.
Le Bulletina sélectionné une série de graphiques qui racontent et illustrent les transformations observées dans le secteur de l’énergie au cours des dernières décennies, et dont voici un aperçu.

Les coûts des technologies de base (solaire, éolien, batteries) en œuvre dans ces transformations ont connu une baisse soutenue et rapide leur ayant permis de rattraper, et aujourd’hui de dépasser les combustibles fossiles avec des coûts de fourniture désormais plus bas.
Ces baisses ont facilité un afflux spectaculaire de capitaux vers les technologies propres avec comme conséquence une croissance exponentielle des trois moteurs des changements que sont, pour mémoire, les renouvelables, l’électrification des usages et l’efficacité.
Les productions solaires et éoliennes ainsi que les capacités de stockages des batteries ont connu des taux de croissance de 14%, 28% et 68% respectivement, soit un doublement tous les 2 ou 3 ans pour le solaire, et tous les ans pour les batteries. Les chaines d’approvisionnement déjà en place suggèrent que ces tendances vont se maintenir.
L’électrification des usages est au-dessus de 30% pour les bâtiments et près de 30% pour l’industrie. Elle progresse vigoureusement dans le transport. L’électricité, aujourd’hui le plus grand fournisseur d’énergie utile, est devenue le roi du secteur, selon Kingsmill et ses collègues qui désignent la Chine comme le premier électro-état du monde avec son rythme d’électrification de 10% par décennie.
L’efficacité énergétique, puissante force invisible des changements en cours dans le secteur, a réduit la croissance de la demande d’énergie plus que tout autre facteur depuis 2010, selon les auteurs. Sur la dernière décennie cette réduction a été de l’ordre de 20% de la demande mondiale, précisent-ils.
Ces trois moteurs des changements «°œuvrent de concert » pour réduire la part des combustibles fossiles dans les mix énergétiques, nationaux, régionaux et mondiaux. Les pics et les déclins observés en termes d’ajouts de capacités annuelles d’électricité fossile, d’investissement gazier et pétrolier, de ventes de véhicules thermiques, et de demandes dans différents secteurs d’activités (industrie, bâtiments, transport, production de chaleur) sont symptomatiques de cette réduction. Les dates respectives de ces pics sont 2014, 2018, 2024/2025 et 2023 pour l’industrie, les bâtiments, le transport et la production de chaleur.
Ces évolutions sont en train de mettre au jour un système énergétique fondamentalement différent de l’actuel, selon les auteurs qui proposent un tableau comparatif quelque peu polémique, pour rendre compte de ces différences.
La seconde partie de l’article, objet du bulletin de décembre, est essentiellement prospective. Elle traite i) de la dynamique de croissance auto-entretenue grâce aux fortes interactions entre les trois moteurs de changement et ii) des impacts de cette croissance, exponentielle, sur le système énergétique et sur la transition en cours. Elle conclut sur les stratégies à déployer pour accompagner les dynamiques en jeu dans le but de réussir cette transition dans les délais requis.
Plusieurs facteurs concourent à la dynamique de croissance auto-entretenue des 3 moteurs du changement : l’amélioration continue des technologies propres, la baisse soutenue de leurs coûts, les externalités des combustibles fossiles et leurs faiblesses auxquelles il faut ajouter les pressions politiques (réussir l’Accord de Paris) et géopolitiques (la Chine mène le jeu et cela crée des tensions géostratégiques). Une série de graphiques bien documentés illustrent ces faits
Dans une telle dynamique, les productions solaire et éolienne tripleraient d’ici 2030, les véhicules électriques représenteraient les 2/3 des ventes, le taux d’électrification doublerait jusqu’à 0,5% par an, les gains annuels d’efficacité doubleraient passant de la moyenne de 1,5% pour les deux dernières décennies à au moins 3%, précisent les auteurs. On assisterait à des basculements spectaculaires rappelant ceux observés dans le passé lors d’autres transitions technologiques (automobiles/hippomobiles pour le transport, gaz/électricité pour l’éclairage, écrans plats/écrans cathodiques, téléphone filaire/téléphone portable)

Les impacts de tous ces changements sur la transition en cours seraient considérables, indiquent les auteurs. La compétition entre les grandes nations agirait comme accélérateur pour le développement des technologies propres désormais perçues comme stratégiques. Au Sud, les sauts technologiques (leapfrog) en accéléreraient l’adoption, à l’image de ce qui s’est produit pour le téléphone cellulaire. On assisterait à une redistribution des capitaux, des secteurs en déclin (les fossiles) vers les secteurs en croissance (technologies propres). Ce qui accroîtrait les actifs « échoués » dans le système fossile avec d’importantes implications dans le secteur financier. La nature connaîtrait un répit, avec la fin du gaspillage des ressources. Tout cela mettrait l’Accord de Paris à portée de main.
Pour accompagner ces dynamiques et réussir la transition en cours dans les délais requis, il faut, selon les auteurs, accélérer l’électrification des usages, continuer à bâtir l’avenir en misant sur les technologies modulaires et des mesures d’efficacité à la hauteur des enjeux, revisiter les modèles d’affaire et les schémas de financement.
Les fruits tiendront-ils les promesses des fleurs? Il faut l’espérer. Et on le souhaite.
B – Le multilatéralisme, les outils de sa mise en œuvre et de mesure des progrès ont été couvertes par les numéros de juillet, août et septembre.
B1 – Le numéro de juillet publié sous le titre Notre Programme commun, le choix du sursaut face au risque de délitement porte sur le rapport du Secrétaire Général des Nations Unies (SGNU), Notre Programme Commun, préparé à la demande formulée par les chefs d’État et de Gouvernement dans la Déclaration qu’ils ont faite à l’issue de la célébration du 75ème anniversaire de l’ONU. Cet important rapport, publié en septembre 2021, est pratiquement passé inaperçu. La pandémie de COVI-19 était encore dans tous les esprits.
Le Bulletin présente brièvement la Déclaration du 75ème anniversaire, un bilan lucide des 75 années de coopération multilatérale, assorti de 12 engagements.
- Le bilan fait part i) des nombreux succès remportés par l’ONU et dont il est permis d’être fier, mais aussi ii) des échecs monumentaux dont la crise de la COVID-19 a été l’un des principaux révélateurs.
- Les 12 engagements « visant à faire de l’avenir que nous voulons une réalité et à nous donner l’Organisation des Nations Unies dont nous avons besoin », formulent clairement les souhaits des chefs d’État et de gouvernement pour l’avenir de l’humanité et de la fragile planète qui l’abrite, fixant ainsi les termes de référence du rapport commandé au SGNU.

Le Bulletin donne par la suite un aperçu du contenu du rapport du SGNU, en passant en revue les 6 chapitres qui le composent, i) le coup de semonce que constitue la COVID-19, ii) le nouveau contrat social pour reconstruire la confiance perdue dans le multilatéralisme, iii) la solidarité entre les générations comme pilier du nouveau contrat Social, iv) une nouvelle gouvernance des biens communs et des biens publics mondiaux comme moteur du renouveau de l’action collective mondiale, v) des propositions pour adapter les Nations Unies à la nouvelle ère de multilatéralisme et vi) la conclusion du rapport rappelant ce qui l’a motivé, son objectif ainsi que l’essentiel de son contenu.
Le Bulletin se termine par les propositions et les recommandations que fait le SGNU aux chefs d’État et de gouvernement. Les propositions ont été regroupées suivant les 12 engagements de la Déclaration du 75ème anniversaire. Les recommandations portent sur les 4 axes d’évolution proposés, le nouveau Contrat Social, la solidarité entre les générations, les Biens Communs et Publics mondiaux et l’ONU 2.0 de la nouvelle ère de multilatéralisme.
Cinq riches infographies issues du rapport regroupent l’ensemble de ces éléments.
Tout est sur la table pour le nécessaire sursaut face au risque de délitement, et pour nous donner l’avenir que nous voulons.
Dans Notre Programme Commun, le Secrétaire général a souhaité que soit organisé un Sommet de l’avenir afin de forger un nouveau consensus mondial sur la manière de se préparer à cet avenir plein de risques, mais aussi de promesses. Ce Sommet s’est tenu les 22 et 23 septembre 2024, à New York au Siège des Nations Unies..

B2 – Le numéro d’août publié sous le titre Les Biens Communs et les Biens Publics Mondiaux comme moteurs du renouveau de l’action collective mondiale porte sur le chapitre 3 du Rapport sur le Développement humain 2023-2024 (RDH 2023-2024) du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD)
Le RHD 2023-2024, intitulé Sortir de l’Impasse, Repenser la coopération dans un monde polarisé, propose dans son chapitre 3, Fournir les Biens Publics Mondiaux (BPM) pour gérer l’interdépendance, des approches permettant de mettre ces biens à profit pour répondre aux défis complexes et interconnectés auxquels le monde est aujourd’hui confronté.
Une brève introduction aux Rapports sur le Développement Humain et au RDH 2023-2024 en particulier, permet de bien situer notre niveau d’interdépendance et l’intérêt d’utiliser le prisme des biens publics mondiaux pour mieux gérer cette interdépendance.
Le chapitre 3 du RDH 2023-2024 revient sur le concept de biens publics mondiaux, l’illustre et caractérise ces biens pour mieux cerner les défis liés à leur production. Il utilise par ailleurs le prisme des biens publics mondiaux pour analyser la façon dont la communauté internationale a géré la pandémie de Covid-19 et en tire un certain nombre de leçons méritant considération pour l’avenir. En voici quelques-unes.
La réponse à la Covid-19 a nécessité la mobilisation et la fourniture de BPM de toutes sortes, des BPM de type « Best-Shot » (séquençage du génome de SRAS-CoV-2, mise au point de vaccins), des BPM de type « Additifs » (mobilisation des ressources pour renforcer les capacités des pays les moins outillés) ou des BPM de type « Maillons-faibles » (contrôle de la propagation du virus en sachant que « personne n’est en sécurité tant que tout le monde n’est pas en sécurité »).

De multiples défis à des échelles variées avec différents agents ont dû être affrontés pour fournir ces biens. Dans bien des cas, le succès n’a pas été au rendez-vous, comme on a pu le constater. On sait désormais cependant qu’une meilleure compréhension de ces défis est essentielle pour que les réponses aux pandémies à venir soient meilleures.
On a appris aussi que des institutions dédiées capables de remodeler les incitations, de fournir à temps l’information utile et de transférer efficacement les ressources, permettent d’améliorer sensiblement la fourniture des biens publics mondiaux. Les organisations multilatérales (l’ONU et ses agences, programmes et fonds, PNUD, PNUE, OMS, FMI…), les traités et les régimes internationaux (Convention climat, Protocole de Nagoya ou de Montréal…), répondent parfaitement à ces critères.
On retiendra surtout que l’analyse des problèmes de développement humain avec le prisme des biens publics mondiaux ouvre des perspectives d’intérêt. On peut par exemple en améliorer la gestion en la présentant comme un objectif explicite de fourniture de biens publics mondiaux. Les défis à relever sont mieux cernés, comme les acteurs de développement devant être mobilisés pour construire et réussir les actions collectives dont le monde va avoir besoin demain, selon le RDH20232924. De telles actions s’imposent, indique-t-il, car dans « des sociétés de plus en plus liées de multiples façons, il deviendra impératif d’agir collectivement pour relever les défis communs à l’échelle mondiale afin de préserver la sécurité humaine et de faire progresser le développement humain ».
B3 – Le numéro de septembre publié sous le titre L’IDHP, une nouvelle mesure du progrès humain pour mieux cheminer dans l’Anthropocène porte sur l’Indice de développement humain ajusté aux pressions exercées sur la planète (IDHP), le nouvel indice de développement humain présenté dans le Rapport sur le développement humain de 2020 (RDH2020). Il en propose une présentation synthétique après une brève introduction au RDH2020 et des rappels motivés sur l’Anthropocène.
Le RDH2020 intitulé La prochaine frontière, le développement humain et l’Anthropocène, établit, faits marquants à l’appui, qu’«°aucun pays au monde n’a encore atteint un niveau de développement humain très élevé sans exercer une pression immense sur la planète ». Il montre que cette pression a fait de l’activité humaine « une force dominante qui influe sur les principaux processus planétaires », une force qui, selon de plus en plus de scientifiques, a précipité la Terre dans « une nouvelle ère géologique, celle de l’anthropocène, l’âge des humains ».
Le principal objet du RDH2020 est ainsi, selon les auteurs, d’amener l’humanité i) à reconnaître le grand défi consistant à « faire progresser le développement humain tout en supprimant cette pression », et ii) à prendre les moyens pour relever ce défi si l’humanité veut bien cheminer dans l’Anthropocène.
L’Anthropocène traduit l’idée que « l’être humain est désormais une force dominante dans la modification des processus du système terrestre ». Le concept met en cohérence les éléments de preuve qui attestent cela. Le RDH2020 cite plusieurs de ces éléments résultant des observations et des analyses tirées des sciences de la nature, et qui sont :
- Pour la science du système terrestre, le changement climatique, l’acidification des océans, la perte massive de biodiversité…;
- Pour la géologie, les nouvelles matières d’origine purement humaine dans le sol et dans l’atmosphère, et qui vont sûrement nous survivre (aluminium pur, béton, plastique, radionucléides, sous-produits des essais nucléaires…) et;
- Pour l’écologie, la conversion des écosystèmes en biomes anthropiques ou anthromes urbains et agricoles, les espèces envahissantes, l’harmonisation de la flore et de la faune au niveau mondial…
L’Anthropocène ne se résume cependant pas à ces preuves physiques, incontestées, de l’impact sans précédent de l’activité humaine sur la Terre, indique le RDH2020. Il « génère d’énormes incertitudes pour les individus et les sociétés » avec « de profondes répercussions sur le développement humain » dont il menace de renverser le cours.
L’Indice de développement humain ajusté aux pressions exercées sur la planète (IDHP), le nouvel instrument de mesure du progrès humain que propose le RDH2020, s’inscrit dans cette nouvelle dynamique. Il a été conçu pour « rendre compte à la fois des acquis du développement humain et des pressions exercées sur la planète » dans une perspective visant à doter les acteurs du développement humain d’un outil d’analyse qui leur permettrait de bien appréhender leurs traces dans l’Anthropocène et, de la sorte, d’y pouvoir mieux cheminer.
Des différents facteurs considérés pour ajuster l’ancien instrument de mesure du développement humain (l’IDH), le RDH2020 a retenu les émissions de dioxyde de carbone par habitant et l’empreinte matières par habitant comme indicateurs.
L’IDHP a été construit à partir de ces indicateurs. Il est obtenu en multipliant l’IDH par un coefficient d’ajustement (A). Ce coefficient « correspond à la moyenne arithmétique des indices mesurant les émissions de dioxyde de carbone par habitant (en rapport avec l’enjeu de l’abandon des combustibles fossiles pour l’énergie) et l’empreinte matières par habitant (en rapport avec l’enjeu de la clôture des cycles des matières premières) »

Les résultats des analyses conduites avec le nouvel indice (l’IDHP) et donnés dans le RDH2020 sous forme de graphiques et de tableaux, sont extrêmement riches d’enseignement. Ils confortent l’idée qu’un indice de développement humain qui tient compte des pressions exercées sur la planète peut changer notre perception du développement humain et motiver de nouvelles dynamiques de progrès humain orientées vers la réduction de ces pressions. C’est le meilleur gage pour l’humanité de mieux cheminer dans l’Anthropocène sans risquer d’en être éjectée.
- Perspectives 2025
Le changement de locataire à la maison blanche semble avoir eu un effet modérateur sur la crise palestinienne. Israéliens et Palestiniens, engagés depuis quelques jours dans un processus d’échange de prisonniers, se parlent à nouveau, même si Israël paraît vouloir ouvrir de nouveaux fronts notamment en Cisjordanie avec les encouragements plus ou moins explicites du nouveau parrain américain. Dans le reste du Moyen-Orient, au Liban et en Iran notamment, les tensions restent encore palpables, même si le changement de régime en Syrie paraît suggérer le contraire.
Les autres crises, celle de l’Ukraine surmédiatisée et celles sous les radars médiatiques au Yémen, au Soudan, en Lybie, au Sahel ou en RDC, sont toujours actives et devraient le rester en 2025, du moins en ce qui concerne les dernières. Les disfonctionnements actuels du multilatéralisme, imputables aux tensions géopolitiques en pleine escalade avec la montée en puissance des BRICS+, le laissent supposer.
Ces tensions et les guerres commerciales annoncées urbi et orbi par le nouveau pouvoir américain participent des risques qui « pèsent lourdement sur les perspectives économiques, avec une croissance mondiale qui devrait rester inférieure aux niveaux d’avant la pandémie », indique le rapport Situation et perspectives de l’économie mondiale 2025[11]de l’UNDESA publié début janvier 2025. Un tel niveau de croissance, poursuit le rapport, menace de compromettre encore davantage la réalisation des objectifs de développement durable (ODD) en ce qui concerne tout particulièrement les pays à faible revenu et les pays vulnérables.
La transition énergétique fait l’objet d’un chapitre de ce rapport qui traite « des promesses et périls des minéraux critiques tels que le lithium, le cobalt et les terres rares ». Ces minéraux, indique le rapport, offrent aux pays en développement riches en ressources une opportunité de stimuler leur croissance et d’avancer vers les ODD, mais aussi des risques importants liés au syndrome hollandais et aux impacts des rivalités géopolitiques qu’ils suscitent.
Ces thématiques et d’autres feront l’objet d’une veille active courant 2025 à travers le bulletin qui continuera de rendre compte de la façon dont les défis qui y sont liés évoluent et sont pris en compte, avec la mise en œuvre de l’Agenda 2030 et la transition au centre des préoccupations.
Les efforts d’enracinement de GSI dans son milieu, au-delà de ses activités internationales, seront maintenus.
- Conclusion
L’année 2024 restera marquée par la hausse de la température moyenne du globe de plus de 1,5 °C au-dessus des niveaux préindustriels, faisant craindre, à juste titre, le dépassement des seuils d’élévation de cette température fixés par l’Accord de Paris pour garder les risques et les effets des changements climatiques dans des limites acceptables. Les résultats mitigés, voire les échecs des négociations relatifs à cet Accord préoccupent à raison.
Les préoccupations concernent tout autant les conventions sur la biodiversité et la désertification, ainsi que l’Agenda 2030 pour le Développement durable dont les mises en œuvre continuent de piétiner. Le dysfonctionnement du multilatéralisme imputable aux tensions géopolitiques qu’alimentent des crises de nature variée, participe des causes de ces piétinements.
L’année 2025, avec les guerres commerciales et les retraits des accords multilatéraux annoncés par Washington, ne devraient pas enregistrer plus de progrès sur ces différents fronts.
L’espoir, en ce qui concerne les changements profonds dont il est besoin pour bâtir l’avenir que nous voulons, repose sur les initiatives des différents acteurs de développement du quotidien et sur « la créativité ascendante de milliers d’innovateurs qui sondent en permanence l’espace des possibilités [12]» et créent des bases pour « le choix du sursaut face au risque de délitement[13] ».
La veille assurée par le bulletin restera centrée sur ces initiatives.
[1] Solène Vary. «Trop peu, trop tard», «mépris du monde développé»… Au Nord comme au Sud, la presse mondiale sévère sur la COP29, Figaro Sciences, novembre 2024, https://www.lefigaro.fr/sciences/trop-peu-trop-tard-mepris-du-monde-developpe-au-nord-comme-au-sud-la-presse-mondiale-severe-sur-la-cop29-20241125
[2] IISD, https://enb.iisd.org/baku-un-climate-change-conference-cop29
[3] France 24, Élément Terre, https://youtu.be/TAHOh06Zakk
[4] IISD, Rapport de synthèse, 8-17 juillet 2024, Forum politique de haut niveau sur le développement durable (FPHN 2024), Bulletin des Négociations de la Terre,
[5] World Meteorological Organisation (WMO), State of the Climate 2024 Update for COP29, https://library.wmo.int/viewer/69075/download?file=State-Climate-2024-Update-COP29_en.pdf&type=pdf&navigator=1
[6] Fonds Monétaire International (FMI), Perspectives de l’économie mondiale, octobre 2024, https://www.imf.org/fr/Publications/WEO/Issues/2024/10/22/world-economic-outlook-october-2024
[7] OCDE, Perspectives économiques de l’OCDE, décembre 2024 https://www.oecd.org/fr/publications/2024/12/oecd-economic-outlook-volume-2024-issue-2_67bb8fac.html
[8] Global Shift Institute, Bulletin de 2024, https://www.globalshift.ca/bulletins/
[9] International Energy Agency (IEA), High-level IEA workshop on the importance of batteries in clean energy transitions, February 2024, https://www.iea.org/news/high-level-iea-workshop-brings-together-international-thought-leaders-to-discuss-the-importance-of-batteries-in-clean-energy-transitions
[10] The Conversation, A battery price war is kicking off that could soon make electric cars cheaper. Here’s how, 20 mars 2024, https://theconversation.com/a-battery-price-war-is-kicking-off-that-could-soon-make-electric-cars-cheaper-heres-how-225165
[11] UNDESA, World Economic Situation and Prospects 2025, 9 January 2025, file:///C:/Users/utilisateur/Downloads/WESP%202025_Official_WEB%20(1).pdf
[12] Butler-Stress and Kingsmill Bond, The Eight Deadly Sins of Analyzing the Energy Transition, RMI October 13, 2023, https://rmi.org/the-eight-deadly-sins-of-analyzing-the-energy-transition/
[13] SGNU, Notre Programme Commun, 2021, https://www.un.org/fr/content/common-agenda-report/assets/pdf/Notre_programme_commun.pdf